Pétanque : si la commune se tire, le domaine privé se pointe

Mise à jour importante au 4 avril 2024 :

Pétanque : si la commune se tire, le domaine privé se pointe… Mais si la commune avait, dans le temps, galéjé… elle remporte quand même le point 

 

 

Un boulodrome relève-t-il du domaine public ? (réponse… ça dépend ; non dans un cas concernant Paris par exemple. En l’espèce, si un boulodrome appartient à une ville qui ne l’a ni réellement voulu, ni conçu ni géré ni fait gérer.. le domaine sera privé).

 

 

Hors régimes particuliers (dont les domaines publics naturels), le domaine public d’une personne public est, aux termes de l’article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) : 

« constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public.»

NB : voir aussi l’article L. 2111-2 de ce même code pour l’extension de ce régime aux accessoires indissociables desdits biens du domaine public. 

Il arrive qu’il ne soit même pas contesté qu’un boulodrome soit du domaine public (TA Lyon, 6 avr. 2016, n° 1602223 ; TA Rennes, 26 juill. 2023, n° 2304016 ; TA Marseille, 4 janv. 2012, n° 1108157 ; TA Marseille, 31 juill. 2014, n° 1405262. Un boulodrome relèvera ainsi souvent du domaine public (sauf désaffectation et déclassement, bien entendu : TA Nîmes, 6 juin 2012, n° 1201361).

Il arrive cependant qu’un boulodrome relève du domaine privé parce que ce n’est qu’épisodiquement, de manière peu prouvée et peu continue, qu’il sera affecté à la noble activité qu’est la pétanque (ou autres variantes). Citons un jugement croquignolet à ce sujet (dans la région du Crotoy qui certes n’est pas de celles à qui on pense en premier pour cette activité) :

« 18. Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que la parcelle en cause, qui présente l’aspect d’un terrain vague et sablonneux, sans aucun aménagement, sur lequel poussent quelques herbes et arbustes, ait été aménagée en tant que boulodrome ; qu’aucun témoignage d’usager éventuel ne vient établir qu’il aurait cette affectation ; que, par ailleurs, les allégations du requérant selon lesquelles la commune aurait affecté ce bien à un usage de boulodrome et l’aurait financé et entretenu à cette fin ne sont corroborées par aucune délibération du conseil municipal ou tout autre acte attestant que ce terrain ait été affecté à un service public ; qu’il n’est donc pas établi qu’il serait affecté à l’usage direct du public ou qu’il ferait l’objet d’un aménagement spécial ; que la circonstance qu’il n’est pas clos et reste accessible, n’est pas de nature, à elle seule, à le faire regarder comme une dépendance du domaine public communal ; que, par suite, M. Z n’est pas fondé à soutenir que cadastée XXX ferait partie du domaine public de la commune ; »
TA Amiens, 30 oct. 2012, n° 1103423.

Et puis il peut y avoir une activité continue de boulodrome… sur une propriété communale… et pourtant ne pas y avoir domaine public. C’est, pour la ville de Paris, partie perdante en l’espèce (elle va devoir payer sa tournée…), ce qui ressort d’une ordonnance du juge des référés du TA de la Capitale.

Pourquoi ? Comment ? La réponse est simple : le bien peut être de domaine privé si l’activité de boulodrome a été conçue et assurée sur le domaine privé de la ville de manière qui n’a en rien entraîné la conception ou la gestion de l’activité par ladite ville.

Laisser son domaine en jachère pour qu’y poussent des activités pétanquières privées ne conduit pas le domaine ainsi fertilisé par l’association à pouvoir revêtir les parures du domaine public.

Le juge des référés du tribunal administratif de Paris, saisi sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative (référé mesures utiles, souvent utilisé pour expulser un occupant du domaine public), vient en effet de rejeter pour incompétence de la juridiction administrative, la requête de la Ville de Paris lui demandant d’enjoindre à l’association Club Lepic Abbesses Pétanque de libérer sans délai le terrain situé avenue Junot dans le 18ème arrondissement de Paris sur lequel s’entraînent les licenciés du club.

En premier lieu, le juge des référés du tribunal administratif de Paris rappelle que le domaine public d’une personne publique, avant l’entrée en vigueur des dispositions de l’article  L. 2111-1 du CG3P (précité), est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement spécial.

En second lieu, le juge des référés constate que pour accéder au terrain en litige, il faut franchir deux portes dont l’une fermée à clef et emprunter une voie privée. Il relève que la Ville de Paris, propriétaire, n’a manifesté aucune volonté de transformer ce terrain en espace vert et de l’affecter à l’usage direct du public et que lorsque l’association Club Lepic Abbesses Pétanque en a pris possession en 1971, la parcelle était un terrain vague qu’elle a pu aménager, avec l’accord implicite de la Ville de Paris, en boulodrome agrémenté d’un club house. Exit donc la domanialité publique virtuelle. 

Le juge des référés en conclut que, faute pour ce terrain d’avoir été affecté à l’usage direct du public ou d’avoir fait l’objet d’un aménagement spécial pour les besoins du service public, celui-ci doit être regardé comme faisant partie du domaine privé communal et que la mesure d’expulsion demandée ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative. En conséquence, la requête présentée par la Ville de Paris est rejetée.

La ville pourra :

  • soit saisir le juge judiciaire pour expulsion de son domaine privé (mais l’occupation dudit domaine privé sera moins précaire et révocable qu’en domanialité privée…)
  • soit continuer le combat contentieux avec l’espoir d’une réformation de cette ordonnance
  • soit affecter ce bien à un vrai projet public pour utiliser ensuite la domanialité publique virtuelle pour tenter de nouveau une expulsion (ce qui requiert une solide sécurisation juridique)
  • soit négocier avec l’association
  • soit combiner plusieurs de ces solutions

 

En attendant, rue Lepic, on pointe que la ville a mal tiré.

 

Source :

TA Paris, ord., 25 septembre 2023, n° N°2320641/4-1 (voir ici sur le site dudit TA)