Ah… bah y’a toujours pas

Mise à jour, au 25 septembre 2023, de notre article du 7 septembre 2023, en raison d’une seconde ordonnance du juge des référés du Conseil d’Etat

Sans surprise, le Conseil d’Etat a rejeté à deux reprises des recours en référé contre la note/circulaire du Ministère de l’éducation nationale relatif à l’abaya et au qamis. 

La position du Ministère doit être présentée (I.), ainsi que les habits dont nous parlons (II.) avant que d’aborder l’état du droit en ce domaine (III) avant et après 2004, qui déjà indiquait qu’une censure de la note/circulaire de l’Etat semblait peu probable.

Abordons aussi les autres régimes juridiques permettant de raisonner par une certaine analogie. Ce qui n’est à confondre ni avec le droit dans l’enseignement supérieur, ni avec celui applicable aux agents. Cependant, l’évolution de ce droit (l’arrêt récent concernant les footballeuses notamment) indiquait le sens de l’évolution générale du droit en ces domaines (IV.)…

ainsi que les autres régimes applicables pouvant permettre aussi de raisonner par analogie (IV.). 

Au total, l’application de ce cadre juridique à l’abaya et au qamis à l’école a conduit à une ordonnance du Conseil d’Etat sans grande surprise. Le juge refuse de censurer la position de l’Etat… et cette absence de censure, surtout dans le cadre strict du référé liberté, était probable même si le Ministère sur un détail avait pris un petit risque (V.), position confirmée le 25 septembre 2023 (VI.).

 

 

 

I. Position du Ministère

 

Par une note de service (circulaire) du 31 août 2023, le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, a indiqué que le port de l’abaya ou du qamis dans l’enceinte des écoles, collèges et lycées publics constituait une manifestation ostensible d’appartenance religieuse prohibée par l’article L.145-5-1 du code de l’éducation, issu de la loi du 15 mars 2004.

Voir :

 

NB 1 : déjà en novembre dernier, voir une autre circulaire : Plan laïcité dans les écoles et les établissements scolaires 

NB 2 : à comparer avec : Laïcité et écoles : pendant ce temps là, aux Etats-Unis… 

Revenons à cette « Note de service du 31 août 2023 (MENJ – SG ; NOR : MENG2323654N) » :

https://www.education.gouv.fr/bo/2023/Hebdo32/MENG2323654N

Avec notamment ce passage :

«  Dans certains établissements, la montée en puissance du port de tenues de type abaya ou qamis a fait naître un grand nombre de questions sur la conduite à tenir. Ces questionnements appellent une réponse claire et unifiée de l’institution scolaire sur l’ensemble du territoire.
En vertu de l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation, qui reprend la loi du 15 mars 2004, le port de telles tenues, qui manifeste ostensiblement en milieu scolaire une appartenance religieuse, ne peut y être toléré. En application de cet article, à l’issue d’un dialogue avec l’élève, si ce dernier refuse d’y renoncer au sein de l’établissement scolaire ou durant les activités scolaires, une procédure disciplinaire devra être engagée. »

Un texte de ce (note, circulaire) suffisait en effet, selon l’Etat, puisqu’il ne s’agit que d’appliquer l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation (loi n°2004-228 du 15 mars 2004).

Auparavant, une application au cas par cas pouvait laisser les acteurs de terrain un peu désemparés, voire être la cible d’attaques au moins verbales puisque c’est eux qui sur place endossaient la responsabilité de telle ou telle action (voir ici par exemple). Au risque, aussi , d’une forte hétérogénéité des positions des uns et des autres au niveau national. Mais les censures étaient moins à craindre, juridiquement, pour l’administration, chaque dossier étant supposé travaillé au cas par cas.

Le Ministère a désormais voulu marquer un point d’arrêt net au port de ces vêtements (ce que l’on peut critiquer ou louer selon les points de vue de chacun). Les risques juridiques de cette nouvelle position étaient un peu plus grands car il n’était pas impossible que le juge estime que parfois ces vêtements peuvent être un choix esthétique voire ethnique, mais non nécessairement religieux (je ne dis pas que c’est le cas, ou pas…. j’évoque juste ce qu’allaient être, et ont été, les arguments des requérants  ; voir par exemple ici la position du CFCM en ce sens).

Mais cette relative prise de risque, pour le Ministère, restait limitée justement parce que le droit avait changé en 2004.

 

Voir aussi :

 

 

II. Sources sur le type d’habits dont nous parlons (sources ne traitant pas du vécu des personnes qui les portent ni de ce qu’elle veulent exprimer, mais présentant déjà ce dont il s’agit techniquement)

 

Sur les différences entre abaya, niqab, qamis, hijab, tchador, etc., voir :

 

Et sur le tchador version K2000 :

III. L’état du droit en ce domaine, avant et après la réforme de 2004

 

Avant la loi, précitée, du 15 mars 2004, le Conseil d’Etat censurait les interdictions trop générales.

Ainsi, dans son arrêt M. Kherouaa et a., n°130394, du 2 novembre 1992, le Conseil d’Etat imposait que la liberté de conscience des éléments!ves puisse être exprimée. Citons les tables du rec. d’alors :

« […] article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 et qui est l’un des éléments de la laïcité de l’Etat et de la neutralité de l’ensemble des services publics, impose que l’enseignement soit dispensé dans le respect, d’une part, de la liberté de conscience des élèves. Il interdit conformément aux principes rappelés par les mêmes textes et les engagements internationaux de la France toute discrimination dans l’accès à l’enseignement qui serait fondée sur les convictions ou croyances religieuses des élèves. La liberté ainsi reconnue aux élèves comporte pour eux le droit d’exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires, dans le respect du pluralisme et de la liberté d’autrui, et sans qu’il soit porté atteinte aux activités d’enseignement, au contenu des programmes et à l’obligation d’assiduité. »

Avec en conséquence le fait que, dans les établissements scolaires :

le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestation de croyances religieuses, mais cette liberté ne saurait permettre aux élèves d’arborer des signes d’appartenance religieuses qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l’élève ou d’autres membres de la communauté éducative, compromettraient leur santé ou leur sécurité, perturberaient le déroulement des activités d’enseignement et le rôle éducatif des enseignants, enfin troubleraient l’ordre dans l’établissement ou le fonctionnement normal du service public. »

C’était bel et bon mais cela conduisait les acteurs de terrain à rentrer dans des abîmes de subtilité pour distinguer la manifestation religieuse ostentatoire ou prosélyte de celle qui, tout en étant distinguable, ne pouvait être ainsi qualifiée.

Le juge pouvait être cependant strict. Le TA de Caen a ainsi rendu un jugement sévère, mais assez conforme à la tendance actuelle du juge administratif en ce domaine :

« Mlle K. s’est présentée, le jour de la rentrée, revêtue d’un voile noir auquel elle a substitué, à compter du 21 septembre 2004, un bonnet noir brodé, puis à compter du 29 septembre, un bonnet noir en laine ». 

Ce bonnet noir pourrait être un couvre chef usuel. Mais selon le tribunal, cette élève « a fait du bonnet la marque substitutive et la manifestation ostensible de son appartenance à la religion musulmane » alors déjà interdit par l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation… et comme cette « décision intervient après l’échec de la phase de dialogue […] et le refus persistant de l’élève de se défaire [de ce] couvre-chef », cette élève a pu même être légalement exclue définitivement du collège, sanction qui n’est donc pas mineure pour une élève qui l’est et pour un péché qui n’est pourtant pas mortel (TA, CAEN, 07.06.2005, M. et Mme K., n° 0500301 ; voir ensuite la confirmation de cette jurisprudence avec CE, 10 juin 2009, Kervanci, n° 306833).

Mais tout cela, c’était avant. Avant la loi de 2004 et avant la formulation actuelle de l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation ainsi formulé :

«Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.

« Le règlement intérieur rappelle que la mise en oeuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève. »

Le critère de l’ostentation demeure. Mais on le voit, l’économie de ce régime change.

La position du juge n’en est pas sortie assouplie, bien au contraire. Voir, pour une application du droit après 2004  :

« que le carré de tissu de type bandana couvrant la chevelure de Mlle G. était porté par celle-ci en permanence et qu’elle-même et sa famille avaient persisté avec intransigeance dans leur refus d’y renoncer, la cour administrative d’appel a pu, sans faire une inexacte application des dispositions de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation, déduire de ces constatations que Mlle G. avait manifesté ostensiblement son appartenance religieuse par le port de ce couvre-chef, qui ne saurait être qualifié de discret, et, dès lors, avait méconnu l’interdiction posée par la loi. »
CE, 5 déc. 2007, n° 295671, au rec.

Plus dur encore et portant nettement sur un habit qui où la connotation religieuse pouvait sembler mêlée à une référence culturelle (comme pour l’abaya) :

« Considérant qu’en estimant que le keshi sikh (sous-turban), porté par Ranjit A dans l’enceinte scolaire, bien qu’il soit d’une dimension plus modeste que le turban traditionnel et de couleur sombre, ne pouvait être qualifié de signe discret et que l’intéressé, par le seul port de ce signe, a manifesté ostensiblement son appartenance à la religion sikhe, la cour administrative d’appel de Paris n’a pas fait une inexacte application des dispositions de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation ; »
Conseil d’État, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 05/12/2007, 285394, Publié au recueil Lebon

 

Autre illustration : le fait pour des élèves participant à une classe de neige d’avoir occupé une salle pour faire des prières a pu être considéré par une cour administrative d’appel comme un acte de prosélytisme contraire au principe de laïcité, justifiant à la fois l’interdiction de procéder ainsi qui leur fut faite et les sanctions qui en résultèrent.

Source : CAA Lyon, 6ème ch., 18 avril 2013, n ̊ 12LY01888

 

IV. Abordons aussi les autres régimes juridiques permettant de raisonner par une certaine analogie. Ce qui n’est à confondre ni avec le droit dans l’enseignement supérieur, ni avec celui applicable aux agents. Cependant, l’évolution de ce droit (l’arrêt récent concernant les footballeuses notamment) indiquait le sens de l’évolution générale du droit en ces domaines…

 

Certes, par contraste, en matière d’enseignement supérieur, la liberté individuelle prévaut, entre adultes égaux et supposés responsables. Le 6 février 2015, un professeur a même été renvoyé de l’Université Paris XIII après avoir refusé de faire cours devant une étudiante voilée :

http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/03/06/interdire-le-port-du-voile-a-l-universite_4588888_3232.html#T9ihXIX9rgxLAoWl.99

Le 15 décembre 2015, l’Observatoire de la Laïcité a estimé qu’il n’était ni utile ni opportun de légiférer sur le port de signes religieux par les étudiants de l’enseignement supérieur:

http://www.gouvernement.fr/observatoire-de-la-laicite

On rappellera de plus que le principe de laïcité ne s’oppose pas à ce qu’un ministre du culte soit président d’une université (arrêt Syndicat national de l’enseignement supérieur SNESUP-FSU en date du 27 juin 2018 (req. n° 419595) du Conseil d’État)…

Plus largement, en fonction publique, de manière plus générale, par exemple, il a été posé que la barbe n’est pas en soi un signe religieux (Conseil d’État, arrêt Monsieur A… c/ centre hospitalier de Saint-Denis en date du 12 février 2020, req. n° 418299). 

Mais la rigueur continue de s’imposer pour les adultes, notamment pour ceux intervenant dans les services publics en contact avec le public (Cour de Cassation, chambre sociale, 19 mars 2013, 12-11.690, Bulletin V, n°76)… et même, en tout en partie en raison de la loi séparatisme, pour les règles internes par exemple à la Fédération française de football (voir CE, 29 juin 2023, n°458088-4595478-463408 ; voir notre article FFF 1 ; Hijab Ø… Vision stricte du principe de neutralité 1 ; jurisprudences usuelles sur la liberté de s’habiller Ø. ).

Lle  Tribunal administratif d’Amiens a rendu, le 15 décembre 2015, une décision souple dans le cas de sorties scolaires concernant la commune de Méru. Le juge a estimé que sur la voie publique les accompagnantes pouvaient sans rompre le principe de laïcité porter un voile (la position du juge eût sans doute été différente en cas de voile intégral).

Sources : TA Amiens, 15 décembre 2015, n° 1401797, Mme Loubna A. 

Voir avec les conclusions 

http://amiens.tribunal-administratif.fr/A-savoir/Lettre-de-la-jurisprudence/Le-port-du-voile-islamique-par-les-meres-d-eleves-accompagnant-une-sortie-scolaire

OUI mais la CAA de Lyon avait ensuite donné un violent un coup de barre anti-voile strict, mais dans un cadre particulier.

Cette Cour a ainsi estimé que ce principe de laïcité et respect du principe de neutralité des services publics s’impose à la participation de mères d’élèves qui n’auraient pas une tenue neutre. Comprendre : les mères ne peuvent accompagner les activités scolaires car leur bénévolat (collaboration occasionnelle au service), alors, les fait s’assimiler à des fonctions assimilables à celles des enseignants LORSQU’ELLES SONT À L’INTÉRIEUR DES CLASSES (sous entendu une solution eût pu être, et sans doute aurait été, différente pour des questions de sorties scolaires).

Voici cette décision :

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE LYON, 3ème chambre, 23/07/2019, 17LY04351

 

Voir aussi :

 

V. Application à l’abaya par une première décision du juge des référés du Conseil d’Etat le 7 septembre 2023 : l’absence de censure par le juge, surtout dans le cadre strict du référé liberté, était donc probable même si le Ministère sur un détail avait pris un petit risque

 

Bref, le principe de non ostentation religieux, glissant vers une interdiction de ce qui est identifié comme tel même sans prosélytisme, est acté et validé par le juge. C’est ainsi.

Oui mais dire que l’Abaya EST un signe religieux était-il une généralisation susceptible d’être sanctionnée car contraire au principe d’examen au cas par cas ?

Encore une fois, la question au sein du présent blog n’est pas de savoir si en tant que citoyens nous sommes d’accord ou non avec cet état du droit (j’ai évidemment un point de vue sur cette question, mais je n’ai pas de raison de vous l’infliger, cher ami lecteur)… mais de savoir si la circulaire était légale ou non.

L’association Action droits des musulmans a demandé au juge des référés du Conseil d’État de suspendre en urgence cette circulaire.

Le juge des référés a été saisi sur le fondement de la procédure de « référé-liberté » de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.
Il faut rappeler qu’en vertu de cet article, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale.

Cela impose cumulativement :

  • une atteinte grave et manifestement illégale, certes, à ladite liberté fondamentale (y compris en cas de carence de l’action de l’autorité publique oui bien sûr) ;
  • qu’à très bref délai des mesures de sauvegarde nécessaire puissent être utilement prises (ce qui est conforme à l’office du juge en pareil cas).

Voir aussi : Référé liberté : forces et déséquilibres d’une ascension [VIDEO Landot & associés ; Weka]

Autrement dit, même quand une liberté fondamentale est en cause, même en cas de très grande urgence, cette voie est à manier avec plus de précaution qu’il ne l’est fait usuellement (le recours à cette voie rapide étant devenu un réflexe pour certains requérants plus pressés qu’avisés).

Or, le Conseil d’Etat, après ses décisions précitées sur le sous-turban sikh (Conseil d’État, 4ème et 5ème sous-sections réunies, 05/12/2007, 285394, Publié au recueil Lebon) ou, plus récent mais plus éloigné quant au droit applicable, sur le fait que la FFF peut interdire le voile aux footballeuses (voir la décision précitée CE, 29 juin 2023, n°458088-4595478-463408)… ne pouvait, surtout en référé liberté, que censurer des illégalités flagrantes ou, plus précisément, des tteinte grave et manifestement illégale, aux libertés.

Or, le fait d’estimer que :

  • l’abaya peut être un habit religieux contraire au droit français (encore une fois que l’on soit d’accord ou pas avec cet état du droit, ou qu’on souhaite le changer… est un autre sujet)… ça c’est une certitude au regard des jurisprudences précitées… si même un bandana ou un bonnet peuvent l’être (arrêts 295671 et 306833 précités)
  • que cet abaya puisse être présumé religieux avec ce qui eût pu être une étude au cas par cas était aussi une solution à la légalité indiscutable au regard de ce qu’est le droit français à ce jour
  • que cet abaya soit considéré comme religieux sans que l’examen au cas par cas demeure restait la seule inconnue réelle de ce contentieux… Une nuance importante. Mais sans doute trop subtile pour fonder beaucoup d’espoir sur son examen… alors que celui-ci était en référé liberté, d’une part, et alors que la décision sur les footballeuses précitée (CE, 29 juin 2023, n°458088-4595478-463408)… certes dans un autre cadre juridique, reste toute fraîche et qu’elle conduisait elle aussi pour le juge à accepter des solutions assez tranchées, à tout le moins, en ce domaine des habits pouvant avoir une connotation religieuse.

 

C’est donc sans grande surprise, ce 7 septembre 202, que le juge des référés du Conseil d’Etat a estimé, en l’état de l’instruction, que cette interdiction ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée, à la liberté de culte, au droit à l’éducation et au respect de l’intérêt supérieur de l’enfant ou au principe de non-discrimination.

Il commence par rappeler le principe de base :

« Il résulte de ces dispositions que, si les élèves des écoles, collèges et lycées publics peuvent porter des signes religieux discrets, sont en revanche interdits, d’une part, les signes ou tenues, tels notamment un voile ou un foulard islamique, une kippa ou une grande croix, dont le
port, par lui-même, manifeste ostensiblement une appartenance religieuse, d’autre part, ceux dont le port ne manifeste ostensiblement une appartenancereligieuse qu’en raison du comportement de l’élève. »

Le juge des référés du Conseil d’État relève ensuite que le port de l’abaya et du qamis au sein des établissements scolaires, qui a donné lieu à un nombre de signalements en forte augmentation au cours de l’année scolaire 2022-2023, s’inscrit dans une logique d’affirmation religieuse, ainsi que cela ressort notamment des propos tenus au cours des dialogues engagés avec les élèves.

Donc le juge accepte la sorte de présomption presque irréfragable de religiosité de cet habit.

Il le fait via un point 5 qui est évidemment le plus discuté, déjà, en ligne :

« 5. Il résulte de l’instruction que les signalements d’atteinte à la laïcité liés au port de signes ou de tenuesméconnaissant les dispositions de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation dans les établissements d’enseignement publics ont connu une forte augmentation au cours de l’année scolaire 2022-2023, avec 1 984 signalements contre 617 au cours de l’année scolaire précédente. Il résulte des éléments versés à l’instruction et notamment des indications données lors de l’audience de référé que ces signalements ont trait, en grande majorité, au port par des élèves d’écoles, de collèges et de lycées publics de tenuesde type abaya, terme dont les représentants de l’administration ont indiqué au cours de l’audience qu’il doit s’entendre d’un vêtement féminin couvrant l’ensemble du corps à l’exception du visage et des mains, ou gamis, son équivalent masculin, et que le choix de ces tenues vestimentaires s’inscrit dans une logique d’affirmation religieuse. Le ministre fait à cet égard valoir que le port de ces vêtements s’accompagne en général, notamment au cours du dialogue engagé, en application des dispositions législatives précitées, avec les élèves faisant le choix de les porter, d’un discours mettant en avant des motifs liés à la pratique religieuse, inspiré d’argumentaires diffusés sur des réseaux sociaux. »

Mais ceux qui sont surpris par cette rédaction à mon sens ne doivent pas faire beaucoup de référés libertés… Car un tel raisonnement repose sur un examen, avec les moyens dont dispose le juge, de la réalité sociale qu’il s’agit d’encadrer en droit, pour apprécier la proportionnalité des mesures et pour qualifier, de religieux ou non, cet habit. Rien que de très ordinaire, surtout en référé, surtout en référé liberté.

Ajoutons sur ce point que tous ceux qui ont estimé que cette mesure était islamophobe tout en proclamant, dans la même phrase, que ce n’est pas un habit manifestant une religion de manière ostentatoire, ont tenu un discours qui ne pouvait que conduire le juge à accepter cette présomption établie par le ministère et qui, là encore, était le seul point en droit un peu susceptible d’être débattu.

Pour ces raisons, le juge des référés du Conseil d’État rejette la demande de l’association Action droits des musulmans. CQFD. Fin de la chronique d’un référé dont l’échec était plus qu’annoncé.

Reste à savoir ce que nous voulons en tant que citoyens en tant que modèle de société et de laïcité (notre régime de laïcité étant très éloigné de la plupart de celui des autres pays occidentaux, ce que les français ignorent souvent). Mais c’est un autre sujet.

En attendant, voici cette ordonnance sans surprise :

CE, ord., 7 septembre 2023, Association Action droits des Musulmans, n° 487891

 

 

VI. Confirmation le 25 septembre 2023

 

Le juge des référés du Conseil d’État était cette fois-ci saisi selon la procédure de « référé-suspension », qui subordonne la suspension d’un acte administratif à deux conditions : une situation d’urgence et l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de cet acte.

Le juge des référés relève, au vu des éléments produits à l’instruction, que le port de l’abaya et du qamis au sein des établissements scolaires, qui a donné lieu à un nombre de signalements en forte augmentation au cours de l’année scolaire 2022-2023, s’inscrit dans une logique d’affirmation religieuse, ainsi que cela ressort notamment des propos tenus au cours des dialogues engagés avec les élèves. Or la loi interdit, dans l’enceinte des établissements scolaires publics, le port par les élèves de signes ou tenues manifestant de façon ostensible, soit par eux-mêmes, soit en raison du comportement de l’élève, une appartenance à une religion.

Le juge des référés estime en conséquence qu’en l’état de l’instruction, il n’apparaît pas que le ministre aurait inexactement qualifié le port de l’abaya ou du qamis dans les établissements scolaires publics de manifestation ostensible d’appartenance religieuse et méconnu l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation en interdisant le port de ces vêtements indépendamment de toute appréciation du comportement des élèves concernés.

Le juge écarte également comme n’étant pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la circulaire le moyen tiré de ce qu’elle définit de manière trop imprécise les tenues vestimentaires en cause.

Pour ces raisons, le juge des référés du Conseil d’État rejette la demande de l’association La voix lycéenne, l’association Le poing levé et du syndicat SUD Éducation. Après cette décision provisoire rendue en urgence, le Conseil d’État rendra une décision définitive ultérieurement, à l’issue d’une instruction approfondie (jugement « au fond »).

 

Citons le Conseil :

« 6. Il résulte de l’instruction que les signalements d’atteinte à la laïcité liés au port de signes ou de tenues méconnaissant les dispositions de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation dans les établissements d’enseignement publics ont connu une forte augmentation au cours de l’année scolaire 2022-2023, avec 1 984 signalements contre 617 au cours de l’année scolaire précédente. Il résulte des éléments versés à l’instruction et notamment des indications données lors de l’audience de référé que ces signalements ont trait, en grande majorité, au port par des élèves d’écoles, de collèges et de lycées publics de tenues de type abaya, terme dont les représentants de l’administration ont indiqué au cours de l’audience qu’il doit s’entendre d’un vêtement féminin couvrant l’ensemble du corps à l’exception du visage et des mains, ou qamis, son équivalent masculin, et que le choix de ces tenues vestimentaires s’inscrit dans une logique d’affirmation religieuse. Le ministre fait à cet égard valoir que le port de ces vêtements s’accompagne en général, notamment au cours du dialogue engagé, en application des dispositions législatives précitées, avec les élèves faisant le choix de les porter, d’un discours mettant en avant des motifs liés à la pratique religieuse, inspiré d’argumentaires diffusés sur des réseaux sociaux.
7. Dans ces conditions, n’est pas de nature à faire naître, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la note de service du 31 août 2023 le moyen tiré de ce que le ministre aurait inexactement qualifié le port, en milieu scolaire, de ce type de vêtements, qui ne peuvent être regardés comme étant discrets, de manifestation ostensible de l’appartenance religieuse des élèves concernés au sens et pour l’application des dispositions de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation. Ne sont, par suite, pas davantage de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée les moyens tirés de ce que le ministre, en interdisant le port de ce type de vêtements dans les établissements scolaires publics indépendamment de toute appréciation du comportement des élèves concernés, aurait excédé l’étendue de sa compétence et méconnu les dispositions de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation ainsi que celles de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat. Enfin, n’apparaît pas de nature à faire naître un doute sérieux le moyen tiré de ce que la mise en œuvre de la note de service attaquée, faute pour celle-ci de donner une définition précise des tenues vestimentaires en cause, serait de nature à conduire à un traitement discriminatoire entre les élèves concernés.

 

Source :

CE, ord., 25 septembre 2023, n° 487896-487975

 

Post-scriptum : occupons-nous maintenant du vrai sujet : le droit, à l’école, de porter le couvre-chef  du pastafarisme

 

Et maintenant, passons au vrai débat. Celui de l’acceptation du pastafarsime avec port de la passoire en guise de couvre-chef :

 

Touché par Son Appendice Nouillesque, parodie de La Création d’Adam de Michel-Ange, est une représentation iconique du Monstre de spaghetti volant. – source : Wikipedia et source d’origine (domaine public) http://www.androidarts.com/fsm/
Source : Wikipedia : Grande mostro di spaghetti volanti al Presidio anticlericale, Milano, 2 June 2012 – Foto di Giovanni Dall’Orto.jpg