Interêt personnel : la Cour des comptes persiste et signe (Régie régionale des transports des Landes)

Dans le cadre du nouveau régime de responsabilité unifiée des ordonnateurs et des comptables, en vigueur depuis le 1er janvier 2023, une des relatives surprises du premier arrêt rendu par la Cour des comptes avait porté sur la notion d’intérêt personnel, dans la liste des anciennes et nouvelles infractions financières. 

Dans cette 1e affaire jugée (C. cptes, 11 mai 2023, Alpexpo, n°Arrêt n° S-2023-0604 aff 836), la Cour des comptes avait adopté une interprétation très stricte des infractions est matière d’intérêt personnel… et dans une nouvelle affaire « Régie régionale des transports des Landes », le juge de la rue Cambon persiste et signe (avec quelques détails différents de raisonnement).

Une position qui sera à l’avenir confirmée ou infirmée par la Cour d’appel financière

Crédits photographiques : montage depuis une photo (collection personnelle), d’une part, et une photo d’Alexas Fotos (Pixabay)

 

 

Au coeur de ce débat, se trouve l’infraction financière de l’article L.131-12, du CJF (code des juridictions financières), lequel dispose que :

« Tout justiciable au sens des articles L. 131-1 et L. 131-4 qui, dans l’exercice de ses fonctions ou attributions, en méconnaissance de ses obligations et par intérêt personnel direct ou indirect, procure à une personne morale, à autrui, ou à lui-même, un avantage injustifié, pécuniaire ou en nature, est passible des sanctions prévues à la section 3. »

Pour les infractions constituées à compter du 1er janvier 2023, ce régime large s’applique.

Et puis rappelons qu’en ces domaines… de toute manière, s’appliquent aussi les sanctions, ô combien plus féroces, de la prise illégale d’intérêts telle que définie à l’article 432-12 du Code pénal…

Mais, pour en rester à la responsabilité financière, si les faits ont été commis avant le 1er janvier 2023.. alors la personne ne sera condamnée par la Cour des comptes que si l’on prouve qu’elle pouvait être poursuivie (notamment — mais pas seulement — devant la CDBF) au titre du régime antérieur.

Or, l’infraction financière antérieure, prévue en droit relevant de la CDBF jusqu’au 31 décembre 2022, était un brin moins étendue en ce qu’elle censurait les avantages à autrui, mais non les avantages à soi-même : l’article L. 313-6 du CJF en vigueur permettait seulement de sanctionner l’octroi d’avantages à autrui, de sorte que la Cour a considéré que les nouvelles dispositions ne pouvaient être mises en œuvre de façon rétroactive.

Sauf que s’accorder des avantages à soi-même pouvait aussi être poursuivi antérieurement, selon le Ministère public qui, sur ce point, s’appuyait non sans solidité, aussi, sur le fondement de l’article L. 313-4 du CJF dans sa version antérieure à 2023.

Dans l’affaire Alexpo, précitée, c’est pas un raisonnement un brin alambiqué (et, pour tout dire, qui nous semble pouvoir être débattu) que la Cour avait rejeté cette partie du réquisitoire :

« 38. S’il apparaît bien que l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée n’a pas, sur ce point précis, élargi le périmètre des faits sanctionnables, du moins en apparence, il demeure que le nouvel article L. 131-12 du code des juridictions financières décrit une infraction qui présente les caractéristiques d’une loi complexe, modifiant la loi ancienne sur deux points non divisibles de sens opposé. Au cas d’espèce, l’extension portée par l’ordonnance précitée de l’infraction aux avantages indus procurés à soi-même, ne peut avoir de portée rétroactive et s’appliquer à des faits survenus avant le 1er janvier 2023.
« 39. Au reste, bien que le fait de procurer à soi-même un avantage indu aurait pu être appréhendé, jusqu’au 31 décembre 2022, au titre de l’article L. 313-4 du code des juridictions financières, dès lors qu’était prouvé un manquement à une règle d’exécution de la dépense, les conditions nouvelles dont un tel manquement est aujourd’hui assorti par l’article L. 131-9, ne permettent pas de qualifier ici une infraction sur le fondement de la loi nouvelle.»
Source : C. cptes, 11 mai 2023, Alpexpo, n°Arrêt n° S-2023-0604 aff 836

Sur cette décision, voir :

 

Cette position était discutable. Et elle sera discutée. Puisqu’il a été formé appel de cette décision, laquelle sera donc rejugée par la toute nouvelle Cour d’appel financière

En attendant dans une autre affaire, voici que la Cour des comptes persiste et signe.

Le Procureur général avait renvoyé devant la Cour le directeur de la « Régie régionale des transports des Landes (RRTL) », en poste jusqu’en septembre 2019, pour s’être procuré à lui- même un avantage injustifié, en méconnaissance de ses obligations et par intérêt personnel direct.

Il était fait grief à celui-ci de s’être octroyé, en signant les justificatifs et en prescrivant l’exécution des dépenses correspondantes, des remboursements de frais de déplacement et de repas auxquels il n’apparaissait pas avoir droit. Plusieurs d’entre eux étaient en effet présumés sans lien avec les besoins ou les nécessités du service, d’autres relevaient de la prise en charge de trajets effectués vers son lieu de travail habituel, à partir d’une localité où il ne résidait pas. Enfin, il lui était reproché d’avoir pu bénéficier de remboursements de frais de repas pris sur ce lieu de travail.

Saisie de ces faits, qui étaient intervenus avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics, la Cour a repris le même raisonnement. Elle a noté que l’avantage à soi-même était sanctionné antérieurement à la réforme, sur le fondement d’une infraction aux règles d’exécution des recettes et des dépenses (ancien article L. 313-4 ancien du code des juridictions financières). Elle en a donc déduit qu’au moment des faits, l’octroi d’un avantage injustifié à soi-même ne constituait pas une infraction autonome et définie comme telle.

Elle au aussi comme dans l’affaire Alpexpo, a constaté que l’infraction aux règles d’exécution des recettes et des dépenses était désormais définie par l’article L. 131-9 du code des juridictions financières, qui est d’application plus douce. Cependant, elle a relevé que le directeur n’était pas poursuivi sur ce fondement… Le Parquet financier a du apprécier.

 

Gageons, puisqu’un appel a été fait par le Parquet dans l’affaire Alpexpo, pour les mêmes motifs, que cette décision elle-aussi prendra le chemin de la Cour d’appel financière.

En attendant, voici ce nouvel arrêt :

Cour des comptes, 20 octobre 2023, Régie régionale des transports des Landes (RRTL), n° S-2023-1184