Peut-on scolariser des rom, à part des écoles, dans un gymnase ?

Source iconographique : photo de Jess Watters on Unsplash

Réponse NON

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Les articles L.2121-30 du Code général des collectivités territoriales et L.212-1 du Code de l’éducation posent que : « Le conseil municipal décide de la création et de l’implantation des écoles et classes élémentaires et maternelles d’enseignement public après avis du représentant de l’État dans le département. »

NB  : voir plus largement notre article La commune est-elle libre d’implanter ses écoles où bon lui semble ? 

La commune est libre de la sectorisation entre écoles publiques sur son territoire, si elle en dispose de plusieurs, même si les contraintes, commune par commune, nées de la carte scolaire (ventilation des effectifs enseignants) vident cette liberté de sa réalité, au moins pour les communes n’ayant qu’une seule école ou qui en partagent avec leurs voisines.

Reste que le découpage entre écoles pourra donner lieu à un examen, par le juge, de l’existence ou non d’une « erreur manifeste d’appréciation ».

Exemple : un maire avait fixé par arrêté la sectorisation scolaire entre deux écoles communales. Une association a contesté la sectorisation ainsi opérée. Le juge administratif a confirmé qu’en pareil cas il n’opérait qu’un « contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation » : c’est-à-dire que le juge va vérifier que l’arrêté a bien été adopté en respectant les formes et les procédures en vigueur, mais sur la pertinence même de la décision en opportunité, le contrôle juridictionnel sera relativement minimal (CAA Marseille, 24 novembre 2008, Assoc. École et territoire, req. n° 06MA02230).

Attention cependant :

  • des règles existent pour les hameaux distants de 3 km du bourg et qui ont au moins 15 enfants en âge scolaire, d’une part et pour les es communes distantes de moins de 3 km entre elles lorsque l’une de ces communes compte moins de 15 élèves, d’autre part (article L. 212-2 du Code de l’éducation ; CE, Ass., 31 mai 1985, MEN c/ Association d’éducation populaire de l’école Notre-Dame d’Arc-lès-Gray, req. n° 55925, rec. 167
    CE, 31 mai 1985, Ville de Moissac, req. n° 42669, rec. 168)
  • tout ceci n’est pas à confondre avec les règles de création ou de suppression d’écoles ou de classes ni, encore plus, d’intercommunalisation de la compétence.
  • ni avec les règles d’inscription scolaire.

 

Sur cette base, peut-on aller au bout de la logique en inventant une sorte d’école hors les murs, dans des locaux qui ne sont pas prévus à cet effet, pour un public spécifique, à savoir des roms ?

Citons les faits tels que narrés par le Conseil d’Etat :

« 1. […] des adultes, accompagnés d’enfants, de nationalité roumaine et d’origine rom, se sont installés sans autorisation dans le courant de l’année 2012 sur un terrain situé sur le territoire de la commune de Ris-Orangis à proximité de la route nationale 7. Ces enfants, après que le maire eut, au mois de septembre 2012, d’abord refusé de les inscrire sur la liste des enfants à scolariser, ont été scolarisés dans un local de la commune de Ris-Orangis, attenant à un gymnase, à compter du 21 janvier 2013, ces modalités de scolarisation, hors de tout établissement scolaire, ayant pris fin le 19 février 2013, date à laquelle les enfants ont été, sur réquisition du préfet de l’Essonne, scolarisés dans des écoles de la commune. […] .»

S’en suit donc un litige indemnitaire sur la base de ce mois de vraie-fausse scolarisation en gymnase.

Vraie-fausse car de toute manière les règles propres aux locaux scolaires ne sont pas respectées en pareil cas (voir à ce sujet notre ouvrage publié aux éditions territoriales).

Qu’une telle circonstance violait le principe d’égalité a été ainsi reconnu par le Conseil d’Etat :

« 9. En premier lieu, il résulte de l’instruction que la décision conjointe du maire de la commune de Ris-Orangis, au nom de la commune, et de l’Etat, révélée par l’accueil et la scolarisation, à compter du 21 janvier 2023, de douze enfants de nationalité roumaine et d’origine rom, âgés de cinq à douze ans, dont ceux des demandeurs, dans un local attenant à un gymnase municipal, aménagé en salle de classe au moyen d’équipements sommaires, hors de tout établissement scolaire et à l’écart des autres enfants scolarisés de la commune, alors que des places étaient disponibles dans des écoles de la commune, les privant ainsi en particulier de l’accès au service de restauration scolaire et aux activités complémentaires ou périscolaires organisées au sein des écoles, méconnaît le principe d’égalité de traitement des usagers du service public, quelle que soit leur origine, et est entachée d’illégalité pour ce motif, ainsi que le juge d’ailleurs la décision n° 441979 de ce jour du Conseil d’Etat, statuant au contentieux. Cette décision entachée d’illégalité est constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité solidaire de la commune de Ris-Orangis et de l’Etat à l’encontre des demandeurs, pour autant qu’elle ait été à l’origine d’un préjudice direct et certain pour eux.»

 

Avec une condamnation solidaire de l’Etat et de la commune :

« 10. En second lieu, il résulte de l’instruction que la scolarisation de H… E… et C… G…, enfants de Mme G… et M. E…, dans de telles conditions, a duré quatre semaines et que, durant cette période, comme l’atteste la lettre adressée en date du 5 février 2013 par le Défenseur des droits au maire de Ris-Orangis et rappelée par le préfet de l’Essonne dans ses réquisitions, les enfants n’ont pu bénéficier que d’une forme dégradée de scolarisation délivrée dans un cadre inapproprié, à l’écart des autres enfants accueillis dans les écoles de la commune, sans pouvoir accéder au service de restauration scolaire et aux activités complémentaires et périscolaires organisées au sein des écoles de la commune. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Mme G… et M. E… et leurs enfants à raison de cette situation, en évaluant l’indemnité due, à ce titre, solidairement par la commune de Ris-Orangis et l’Etat, à la somme de 800 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2017. La capitalisation des intérêts a été demandée pour prendre effet le 28 avril 2018, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière. Il y a lieu, dès lors, de faire droit à cette demande de capitalisation tant à cette date qu’à chaque échéance annuelle ultérieure.»

Source :

Conseil d’État, 8 décembre 2023, n° 438289

C’est dans cette même affaire sans surprise qu’on notera que le juge a également censuré la décision d’inscription concernée :

« 16. La décision litigieuse, révélée par l’accueil et la scolarisation, à compter du 21 janvier 2023, de douze enfants de nationalité roumaine et d’origine rom, âgés de cinq à douze ans, dans un local attenant à un gymnase municipal, aménagé en salle de classe au moyen d’équipements sommaires, hors de tout établissement scolaire et à l’écart des autres enfants scolarisés de la commune, alors que des places étaient disponibles dans des écoles de la commune, les privant ainsi en particulier de l’accès au service de restauration scolaire et aux activités complémentaires ou périscolaires organisées au sein des écoles, méconnaît le principe d’égalité de traitement des usagers du service public, quelle que soit leur origine. Les requérants sont donc fondés à soutenir que cette décision qui, ainsi qu’il a été dit, a été prise conjointement par le maire au nom de la commune de Ris-Orangis et par l’Etat, est illégale pour ce motif. »

 

Avec, en droit, une distinction intéressante car dans cette seconde décision, le Conseil d’Etat :

  • pose que le maire agit au nom de la commune lorsqu’il décide de l’inscription d’un enfant dans une école de la commune en fonction de la sectorisation définie par délibération du conseil municipal et délivre le certificat d’inscription qui indique l’école que l’enfant doit fréquenter.
  • alors qu’il est utile de rappeler que le même Conseil d’Etat estime que le maire agit au nom de l’Etat lorsqu’il dresse la liste des enfants résidant sur le territoire de sa commune qui sont soumis à l’obligation scolaire (CE, 19 décembre 2018, Commune de Ris-Orangis, n° 408710, rec. T. pp. 578- 902).

 

Source :

Conseil d’État, 8 décembre 2023, n° 441979, aux tables du recueil Lebon

Voir aussi :

 

 

Source iconographique : photo de Jess Watters on Unsplash