Nouvelle décision du 11 mars 2024 : le Czabaj est toujours vivant… retranché derrière les colonnes de Buren du Conseil d’Etat

Czabaj ! Czabaj outragé (par la CEDH en 2023) ! Czabaj cassé (le 8 mars 2024) ! Czabaj martyrisé ! Mais Czabaj libéré (de nouveau par le Conseil d’Etat le 11 mars 2024). 

Enfin… libéré disons le vite. Car c’est retranché derrière les colonnes de Buren du Conseil d’Etat, interdit de séjour ailleurs, que Czabaj vit, désormais, cloîtré. Mais avec, ce 11 mars 2024, un régime précisé en termes de délais de recours quand dans la vie d’une procédure, une décision de la CADA a passé

Après la Czabaffe, Czaback (c).


 

Prenons-un à un les éléments de cette répétition lexicale :

  • Czabaj !
    Rappel pour les publicistes débutants : en vertu de la jurisprudence du même nom, les actes individuels non notifiés ou mal notifiés ne peuvent-il plus être attaqués indéfiniment (un délai — indicatif — d’un an pour engager un recours étant alors appliqué par le juge mais avec des modulations au cas par cas, à compter du moment où le requérant au su que cet acte avait été adopté, et ce au nom d’un principe de sécurité juridique par ailleurs très en forme ces temps-ci).
    CE, 13 juillet 2016, M. Czabaj, n°387763
  • Czabaj outragé (par la CEDH en 2023) !
    La CEDH a en effet estimé que c’était bien gentil, comme l’a fait le Conseil d’Etat en 2016, contre les termes clairs du Code de justice administrative, d’imposer ce délai indicatif d’un an comme étant un maximum.. mais qu’au nom de ce même principe, faute pour ce revirement de jurisprudence d’avoir eu des signes avant-coureur, au minimum faut-il que les requérants antérieurs ou juste postérieurs à cette décision de 2016 ne se voient pas appliquer cette règle qu’ils ne pouvaient prévoir.
    CEDH, 9 novembre 2023, Legros, n° 72173/17
  • Czabaj cassé (le 8 mars 2024) !
    Car la cour de cassation a estimé le 8 mars dernier qu’il ne convenait pas au monde judiciaire de se voir importer cet étrange produit contra legem qu’est l’arrêt Czabaj
    Cass. plén., 8 mars 2024, n° 21-12.560 et n° 21-21.230 [2 esp.], au Bull.
  • Czabaj martyrisé (par de nombreux commentateurs) !
    Bon là voir mon résumé ici :

  • Mais Czabaj libéré (de nouveau par le Conseil d’Etat le 11 mars 2024)

 

Car, pour pasticher Robert Lamoureux… « le Czabaj est toujours vivant »… Sauf donc qu’il ne peut sortir du Conseil d’Etat, tout comme le canard de Robert Lamoureux restait planqué en haut de son armoire. 

NB : souvenir d’enfance. OK boomer. Oui je sais. Revenons au Conseil d’Etat, voulez-vous ? 

Le Conseil d’Etat n’aura en effet pas tardé à :

  • 1/ symboliquement en réaffirmant que la jurisprudence CZABAJ n’a pas vocation à être abandonnée dans le monde public où, désormais, elle se retranche. Façon Camerone ou Fort Alamo.Plus que jamais, le tableau que je brossais vendredi dernier reste donc d’actualité. Le revoici, l’heure étant au recyclage :
  • 2/ préciser ce qu’il en est quand en ce domaine la procédure en est passée par une intervention de la CADA. Voici le futur résumé des tables :
    • « 1) En vertu des articles R. 311-12 et R. 311-13 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), le silence gardé par l’administration dans le délai d’un mois à compter de la réception d’une demande de communication de documents administratifs vaut décision de refus. L’article L. 342-1 de ce code subordonne la recevabilité du recours contentieux à la saisine pour avis de la commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Selon les dispositions des articles R. 343-4 et R. 343-5 du même code, le silence gardé par l’administration pendant un délai de deux mois à compter de l’enregistrement de la saisine de la CADA fait naître une décision implicite de confirmation de refus. Il en résulte que lorsque l’administration, saisie d’une demande de communication de documents administratifs, oppose un refus au demandeur postérieurement à la saisine de la CADA, cette décision doit être regardée comme la confirmation du refus de communication, susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, qui fait obstacle à la naissance d’une décision implicite à l’expiration du délai de deux mois mentionné à l’article R. 343-5.
      « 2) Il résulte des articles L. 112-3, L. 112-6, L. 412-3, R*. 311 12, R. 311-13, R. 311-15, et R. 343-3 à R. 343-5 du CRPA, et de celles des articles R. 421-1 et R. 421-5 du code de justice administrative (CJA) que le demandeur dispose d’un délai de deux mois à compter de la notification de la confirmation du refus de communication de documents administratifs qu’il a sollicités pour en demander l’annulation au tribunal administratif compétent, sous réserve qu’il ait été informé tant de l’existence du recours administratif préalable obligatoire devant la CADA et des délais dans lesquels ce recours peut être exercé que des voies et délais de recours contentieux contre cette confirmation. En l’absence de cette information, le demandeur peut demander l’annulation pour excès de pouvoir de cette décision dans un délai raisonnable à compter de la date à laquelle il en a eu connaissance. Sauf circonstance particulière, que ne constitue pas la notification de l’avis de la CADA, ce délai ne saurait excéder un an
    • et, plus placidement, sur le fond :« Les résultats de l’évaluation d’un établissement d’enseignement conduite en application des articles L. 241-12 et L. 241-14 du code de l’éducation constituent des documents administratifs dont la communication est régie par les dispositions du livre III du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), indépendamment de la publicité qui en est donnée par l’administration selon les modalités définies par le conseil d’évaluation de l’école sur le fondement du 2° de l’article L. 241-12 du code de l’éducation. Il en va de même des documents qui retracent les résultats des évaluations des acquis des élèves et qui ont, le cas échéant, été utilisés pour conduire l’évaluation des établissements dans lesquels ceux-ci sont scolarisés.»

 

Le Conseil d’Etat, cette fois, fait de la résistance.

Source :

CE, 11 mars 2024, Ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse c/. Société Benchmark, n°s 488227 488228, aux tables

NB lire ici les conclusions du rapporteur public M. Laurent DOMINGO :

 

Czabaj et son abondante postérité se cachant derrière les colonnes de Buren pour éviter les nombreux snipers émanant de la doctrine, de la CEDH et de la Cour de cassation. On voit leurs sourires de soulagement. Mais cette espèce protégée ne se hasarde plus guère hors de la réserve naturelle de la juridiction administrative.