Local communal et pratique religieuse : une décision culte !

Depuis 2011 et 2019, le Conseil d’Etat avait stabilisé sa jurisprudence sur le fait que l’exercice, ponctuel, d’un culte dans un local communal est possible, sous réserve que plusieurs conditions soient réunies (I).

La Haute Assemblée vient de préciser que cet exercice pourra parfois même être à titre gratuit, et ce en fonction de « la durée et des conditions d’utilisation du local communal, de l’ampleur de l’avantage éventuellement consenti et, le cas échéant, des motifs d’intérêt général justifiant la décision de la commune » (Aïd-el-Fitr en l’espèce).


 

I. Un usage cultuel ponctuel possible sous conditions

 

En 2011, le Conseil d’Etat libéralisait l’usage ponctuel de locaux communaux pour qu’un culte y soit célébré.

Citons cet arrêt CE, Assemblée, 19 juillet 2011, Commune de Montpellier, n° 313518, rec. p. 398 :

« Considérant que les dispositions de l’article L. 2144-3 du code général des collectivités territoriales prévoient que  » des locaux communaux peuvent être utilisés par les associations, syndicats ou partis politiques qui en font la demande. / Le maire détermine les conditions dans lesquelles ces locaux peuvent être utilisés, compte tenu des nécessités de l’administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l’ordre public. / Le conseil municipal fixe, en tant que de besoin, la contribution due à raison de cette utilisation  » ; que ces dispositions permettent à une commune, en tenant compte des nécessités qu’elles mentionnent, d’autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité, l’utilisation d’un local qui lui appartient pour l’exercice d’un culte par une association, dès lors que les conditions financières de cette autorisation excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte ; qu’une commune ne peut rejeter une demande d’utilisation d’un tel local au seul motif que cette demande lui est adressée par une association dans le but d’exercer un culte ;
«
Considérant, en revanche, que les collectivités territoriales ne peuvent, sans méconnaître les dispositions précitées de la loi du 9 décembre 1905, décider qu’un local dont elles sont propriétaires sera laissé de façon exclusive et pérenne à la disposition d’une association pour l’exercice d’un culte et constituera ainsi un édifice cultuel ;
« 
Considérant que la cour, tout en constatant que la délibération attaquée devant elle avait pour seul objet de réaliser une salle polyvalente et non d’autoriser son utilisation à des fins cultuelles ou de décider qu’elle serait laissée de façon exclusive et pérenne à la disposition d’une association pour l’exercice d’un culte, a jugé qu’elle avait décidé une dépense relative à l’exercice d’un culte, en méconnaissance de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 ; qu’elle a ainsi commis une erreur de droit ; que la COMMUNE DE MONTPELLIER est, dès lors, fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque ;

 

Ce mode d’emploi, en 2019, le Conseil d’Etat l’affinait (en précisant d’ailleurs que le régime contentieux en ce domaine), en posant :

  • qu’il est possible que soit ponctuellement exercé un culte par une association dans un local communal (au sens, large, de l’article L. 2144-3 du CGCT) à la quadruple condition :
    • que cette occupation ne soit ni exclusive ni pérenne (ou alors il faut basculer dans le régime des édifices cultuels qui est tout autre)
    • que soit respecté le principe d’égalité de traitement
    • qu’il soit tenu compte « des nécessités de l’administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l’ordre public »
    • qu’il n’en résulte aucune aide financière, aucune libéralité.
  • qu’une commune ne peut d’ailleurs pas rejeter une demande d’utilisation d’un tel local, si ces conditions se trouvent réunies, en se fondant sur l’unique motif que cette demande lui a été adressée par une association dans le but d’exercer un culte.

NB1 : attention à appliquer le régime de la loi du 1er Juin 1924 et le droit local (et non la loi de 1905) en Alsace et en Moselle…
NB2 : sur la laïcité, voir plus largement : https://blog.landot-avocats.net/?s=laïcité

Voir :

https://youtu.be/yHv4-BUQHNs

 

II. Une gratuité envisageable (avec prise en compte de la durée et des conditions d’utilisation du local communal, de l’ampleur de l’avantage éventuellement consenti et, le cas échéant, des motifs d’intérêt général justifiant la décision de la commune).

 

Or, ce mode d’emploi, le Conseil d’Etat vient de le compléter :

  • en rappelant que lorsque le conseil municipal détermine, en tant que de besoin, la contribution due par une association, dans un tel cas, à raison de l’utilisation d’un local communal en vertu des dispositions de l’article L. 2144-3 du CGCT, lesquelles dérogent à celles, générales, de l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), il lui appartient d’arrêter le montant de cette contribution, dans le respect du principe d’égalité, de telle façon qu’il ne soit pas constitutif d’une libéralité.
  • en posant que l’existence d’une telle libéralité prohibée :
    • ne saurait résulter du simple fait que le local est mis à disposition gratuitement,
    • est appréciée compte tenu de la durée et des conditions d’utilisation du local communal, de l’ampleur de l’avantage éventuellement consenti et, le cas échéant, des motifs d’intérêt général justifiant la décision de la commune.

 

En clair : ce peut même être gratuit en fonction du contexte (motifs d’intérêt général, évidents en l’espèce) et de la durée en question. 

 

En l’espèce, le maire de Nice avait autorisé l’association  » Union des Musulmans des Alpes-Maritimes  » à occuper à titre gratuit le théâtre municipal Lino Ventura pendant une matinée afin d’y célébrer la fête musulmane de l’Aïd-el-Fitr.

Sans grande surprise, le principe a été admis — ce point pouvant être un brin plus débattu avant cette nouvelle décision — y compris avec gratuité :

« 5. Ces dispositions du code général des collectivités territoriales permettent à une commune, en tenant compte des nécessités qu’elles mentionnent, d’autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité, l’utilisation, par une association pour l’exercice d’un culte, d’un local communal, tel que défini au point 4, à l’exclusion de toute mise à disposition exclusive et pérenne, dès lors que les conditions financières de cette autorisation excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte. Une commune ne peut rejeter une demande d’utilisation d’un tel local au seul motif que cette demande lui est adressée par une association dans le but d’exercer un culte.
« 6. Ainsi, lorsque le conseil municipal détermine, en tant que de besoin, la contribution due par une association, dans un tel cas, à raison de l’utilisation d’un local communal en vertu des dispositions de l’article L. 2144-3 du code général des collectivités territoriales, lesquelles dérogent à celles, générales, de l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques, il lui appartient d’arrêter le montant de cette contribution, dans le respect du principe d’égalité, de telle façon qu’il ne soit pas constitutif d’une libéralité. L’existence d’une libéralité, qui ne saurait résulter du simple fait que le local est mis à disposition gratuitement, est appréciée compte tenu de la durée et des conditions d’utilisation du local communal, de l’ampleur de l’avantage éventuellement consenti et, le cas échéant, des motifs d’intérêt général justifiant la décision de la commune.
« 7. En l’espèce, pour juger illégal l’arrêté du maire de Nice en date du 13 juin 2018 qui avait autorisé l’association  » Union des Musulmans des Alpes-Maritimes  » à occuper gratuitement un théâtre faisant partie du domaine public de la commune pendant quatre heures le matin du vendredi 15 juin 2018 pour célébrer la fête musulmane de l’Aïd-el-Fitr, la cour administrative d’appel de Marseille s’est fondée sur les dispositions de l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques et a retenu que l’association en cause, ayant une activité cultuelle, ne pouvait être regardée comme une association concourant à la satisfaction d’un intérêt général visée à cet article. Elle en a déduit que l’arrêté litigieux était illégal comme méconnaissant les dispositions de l’article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques et, partant, celles de la loi du 9 décembre 1905 prohibant toute libéralité assimilable à une subvention destinée à un culte. En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de se prononcer au regard des dispositions de l’article L. 2144-3 du code général des collectivités territoriales et qu’elle ne pouvait déduire, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, de la seule circonstance que le local communal avait été mis à disposition à titre gratuit que la commune aurait consenti une libéralité en faveur d’un culte, prohibée par les dispositions de la loi du 9 décembre 1905, la cour a entaché son arrêt d’erreur de droit.
« 8. Il en résulte que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’autre moyen de son pourvoi, la commune de Nice est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque.
« 9. L’annulation, sur le pourvoi principal de la commune de Nice, de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille prive d’objet le pourvoi incident de M. A… et de l’association niçoise pour la défense de la laïcité. Il n’y a, dès lors, plus lieu d’y statuer.
« 10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. A… et de l’association niçoise pour la défense de la laïcité une somme globale de 3 000 euros à verser à la commune de Nice au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font en revanche obstacle à ce qu’une somme soit mise au même titre à la charge de la commune de Nice, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance.»

Source :

Conseil d’État, 18 mars 2024, n° 471061, au recueil Lebon