Aucun tsunami ne vient renverser le droit de l’éolien en mer. C’est petit à petit, vague après vague, que se façonne ce régime juridique assez particulier.
Retraçons cette courte, mais houleuse, histoire, avant que d’aborder deux arrêts importants rendus, hier, par le Conseil d’Etat.
N.B. : sauf à se lancer dans un très long article, nous avons fait le choix de ne pas parler du régime des conventions d’occupations domaniales alors conclues, des obligations d’achat d’électricité, du régime particulier propre à certaines parties du territoire national ultramarin sur l’achat d’électricité en ENR… ni des dispenses d’autorisation d’urbanisme en ce domaine, ou des autorisations loi sur l’eau à obtenir en ce domaine (voir art. L. 2124-3 et R. 2124-1 et s. du CG3P ; art. R. 421-8-1 du Code de l’urbanisme ; art. R. 214-6 et s. du Code de l’environnement…). Autant de points à avoir à l’esprit en phase opérationnelle.. mais revenons au pur contentieux.
I. le décret de 2016 avec une étrangeté juridique
Ainsi le décret 2016-9 du 8 janvier 2016 avait-il clarifié et réformé la procédure précontentieuse et contentieuse concernant les énergies marines renouvelables. Avec un arsenal habituel : obligation de notifier le recours, etc. Mais aussi avec une étrangeté contentieuse : une compétence en premier et dernier ressort de la Cour administrative d’appel de Nantes.
Voir :
- Une étrangeté contentieuse en cas d’énergies marines renouvelables
- NB Ce régime a été, ensuite, étendu aux éoliennes terrestres par le décret no 2018-1054 du 29 novembre 2018. Voir :
Peu de temps après, était adoptée l’ordonnance n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables (voir ici).
II. Le premier arrêt de cette CAA de Nantes
C’est donc avec intérêt que l’on a attendu les premières décisions de ladite CAA de Nantes. Un arrêt lu le 15 mai 2017 n’a pas tardé à donner de l’eau au moulin des juristes. La Cour a en effet alors forgé son corps de doctrine pour l’examen de telles demandes. Elle a d’ailleurs estimé ne pas avoir à statuer sur l’intérêt à agir des associations requérantes, probablement justement pour mieux énoncer ce corps de doctrine. La Cour a notamment estimé :
- que l’étude d’impact était suffisante (de fait elle semblait l’être),
- que l’enquête publique n’était pas entachée d’irrégularité (de fait elle semblait ne pas l’être),
- que les associations requérantes ne pouvaient pas se prévaloir d’irrégularités entachant la procédure de sélection de l’opérateur par voie d’appel d’offres (point intéressant),
- que les dispositions de l’article L.121-23 du code de l’urbanisme (relevant de ce qui est plus communément appelé « loi littoral ») n’avaient pu être méconnues dès lors que le projet, situé en haute mer, n’était pas situé sur le littoral au sens de cet article, qu’il n’y avait pas de méconnaissance de l’objectif de gestion équilibrée de la ressource en eau défini par l’article L. 211-1 du code de l’environnement et que le principe de précaution n’avait pas été méconnu. Ce point méritait d’être précisé même si cela semble en effet logique.
En l’espèce, était donc légal, selon la CAA, l’autorisation donnée à la société « Parc du Banc de Guérande » d’installer et d’exploiter pendant une durée de 40 ans un parc éolien de 80 aérogénérateurs situé en haute mer, sur le domaine public maritime, au large de l’estuaire de la Loire à une distance comprise entre 12 et 20 km du littoral.
Voir l’arrêt CAA Nantes, 15 mai 2017, n° 16NT02321 :
-
16NT02321
- voir aussi : Eolien en mer : le droit se précise
Les 30 octobre 2017 et 12 janvier 2018, la CAA de Nantes a rendu d’autres arrêts importants. Sur ces points, voir ci-après « V » (sans passer par la case départ, vous ne touchez pas 100 000 F).
III. 2018, l’année de tous les assouplissements
Mais dès janvier 2018, le ministre S. Lecornu annonçait des assouplissements à venir pour l’éolien, maritime ou non :
L’article 58 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance (ESSOC ; NOR: CPAX1730519L; voir ici pour accéder au texte de cette loi ; voir aussi ici la « stratégie nationale d’orientation de l’action publique » insérée dans la loi), a mis en oeuvre les réformes annoncées par le Ministre (d’autres se trouvant casées dans d’autres textes) pour la partie maritime.
Désormais, si le ministre chargé de l’énergie souhaite lancer une procédure de mise en concurrence pour la production d’énergie renouvelable en mer et de leurs ouvrages de raccordement aux réseaux publics d’électricité, il doit saisir, préalablement au lancement de cette procédure, la Commission nationale du débat public (CNDP), qui détermine, dans les conditions prévues à la présente section, les modalités de participation du public au processus de décision du lancement de la procédure de mise en concurrence. Le public est notamment consulté sur le choix de la localisation de la ou des zones potentielles d’implantation des installations envisagées.
NB : exemples récents : Décision CNDP n° 2019-102 – ÉOLIEN MER NORMANDIE – 3 du 5 juin 2019 relative au projet d’éolien en mer au large de la Normandie. Décision n° 2019/81/ÉOLIEN MER NORMANDIE/2 du 7 mai 2019 relative au projet d’éolien en mer au large de la Normandie. etc.
Après la désignation du lauréat de la procédure de mise en concurrence, des procédures allégées sont mises en place.
Mais c’est surtout sur la remise en cause, ou non, des actuels titulaires que les débats parlementaires ont vivement achoppé, donnant lieu à des dispositions subtiles dans le nouveau texte (III. À VI. de l’article 58 de la loi).
Voir :
C’est alors qu’intervint un texte important : le décret n° 2018-1204 du 21 décembre 2018 relatif aux procédures d’autorisations des installations de production d’énergie renouvelable en mer (NOR: TRER1828023D).
- définit les modalités d’application des articles L. 121-8-1 et L. 181-28-1 du code de l’environnement relatifs:
- d’une part, à la participation du public lorsque le ministre chargé de l’énergie souhaite lancer une procédure de mise en concurrence en application de l’article L. 311-10 du code de l’énergie pour la construction et l’exploitation d’installations de production d’énergie renouvelable en mer
- et, d’autre part, à la création, pour le maitre d’ouvrage de ces projets d’installations, de la possibilité de bénéficier d’autorisations à caractéristiques variables lui permettant de faire évoluer son projet, dans le respect des limites prescrites par ces autorisations (article 58 de la loi ESSOC, précité).
- complète le régime contentieux applicable à certaines décisions relatives aux installations de production d’énergie renouvelable en mer et leurs ouvrages connexes, aux ouvrages des réseaux publics d’électricité dont au moins une partie est située en mer et aux infrastructures portuaires rendues nécessaires pour leur construction, stockage ou préassemblage.
Il est à noter que c’est bien de toutes les productions d’énergie renouvelable en mer qu’il s’agit et non pas seulement de l’éolien (éolien, donc, mais aussi marée motrice, usage de courants marins, éventuelles pistes de géothermie marine…).
Voir :
Autre singularité : une CAA venait de poser 2018 (CAA Douai, 29 novembre 2018, n°18DA01230) qu’en matière d’éoliennes terrestres (et sans doute marines), un recours administratif n’interrompt pas le délai de recours contentieux. Voir :
2018 aura donc été l’année de tous les assouplissements…
IV. Le 7 juin 2019, le Conseil d’Etat fait le tri entre les armes contentieuses potentiellement efficaces, et celles qui ne le sont pas, pour les requérants s’attaquant à l’éolien en mer
Le Conseil d’Etat a, par une importante décision, le 7 juin 2019, posé que l’autorisation d’exploiter un parc éolien n’a ni pour objet, ni pour effet d’autoriser, par elle-même, la construction d’ouvrages de production d’énergie éolienne dont la hauteur de mât dépasse 50 mètres. Elle se borne à autoriser la société bénéficiaire à exploiter un parc éolien ainsi qu’un poste électrique immergé sur le domaine public maritime, sans la dispenser d’obtenir les autorisations requises par d’autres législations avant la réalisation des travaux et la mise en service de ces installations.
Ainsi, la société devra obtenir en particulier l’autorisation à laquelle l’article L. 214-3 du code de l’environnement relatif à la protection des eaux, dans sa rédaction alors applicable, soumet ces installations et ouvrages, qui n’est accordée qu’après enquête publique en vertu de l’article L. 214-4 du même code et fourniture de l’étude d’impact exigée par les dispositions des articles R. 122-5 à R. 122-9 du même code. Elle devra également bénéficier d’une concession d’utilisation du domaine public maritime, qui donnera également lieu à une enquête publique préalable en application de l’article R. 2124-7 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) et dont le dossier de demande comporte l’étude d’impact requise par les dispositions des articles R. 122-5 et suivants du code de l’environnement.
Le moyen tiré de ce que la délivrance de l’autorisation d’exploitation elle-même aurait dû être précédée de l’étude d’impact prévue par les articles L. 122-1, R. 122-5 et R. 122-8 du code de l’environnement et d’une enquête publique en application de l’article L. 123-1 du même code doit donc, selon la Haute Assemblée, être écarté.
En revanche, le Conseil d’Etat a, dans cette affaire, admis que, à l’appui d’un recours contre l’autorisation d’exploiter une installation de production électrique délivrée au candidat retenu, soit soulevé le moyen contestant la légalité des prescriptions prévues par le cahier des charges établi en vue de cette procédure d’appel d’offres (art. L. 310, L. 311-5 et L. 311-11 du code de l’énergie).
Bref, en matière de moyens contentieux, le juge indique ceux des moyens qui, parfois, auront des chances de prospérer et ceux qui n’auront pas cette possibilité d’avenir.
Voir CE, 7 juin 2019, n° 414426 :
V. Les deux arrêts rendus hier par le Conseil d’Etat
Saisi par une association de protection de l’environnement et une entreprise concurrente qui contestaient les décisions prises en vue de la création d’un parc éolien au large de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), le Conseil d’État a rejeté les recours formés contre la création de ce parc mais accepte d’indemniser l’entreprise irrégulièrement évincée.
Le Conseil d’État a été saisi en cassation de deux litiges contre les décisions des ministres chargés de l’écologie et de l’énergie prises en 2012 après un appel d’offres organisé pour la sélection des opérateurs en vue de la création d’un parc éolien en mer au large de Saint-Brieuc.
La première de ces décisions avait sélectionné la société Ailes Marines à l’issue de l’appel d’offres et la seconde avait autorisé cette société à exploiter le parc éolien, installation de production d’électricité d’une capacité totale de 500 MW.
Le Conseil d’État a jugé que la procédure de sélection avait été irrégulière, dans la mesure où le choix de l’opérateur pour ce parc éolien avait été fondé sur un critère tenant à ce que la réalisation des cinq parcs éoliens, alors simultanément envisagés dans la Manche et l’Atlantique, ne soit pas attribuée à la même entreprise et que ce critère n’était pas prévu dans l’appel d’offres.
(donc application classique du droit des mises en concurrence).
Toutefois, le Conseil d’État a considéré que cette irrégularité de la procédure d’appel d’offres n’avait pas en soi d’incidence sur les caractéristiques du projet de parc éolien lui-même, et donc sur l’autorisation de l’exploiter.
(sans surprise mais intéressant et confirmatif).
Il a, pour le reste, jugé que les autres critiques de légalité adressées à l’autorisation d’exploitation n’étaient pas fondées.
(confirmation des grilles d’analyses antérieures au contentieux).
Le Conseil d’État a donc rejeté les recours de l’association de protection de l’environnement « Gardez les caps » et de l’entreprise Nass & Wind, membre d’un consortium candidat à l’appel d’offres pour ce parc, contre l’autorisation d’exploitation, validant ainsi la création du parc éolien.
Le Conseil d’État a, par ailleurs, considéré que l’association « Gardez les caps », qui n’est pas directement concernée par la décision de sélectionner la société Ailes Marines plutôt qu’une autre entreprise, ne pouvait demander l’annulation de cette décision de sélection.
Il a, en revanche, condamné l’État à indemniser la société Nass & Wind à hauteur de 2,5 millions d’euros en réparation du préjudice causé par l’irrégularité de la procédure d’appel d’offres.
- Conseil d’État, 24 juillet 2019, Société Nass & Wind smart services, n° 416862 :
- Conseil d’État, 24 juillet 2019, Association Gardez les caps et le GIE Tourcom Consovoyages, n° 418846 :
Crédits photographiques : Darren Coleshill on Unsplash
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