Logement social, juge administratif et astreinte

Selon l’article L. 441-2-3-1 du Code de la construction et de l’habitation, en matière de logement social, si un demandeur :
  • a été :
    • SOIT reconnu par la commission de médiation comme prioritaire et devant être logé d’urgence
    • SOIT reconnu par la commission de médiation comme prioritaire et comme devant être accueilli dans une structure d’hébergement, un établissement ou logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale
  • mais que celui ci n’a pas eu ce logement ou cet hébergement dans un délai fixé par décret…
… alors ce demandeur peut demander demander au juge administratif d’enjoindre, au besoin sous astreinte, à l’Etat d’exécuter la décision de la commission.
La loi du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 a complété ces alinéas pour préciser que :
« Le jugement prononçant l’astreinte mentionne que les sommes doivent être versées jusqu’au jugement de liquidation définitive ».
Le produit de cette éventuelle astreinte est versé au fonds national d’accompagnement vers et dans le logement.
La loi du 29 décembre 2015 a fait suivre chacun de ces alinéas d’un alinéa ainsi rédigé :
« Tant que l’astreinte n’est pas liquidée définitivement par le juge, le versement de l’astreinte au fonds est effectué deux fois par an, le premier versement devant intervenir à la fin du sixième mois qui suit le mois à compter duquel l’astreinte est due en application du jugement qui l’a prononcée. Toute astreinte versée en application du jugement la prononçant reste acquise au fonds. Lorsque l’astreinte a été liquidée définitivement, le versement du solde restant dû, le cas échéant, est effectué dans le mois qui suit la notification de l’ordonnance de liquidation définitive ».
Le Conseil d’Etat vient, par deux avis contentieux du 27 mai 2016 (publiés au JO de ce matin), de poser que :
  • par ces dispositions nouvelles que le législateur a entendu supprimer les liquidations provisoires de l’astreinte par le juge, auxquelles l’obligation pour l’Etat de verser le montant des astreintes au fonds d’accompagnement vers et dans le logement était auparavant subordonnée.
  • cela signifie qu’il incombe désormais au représentant de l’Etat dans le département, tant que l’injonction n’est pas exécutée, de verser spontanément l’astreinte au fonds dès qu’elle est due pour une période de six mois. Lorsque le représentant de l’Etat estime avoir exécuté l’injonction, il lui appartient de demander au juge de constater cette exécution et de procéder en conséquence à une liquidation définitive de l’astreinte.
  • ces dispositions s’appliquent de plein droit aux astreintes prononcées par des jugements antérieurs au 1er janvier 2016.
  • ce régime est conforme à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (et donc il s’agit bien d’un recours “au caractère effectif”) nonobstant le fait que l’astreinte est versée fonds d’accompagnement vers et dans le logement.

Voici les deux avis contentieux du Conseil d’Etat à ce sujet :

JORF n°0127 du 2 juin 2016
texte n° 75

Avis n° 396853 du 27 mai 2016

NOR:  CETX1614748V

ELI: Non disponible

Le Conseil d’Etat (section du contentieux, 5e et 4e chambres réunies),
Sur le rapport de la 5e chambre de la section du contentieux,
Par un jugement n° 1505508 du 4 février 2016, le tribunal administratif de Montreuil, avant de statuer sur la liquidation définitive de l’astreinte mise à la charge de l’Etat par son jugement n° 1503968 du 22 juin 2015 en vue d’assurer le logement de M. B… A…, a décidé, par application des dispositions de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette affaire au Conseil d’Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1° Compte tenu de la modification de l’article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation par la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015, lorsque le tribunal administratif, par un jugement antérieur au 1er janvier 2016, a enjoint à l’Etat, sous peine d’astreinte, d’assurer l’exécution d’une décision de la commission de médiation, le juge doit-il continuer à procéder à des liquidations intermédiaires de l’astreinte, en particulier si elle était due depuis moins de six mois au 31 décembre 2015 ?
2° Si une liquidation par le juge demeure nécessaire, doit-elle être limitée à la période antérieure au 1er janvier 2016 ?
Des observations, enregistrées le 12 avril 2016, ont été présentées par M. A….
La Caisse de garantie du logement locatif social a présenté des observations, enregistrées le 31 mars 2016, par lesquelles elle indique n’avoir aucune compétence décisionnelle en ce domaine.
Des observations, enregistrées le 31 mars 2016, ont été présentées par le ministre du logement et de l’habitat durable.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de la construction et de l’habitation ;
– la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 ;
– le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Alain Seban, conseiller d’Etat ;
– les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;
REND L’AVIS SUIVANT :
1. L’article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation prévoit dans son I que le demandeur qui a été reconnu par la commission de médiation comme prioritaire et devant être logé d’urgence et qui n’a pas reçu, dans un délai fixé par décret, une offre de logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités peut introduire devant la juridiction administrative un recours tendant à ce qu’il soit ordonné à l’Etat d’exécuter la décision de la commission. Le II du même article ouvre la même voie de droit au demandeur qui a été reconnu par la commission de médiation comme prioritaire et comme devant être accueilli dans une structure d’hébergement, un établissement ou logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale et qui n’a pas été accueilli, dans un délai fixé par décret, dans l’une de ces structures.
Le sixième alinéa du I et le quatrième alinéa du II du même article prévoient que le juge qui prononce l’injonction sollicitée peut l’assortir d’une astreinte. La loi du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 a complété ces alinéas pour préciser que : « Le jugement prononçant l’astreinte mentionne que les sommes doivent être versées jusqu’au jugement de liquidation définitive ».
Le huitième alinéa du I et le sixième alinéa du II disposent que le produit de l’astreinte est versé au fonds national d’accompagnement vers et dans le logement. La loi du 29 décembre 2015 a fait suivre chacun de ces alinéas d’un alinéa ainsi rédigé : « Tant que l’astreinte n’est pas liquidée définitivement par le juge, le versement de l’astreinte au fonds est effectué deux fois par an, le premier versement devant intervenir à la fin du sixième mois qui suit le mois à compter duquel l’astreinte est due en application du jugement qui l’a prononcée. Toute astreinte versée en application du jugement la prononçant reste acquise au fonds. Lorsque l’astreinte a été liquidée définitivement, le versement du solde restant dû, le cas échéant, est effectué dans le mois qui suit la notification de l’ordonnance de liquidation définitive ».
2. Il résulte de ces dispositions nouvelles que le législateur a entendu supprimer les liquidations provisoires de l’astreinte par le juge, auxquelles l’obligation pour l’Etat de verser le montant des astreintes au fonds d’accompagnement vers et dans le logement était auparavant subordonnée. Il incombe désormais au représentant de l’Etat dans le département, tant que l’injonction n’est pas exécutée, de verser spontanément l’astreinte au fonds dès qu’elle est due pour une période de six mois. Lorsque le représentant de l’Etat estime avoir exécuté l’injonction, il lui appartient de demander au juge de constater cette exécution et de procéder en conséquence à une liquidation définitive de l’astreinte.
3. Compte tenu de l’équilibre d’ensemble de ce dispositif, de ses modalités et de sa portée, notamment du fait que les astreintes prononcées sont dues par l’Etat et versées au fonds national d’accompagnement vers et dans le logement, rattaché à la Caisse de garantie du logement locatif social qui est un établissement public national à caractère administratif, et en l’absence de dispositions expresses régissant l’application dans le temps des dispositions de la loi du 29 décembre 2015, ces dispositions s’appliquent de plein droit aux astreintes prononcées par des jugements antérieurs au 1er janvier 2016, date d’entrée en vigueur de la loi. La circonstance que ces jugements ne mentionnent pas que les sommes doivent être versées jusqu’au jugement de liquidation définitive est sans incidence à cet égard.
Il incombe donc au représentant de l’Etat, lorsqu’une astreinte prononcée par un jugement antérieur au 1er janvier 2016 est due pour une période d’au moins six mois, d’en verser le montant au fonds national d’accompagnement vers et dans le logement, sans que le juge ait à en prononcer la liquidation provisoire. Il en va ainsi y compris pour les sommes dues au titre de périodes antérieures au 1er janvier 2016.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Montreuil, à M. B… A… et au ministre du logement et de l’habitat durable.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.

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JORF n°0127 du 2 juin 2016
texte n° 76

Avis n° 397842 du 27 mai 2016

NOR:  CETX1614755V

ELI: Non disponible
Le Conseil d’Etat (section du contentieux, 5e et 4e chambres réunies) ;
Sur le rapport de la 5e chambre de la section du contentieux,
Vu la procédure suivante :
Mme B… A… a demandé au tribunal administratif de Montreuil d’ordonner au préfet de la Seine-Saint-Denis, en application de l’article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation, de lui attribuer un logement tenant compte de ses besoins et capacités dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 2 000 euros par mois de retard.
Par un jugement n° 1600565 du 10 mars 2016, le tribunal administratif de Montreuil, avant de statuer sur la demande de Mme A…, a décidé, par application des dispositions de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette affaire au Conseil d’Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1° Le 8e alinéa de l’article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation prévoyant le versement de l’astreinte au fonds d’accompagnement vers et dans le logement est-il compatible avec le droit au procès équitable garanti par l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ?
2° Dans le cas où cette disposition législative ne serait pas compatible avec le droit ainsi garanti, y a-t-il lieu d’en écarter partiellement l’application et de condamner l’Etat à verser l’astreinte à la requérante ou de ne plus prononcer d’astreinte sur ce fondement législatif mais sur le fondement des dispositions générales de l’article L. 911-3 du code de justice administrative ?
Le ministre du logement et de l’habitat durable a produit des observations, enregistrées le 6 avril 2016.
Mme A… a produit des observations, enregistrées le 19 avril 2016.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :

– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– le code de la construction et de l’habitation ;
– le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Alain Seban, conseiller d’Etat ;
– les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;
– La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Mme A… ;
REND L’AVIS SUIVANT :
1. Aux termes de l’article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation : « I. – Le demandeur qui a été reconnu par la commission de médiation comme prioritaire et comme devant être logé d’urgence et qui n’a pas reçu, dans un délai fixé par décret, une offre de logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités peut introduire un recours devant la juridiction administrative tendant à ce que soit ordonné son logement ou son relogement. / (…) / Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il désigne, lorsqu’il constate que la demande a été reconnue comme prioritaire par la commission de médiation et doit être satisfaite d’urgence et que n’a pas été offert au demandeur un logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités, ordonne le logement ou le relogement de celui-ci par l’Etat et peut assortir son injonction d’une astreinte. Le jugement prononçant l’astreinte mentionne que les sommes doivent être versées jusqu’au jugement de liquidation définitive. / Le montant de cette astreinte est déterminé en fonction du loyer moyen du type de logement considéré comme adapté aux besoins du demandeur par la commission de médiation. / Le produit de l’astreinte est versé au fonds national d’accompagnement vers et dans le logement, institué en application de l’article L. 300-2. / (…) II. – Le demandeur qui a été reconnu par la commission de médiation comme prioritaire et comme devant être accueilli dans une structure d’hébergement, un établissement ou logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale et qui n’a pas été accueilli, dans un délai fixé par décret, dans l’une de ces structures peut introduire un recours devant la juridiction administrative tendant à ce que soit ordonné son accueil dans une structure d’hébergement, un établissement ou logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale. / (…) / Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il désigne, lorsqu’il constate que la demande a été reconnue prioritaire par la commission de médiation et que n’a pas été proposée au demandeur une place dans une structure d’hébergement, un établissement ou logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale, ordonne l’accueil dans l’une de ces structures et peut assortir son injonction d’une astreinte. Le jugement prononçant l’astreinte mentionne que les sommes doivent être versées jusqu’au jugement de liquidation définitive. / (…) ».
2. La voie de recours spécifique ouverte aux demandeurs par les dispositions de l’article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation, devant un juge doté d’un pouvoir d’injonction et d’astreinte de nature à surmonter les éventuels obstacles à l’exécution de ses décisions, présente un caractère effectif, au regard des exigences découlant de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il en va ainsi, alors même que l’astreinte éventuellement prononcée sur le fondement de l’article précité, compte tenu des critères qu’il énonce, est versée par l’Etat, non au requérant, mais au fonds d’accompagnement dans et vers le logement, créé par l’article L. 300-2 du code de la construction et de l’habitation et institué, depuis 2011, au sein d’un établissement public national autonome, la Caisse de garantie du logement locatif social.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Montreuil, à Mme B… A… et au ministre du Logement et de l’Habitat durable.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.