Taxe Gemapi : peut-on voter dès 2017 pour une application en 2018, sans avoir la compétence de manière anticipée ?

 

En matière de taxe GEMAPI, l’Etat vient de pondre ce « flash finances locales » en date du vendredi 9 juin 2017  :

 


LA FISCALITÉ
Délibérations en matière de taxe pour la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI) :

Dans le cadre de l’exercice obligatoire de la compétence GEMAPI par les EPCI au 1er janvier 2018, de nombreuses interrogations nous ont été adressées sur la possibilité pour un EPCI de délibérer avant le 1er octobre 2017 sur la taxe GEMAPI afin d’être en mesure de lever cette dernière dès le 1er janvier 2018 alors même que ces EPCI n’exercent pas cette compétence en 2017.

En l’état actuel du droit, il n’est pas possible de délibérer pour instituer la taxe GEMAPI avant la prise de compétence à laquelle elle est afférente. En effet, une telle délibération est susceptible de faire l’objet d’un recours pour vice de compétence.

Toutefois, afin de permettre aux EPCI de lever cette taxe dès 2018, le Gouvernement proposera au Parlement une mesure visant à permettre aux EPCI de délibérer jusqu’au 1er février de l’année de la prise de compétence en vue d’instituer la taxe GEMAPI, dans le cadre des lois de finances de fin d’année.

Il convient de communiquer aux EPCI ayant délibéré par anticipation en 2017, que si une telle mesure est introduite dans le cadre de la loi de finances, ils devront impérativement délibérer à nouveau début 2018 pour instituer la taxe GEMAPI, à défaut de quoi ils ne pourront instituer la taxe et la percevoir en 2018.

 

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I. En droit administratif, ce qui compte n’est pas d’avoir la compétence au jour de l’adoption de l’acte mais au jour de l’entrée en vigueur de l’acte. Un vote sur la Taxe Gemapi, dans ce cadre, serait déjà possible en 2017 pour 2018 même sans avoir la compétence.

 

Passons sur la notion de « vice de compétence » qui d’un strict point de vue du langage propre au contentieux administratif pourrait donner à redire.

Le raisonnement de base est : un EPCI qui n’aurait pas encore la compétence en 2017 pour la GEMAPI n’aurait donc pas non plus compétence pour lever avant le premier octobre 2017 la TAXE GEMAPI avec une entrée en vigueur au premier janvier 2018.

Cette position est très contestable selon nous.

Depuis 42 ans l’Etat accepte qu’une autorité administrative prenne un acte par anticipation alors même que ladite autorité administrative n’a pas encore compétence dans ce domaine… à la condition que l’acte pris ait une entrée en vigueur différée à un jour où ladite autorité administrative aura compétence pour ce faire (CE, 25 juillet 1975, Société les Editions des mairies, req. n°95849, rec. p. 854) :

« Considérant en outre que les dispositions de l’article 23 du décret du 15 mai 1974 prévoyant qu’il prendrait effet le premier jour du quatrième mois suivant sa publication au journal officiel, soit le 1er septembre 1974, ne faisaient pas obstacle a ce que les ministres compétents fixent des le 16 mai 1974 les nouveaux modèles de livret de famille, ainsi que leur format, afin que leur fabrication et leur envoi dans les mairies puissent être effectues dans les meilleurs délais, de telle sorte qu’ils puissent être utilisés à la date prévue pour l’entrée en vigueur du décret précité du 15 mai 1974 »

Voir l’arrêt intégral en pdf : CE 75 ste editions mairies

Au terme de cette jurisprudence d’ailleurs constante depuis, le juge administratif autorise à prendre un acte par anticipation. Il impose seulement que l’autorité administrative ait compétence à cet effet à la date, non pas de l’adoption de l’acte, mais à la date d’entrée en vigueur de celui-ci.

Mais naturellement il ne saurait être question d’agir par exemple par anticipation avant même que le principe du transfert de la compétence ne soit acté (voir par exemple CAA Nantes, 3 févr. 2009, Communauté cnes Pays Brières et Gesnois, n° 08NT01687). 

Citons encore par exemple le Tribunal administratif dans une décision Commune de Ria Sirach et autres, (TA Montpellier, 9 octobre 2003, Commune de Ria Sirach et autres, req. n° 03- 4761). Ce tribunal a précisé les mesures susceptibles d’être prises par anticipation dans une espèce ou il avait été saisi par voie de référé-liberté sur la légalité de délibérations d’EPCI prises par anticipation au regard du principe de libre administration.
Voir ce jugement en pdf : TA 2003 Ria Sirach. Mais ce jugement est moins net que l’arrêt de 1975 précité.

 

 

II. Selon nous, le même raisonnement s’applique en fiscal (auquel cas la DGFIP a tort), mais ce point pourrait être débattu (avec de faibles risques mais soyons prudents…).

 

En d’autres termes, en droit administratif général, ce qui compte n’est pas d’avoir la compétence au jour de l’adoption de l’acte mais au jour de l’entrée en vigueur de l’acte. 

Mais cette position choque moins les financiers car ils ont l’habitude qu’en effet quand il faut voter par anticipation en de tels cas, des textes précis le permettent (par exemple en matière d’homogénéisation des abattements de TH avec la version 2016 du 1638-0 bis du CGI où l’on devait délibérer en n-1. D’où le fait qu’à défaut ce serait interdit, ce qui nous semble fragile en droit comme raisonnement mais l’existence de cette habitude dans certains passages du CGI pourrait en effet influencer la position d’un juge… 

 

N.B. : argument à rejeter selon nous en revanche : celui selon lequel il serait trop tôt en octobre pour fixer le volume à prélever en taxe Gemapi (car cette taxe se vote en montant de somme à prélever que le comptable public transforme en points de fiscalité). Et pour cause, l’échéance d’octobre porte sur la levée de cette taxe. Le montant à lever en impôts, lui, peut être fixé en 2018 sans encombre dans les limites propres aux dates d’adoption des budgets et de vote des taux). Précisons que ce n’est pas là la seule particularité de la taxe Gemapi (qui doit, par exemple, être instituée tous les ans ! Voir Taxe Gemapi : gare au renouvellement annuel, à quelques jours de l’échéance). Sauf que la note d’information INTB1420067N du 11 septembre 2014 de la DGCL sur les délibérations à prendre pour l’exercice suivant indique page 6 (modalités du vote du produit à répartir) que le montant doit être voté doit être voté chaque année et arrêté avant le 1/10 pour l’exercice suivant de recouvrement… Mais là encore nous peinons à comprendre (si ce n’est pour des motifs de confort administratif) ce qui fonde en droit cette affirmation…
L’article 1530 bis du Code général des impôts (CGI) imposerait-il des restrictions particulières qui justifieraient que le régime applicable soit plus strict que celui résultant du droit commun ? On pourrait le défendre s’agissant des communes car la formulation pourrait conduire à exiger de ces communes qu’elles exercent ladite compétence GEMAPI au jour de la délibération levant la taxe du même nom :

« I. ― Les communes qui exercent, en application du I bis de l’article L. 211-7 du code de l’environnement, la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations peuvent, par une délibération prise dans les conditions prévues au I de l’article 1639 A bis du présent code, instituer et percevoir une taxe en vue de financer la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, y compris lorsqu’elles ont transféré tout ou partie de cette compétence à un ou plusieurs syndicats mixtes dans les conditions prévues aux articles L. 5711-1 à L. 5721-9 du code général des collectivités territoriales.»

Mais on ne retrouve pas cette même exigence dans la suite dudit article 1530 bis du CGI (sauf à interpréter très très strictement le dernier membre de phrase, ce qui nous semble improbable) :

« Toutefois, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre qui se substituent à leurs communes membres pour l’exercice de la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations définie au I bis de l’article L. 211-7 du code de l’environnement peuvent, par une délibération prise dans les conditions prévues au I de l’article 1639 A bis du présent code, instituer et percevoir cette taxe en lieu et place de leurs communes membres.»

 

 

III. Il en résulte 4 solutions, dont 2 sont vraiment sécurisées.

 

 

CONCLUSION les communautés concernées ont 4 solutions  :

 

  • solution 1 (sécurisée) : prendre la compétence par anticipation, par modification statutaire (art. L. 5211-17 du CGCT) au 15 septembre 2017, puis délibérer fin septembre 2017 pour lever la taxe GEMAPI (sur cette solution et sa légalité voir CAA Lyon, 23 décembre 2008, n° 06LY00489)

 

  • solution 2 (sécurisée) : ne pas lever la taxe GEMAPI pour 2018

 

  • solution 3 (moins sécurisée) : instituer la taxe GEMAPI avant le premier octobre 2017 pour 2018 au nom de la jurisprudence CE, 25 juillet 1975, Société les Editions des mairies… précitée, avec un bel argumentaire pour que ni l’Etat ni les contribuables aient envie d’attaquer ladite délibération devant le TA. Cette solution est tentante mais bon… les autres solutions étant plus sécurisées…

 

  • … et solution 4 (sécurisée… si on a confiance dans les promesses de l’Etat… souvenons nous que le Secrétaire d’Etat Eckert avait promis des solutions pour la fin de 2015 à certaines difficultés en matière de taxe de séjour… solutions qui ne sont arrivées que partiellement et plus d’un an après) : attendre que l’Etat ne débloque le problème. Puisqu’une solution législative à ce problème (qui n’en est pas un avec certitude, donc) est annoncée dans ledit  « flash finances locales » (voir ci-avant).

 

Bref, selon nous l’Etat débloque un peu en bloquant les levées par délibération de la Taxe Gemapi en 2017 pour 2018 car en 2018, date d’entrée en vigueur desdites délibérations, les communautés seront toutes compétentes. Mais l’Etat devrait débloquer ce blocage qu’il a lui même créé, et ce sans doute via la future loi de finances… A suivre. Quand l’Etat aura débloqué, nous vous ferons signe…

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Voir aussi :

https://blog.landot-avocats.net/?s=gemapi

et en vidéo :

[VIDEO] GEMAPI, cadrage général (actualisée)