Les dispositions de l’ordonnance 2017-80 du 26 janvier 2017, codifiées aux articles L. 181-1 et suivants du code de l’environnement, instituent une autorisation environnementale dont l’objet est de permettre qu’une décision unique tienne lieu de plusieurs décisions auparavant distinctes répondant à des régimes divers.
L’article 15 de cette ordonnance a pu parfois être considéré comme ouvrant la voie à l’application de ce nouveau régime aux installations existantes et aux contentieux en cours :
« les dispositions de ce chapitre leur sont dès lors applicables, notamment lorsque ces autorisations sont contrôlées, modifiées, abrogées, retirées, renouvelées, transférées, contestées ou lorsque le projet autorisé est définitivement arrêté et nécessite une remise en état ;»
Le mot « contestée » ne s’appliquait-il qu’aux litiges futurs, ou était-ce une indication suffisante pour ouvrir la voie à une application rétroactive, y compris donc aux litiges en cours ?
Le Conseil d’Etat, logiquement, a estimé que, conformément à sa jurisprudence traditionnelle, toute application rétroactive imposait une formulation plus claire que celle-ci, singulièrement sibylline et insérée dans une énumération qui va plutôt dans le sens des actions futures subies par lesdites autorisations.
Il a donc imposé que le droit antérieur soit bien le droit applicable à ces litiges, ce qui est en droit administratif la règle par défaut (on juge de la légalité d’un acte à l’aune du droit sous l’empire duquel il fut adopté).
Comme le pose le Conseil d’Etat dans cet avis contentieux :
« 3. Il résulte de ces dispositions que l’ordonnance du 26 janvier 2017 n’a ni pour objet, ni pour effet de modifier rétroactivement les dispositions régissant la procédure de délivrance des autorisations uniques prévue par l’ordonnance du 20 mars 2014.
« 4. En vertu de l’article L. 181-17 du code de l’environnement, issu de l’article 1er de l’ordonnance du 26 janvier 2017 et applicable depuis le 1er mars 2017, l’autorisation environnementale est soumise, comme l’autorisation l’unique l’était avant elle ainsi que les autres autorisations mentionnées au 1° de l’article 15 de cette même ordonnance, à un contentieux de pleine juridiction. Il appartient, dès lors, au juge du plein contentieux d’apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d’autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l’autorisation et celui des règles de fond régissant l’installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d’urbanisme qui s’apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l’autorisation.
« 5. Si, en application du 1° de l’article 15 de l’ordonnance du 26 janvier 2017, les autorisations uniques délivrées au titre de l’ordonnance du 20 mars 2014 sont considérées, depuis le 1er mars 2017, comme des autorisations environnementales, il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 qu’il revient au juge administratif, lorsqu’il est saisi d’une contestation contre une autorisation unique, d’en apprécier la légalité au regard des règles de procédure relatives aux autorisations uniques applicables à la date de sa délivrance. »
Il est vrai que cela peut confiner à l’absurde. Le nouveau régime n’exige plus de permis de construire. L’ancien oui. Qu’à cela ne tienne : pour les contentieux en cours on continue donc d’en exiger, pose le Conseil d’Etat selon le même raisonnement. C’est, selon nous, juridiquement imparable mais un peu bigarré dans le résultat concret qui en résulte :
« 9. S’il résulte de l’article R. 425-29-2 du code de l’urbanisme, issu de l’article 11 du décret du 26 janvier 2017 relatif à l’autorisation environnementale, qu’un permis de construire n’est plus requis pour un projet d’installation d’éoliennes terrestres depuis le 1er mars 2017, ces dispositions sont, toutefois, sans incidence sur la légalité des autorisations uniques, qui ont été délivrées avant leur entrée en vigueur.»
Mais l’apport de cet avis contentieux du Conseil d’Etat ne s’arrête pas là. Il pose que :
« 6. Par ailleurs, lorsqu’il estime qu’une autorisation unique a été délivrée en méconnaissance des règles de procédure applicables à la date de sa délivrance, le juge peut, eu égard à son office de juge du plein contentieux, prendre en compte la circonstance, appréciée à la date à laquelle il statue, que de telles irrégularités ont été régularisées, sous réserve qu’elles n’aient pas eu pour effet de nuire à l’information complète de la population. En outre, si une telle régularisation n’est pas intervenue à la date à laquelle il statue, le juge peut, en application de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, créé par l’article 1er de l’ordonnance du 26 janvier 2017, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration d’un délai qu’il fixe afin de permettre à l’administration de régulariser l’illégalité par une autorisation modificative. »
Il y a donc là application des positions du CE déjà exposées dans son avis contentieux n°415852 du 22 mars 2018 (voir ici), qui furent très débattues et dont l’application en cours aux litiges antérieurs l’était encore parfois.
Ce point est majeur car le dossier peut être complété dans certains cas, au moins avant l’ouverture en service de l’installation. Sur ce point, le Conseil d’Etat est prolixe dans ses propos, qui sont très clairs :
« Lorsque le juge se prononce sur la légalité de l’autorisation avant la mise en service de l’installation, il lui appartient, si la méconnaissance de ces règles de fond est soulevée, de vérifier la pertinence des modalités selon lesquelles le pétitionnaire prévoit de disposer de capacités financières et techniques suffisantes pour assumer l’ensemble des exigences susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l’exploitation et de la remise en état du site […].
Lorsque le juge se prononce après la mise en service de l’installation, il lui appartient de vérifier la réalité et le caractère suffisant des capacités financières et techniques du pétitionnaire ou, le cas échéant, de l’exploitant auquel il a transféré l’autorisation. »
Voici cette décision :
CE, 26 juillet 2018, n°416831, à publier au rec.