Lors du changement de l’équipe politique d’une personne publique, il n’est pas rare que son entrée en fonction s’accompagne du réexamen de projets publics en cours. La tentation peut alors être grande de vouloir mettre fin à un projet jugé dorénavant inopportun. Se pose alors la délicate question de la résiliation des marchés publics d’ores et déjà conclus.Certes, un contrat administratif peut toujours être résilié unilatéralement par la personne publique (CE, 6 mai 1985, Association Eurolat, req. n° 41589 et 41699, Rec., AJDA 1985, p. 620), notamment pour un motif d’intérêt général.
Le juge administratif a même admis que ledit motif d’intérêt général puisse procéder de la réorganisation du service(CE Ass., 29 avril 1994, Colombani, RFDA. 1994, 479 ; CAA Paris, 24 octobre 2017, Société Wagram Voyages,req. n° 16PA03429). Dans ce cas, le juge va rechercher s’il existe bien de réels motifs d’intérêt général justifiant que «l’exploitation du service soit concédée ou établie sur des bases nouvelles » (CE, 22 avril 1988, Société France 5 – Association des fournisseurs de la cinq et autres, Rec.p 157).
Le juge administratif a même anciennement admis comme motif d’intérêt général le changement de politique d’une collectivité (TA Grenoble, 9 avril 1980, Sté aménagement touristique Alpe-d’Huez : D. 1981, jurispr. p. 581, note F. Servouin) à la suite d’un changement de majorité, étant précisé que les motifs invoqués procédaient bien de considérations liées à l’intérêt général et n’étaient pas exclusivement politiques.
La plus grande précaution reste aujourd’hui de mise à la lecture d’un jugement récemment rendu par le Tribunal administratif de Strasbourg en la matière (TA de Strasbourg, 6 juillet 2018, SMITU de Thionville‐Fensch, req. n° 1603336).
A cette occasion un groupement d’entreprise titulaire d’un marché d’AMO (assistance à maitrise d’ouvrage) avait saisi le juge administratif d’une demande indemnitaire à la suite de la résiliation par le syndicat mixte des transports urbains (SMITU) de Thionville‐Fensch de son marché public.
Le Tribunal était ainsi amené à se prononcer sur le caractère d’intérêt général de la résiliation. Or, le SMITU avait invoqué une évolution des besoins du syndicat liée à la seule circonstance que: « la nouvelle équipe politique en place depuis le mois de mars 2014 dispose (…) d’une vision plus large du projet (…) de nature à remettre en cause les choix et orientations stratégiques» définis par la précédente équipe.
Cependant, n’était pas démontrer une appréhension véritablement différente du projet par la nouvelle équipe, et aucun changement du contexte budgétaire, règlementaire, environnemental, ne justifiait de modifier le projet initial. Il n’était pas davantage fait état d’une circonstance affectant la capacité du titulaire à exécuter sa mission ou d’une transformation des besoins du Syndicat.
Partant le Tribunal a considéré que la résiliation a été fondée sur des considérations étrangères à l’intérêt général de sorte que cette décision était constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité contractuelle de l’administration.
N.B : Nous n’avons pas pu prendre connaissance de l’intégralité du jugement. Ce résumé est issu de la lettre de jurisprudence du tribunal administratif de Strasbourg n°8/2018.
A l’évidence, ce jugement invite à la prudence, le changement de décision de la nouvelle équipe politique en place ne justifiant pas, à lui seul, la résiliation d’un marché public.
Toutefois, une telle possibilité n’est pas pour autant totalement exclue mais sous certaines conditions comme l’atteste un récent arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon (CAA Lyon, 22 mars 2018, Commune de Gilly-sur-Loire, req. n°16LY00641).
A cette occasion une décision de résiliation avait certes été « prise à l’issue des élections municipales remportées par une liste ayant fait de l’abandon du projet son thème majeur de campagne », mais le juge a considéré que cette décision était réellement fondée sur un motif sérieux à savoir le contexte budgétaire. En effet, les subventions attendues au début du projet n’avaient pas été attribuées en totalité et le budget de la commune ne permettait pas de financer les travaux sans recourir à un nouvel emprunt.
La détermination d’un motif d’intérêt général pertinent, fondé et justifié est ainsi indispensable pour assurer la régularité de la décision de résiliation. En effet, rappelons que le cocontractant dont le contrat a été résilié peut saisir le juge administratif afin d’ordonner la reprise des relations contractuelles (CE, 21 mars 2011, Commune de Béziers, req. n°304806).