Eoliennes : un recours administratif n’interrompt pas le délai de recours contentieux !

Le contentieux en maître d’éoliennes (et, plus largement, d’énergies renouvelables), décidément, se dote de spécificités qui évitent de tourner en rond.

Voir par exemple :

 

Voici un nouvel apport : selon la CAA de Douai, le recours administratif d’un tiers contre une autorisation d’exploitation d‘une éolienne n’interrompt pas son délai de recours contentieux. Les textes spécifiques en ce domaine dérogent donc à la règle du caractère interruption du recours administratif (hiérarchique ou gracieux), et ce au moins pour les éoliennes terrestres (et sans doute marines) :

« Il résulte des dispositions législatives citées au point précédent que les procédures particulières qui, au sein de la législation des installations classées pour la protection de l’environnement, concernent les installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent, font obstacle à ce que les décisions prises en application de cette législation, telles qu’une autorisation d’exploitation, puissent faire l’objet, de la part des demandeurs comme des tiers, dans le délai qui leur est imparti pour l’introduction du recours contentieux, d’un recours administratif, qu’il soit gracieux ou hiérarchique, interrompant le cours de ce délai. »

 

Voici cet arrêt :

 

CAA de DOUAI, 1ère chambre – formation à 3, 29/11/2018, 18DA01230, Inédit au recueil Lebon

CAA de DOUAI

N° 18DA01230
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre – formation à 3
M. Richard, président
M. Charles-Edouard Minet, rapporteur
Mme Fort-Besnard, rapporteur public
CABINET LEFEVRE PELLETIER ET ASSOCIES ET CGR LEGAL, avocat
lecture du jeudi 29 novembre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E…F…a demandé au tribunal administratif d’Amiens, par une première demande enregistrée sous le n° 1503416, d’annuler pour excès de pouvoir les arrêtés des 10 mars et 29 juin 2015 par lesquels la préfète de la région Picardie a délivré quatorze permis de construire à la société  » Ferme éolienne de la Sablière  » pour la construction de neuf éoliennes et quatre postes de livraison sur le territoire des communes de Contoire et de Davenescourt. Par une seconde demande enregistrée sous le n° 1503417, M. F…a demandé au tribunal d’annuler l’arrêté du 5 février 2015 par lequel la préfète de la région Picardie a autorisé la société  » Ferme éolienne de la Sablière  » à exploiter ce parc éolien au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement.

Par un jugement nos 1503416,1503417 du 10 avril 2018, le tribunal administratif d’Amiens, après avoir joint les deux requêtes, les a rejetées.
Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 juin 2018, et des mémoires, enregistrés les 30 octobre et 9 novembre 2018, M. E…F…, représenté par Me D…C…, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement, en tant qu’il rejette sa demande dirigée contre l’arrêté de la préfète de la région Picardie du 5 février 2015 ;

2°) à titre principal, de renvoyer l’affaire devant le tribunal administratif d’Amiens ;

3°) à titre subsidiaire, d’annuler cet arrêté ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code de l’environnement ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Charles-Edouard Minet, premier conseiller,
– les conclusions de Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur public,
– et les observations de Me A…B…, représentant la société  » Ferme éolienne de la Sablière « .
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 5 février 2015, la préfète de la région Picardie a autorisé la société  » Ferme éolienne de la Sablière « , au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement, à exploiter un parc éolien composé de neuf aérogénérateurs et quatre postes de livraison sur les territoires des communes de Contoire et de Davenescourt. Par des arrêtés des 10 mars et 29 juin 2015, la préfète de la région Picardie a délivré à cette même société des permis de construire permettant l’édification de ce parc éolien. M. F…a demandé au tribunal administratif d’Amiens, par une première demande, d’annuler pour excès de pouvoir les permis de construire des 10 mars et 29 juin 2015, et par une seconde demande, d’annuler l’arrêté d’autorisation d’exploitation du 5 février 2015. Par un jugement du 10 avril 2018, le tribunal administratif d’Amiens, après avoir joint ces deux demandes, les a rejetées comme tardives et, par suite, irrecevables. M. F…relève appel de ce jugement en tant qu’il rejette sa demande dirigée contre l’arrêté d’autorisation d’exploitation du 5 février 2015.

2. Aux termes de l’article L. 553-4 du code de l’environnement, dans sa rédaction applicable au litige :  » Par dérogation aux dispositions de l’article L. 514-6, les décisions mentionnées aux I et II dudit article concernant les installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent classées au titre de l’article L. 511-2 peuvent être déférées à la juridiction administrative : / 1° Par les demandeurs ou exploitants, dans un délai de deux mois à compter du jour où lesdits actes leur ont été notifiés ; / 2° Par les tiers, personnes physiques ou morales, les communes intéressées ou leurs groupements, en raison des inconvénients ou des dangers que le fonctionnement de l’installation présente pour les intérêts visés à l’article L. 511-1, dans un délai de six mois à compter de la publication ou de l’affichage desdits actes « .

3. Il résulte des dispositions législatives citées au point précédent que les procédures particulières qui, au sein de la législation des installations classées pour la protection de l’environnement, concernent les installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent, font obstacle à ce que les décisions prises en application de cette législation, telles qu’une autorisation d’exploitation, puissent faire l’objet, de la part des demandeurs comme des tiers, dans le délai qui leur est imparti pour l’introduction du recours contentieux, d’un recours administratif, qu’il soit gracieux ou hiérarchique, interrompant le cours de ce délai.

4. M. F…ayant la qualité de tiers vis-à-vis de l’arrêté en litige, il disposait, pour le contester devant le tribunal administratif, du délai de recours contentieux de six mois prévu par les dispositions du 2° de l’article L. 553-4 du code de l’environnement citées au point 2. Il résulte de l’instruction que les mesures de publicité requises par l’article R. 512-39 du code de l’environnement alors applicable pour l’entrée en vigueur de cet arrêté ont été réalisées, pour la plus tardive d’entre elles, le 20 février 2015. En particulier, il ressort d’une capture d’écran produite par l’administration qu’un extrait de l’arrêté contesté a été publié sur le site Internet de la préfecture de la région Picardie, conformément aux prévisions du 2° de l’article R. 512-39 du code de l’environnement, au plus tard le 10 février 2015. La réalité de cette publication n’est pas sérieusement contestée et n’est, notamment, pas remise en cause par le constat d’huissier produit par l’appelant, établi l’année suivante et qui se borne à constater l’absence, à cette date, de cet extrait sur le site Internet de la préfecture. Dans ces conditions, le délai de recours contentieux expirait le 21 août 2015. En application des principes rappelés au point précédent, le recours gracieux de l’appelant, en date du 20 juillet 2015, n’a pas interrompu le délai de recours contentieux. Si, par ailleurs, il résulte de l’instruction que la préfète de la région Picardie a accusé réception de ce courrier en indiquant à tort qu’en l’absence de réponse explicite de sa part, M. F… disposerait d’un délai de deux mois à compter du 21 septembre 2015 pour saisir le tribunal administratif, ce courrier, daté du 25 août 2015, était lui-même postérieur à l’expiration du délai de recours contentieux et n’a donc pas pu induire l’intéressé en erreur. Dès lors, la demande de M. F… tendant à l’annulation de l’arrêté du 5 février 2015, enregistrée par le greffe du tribunal administratif d’Amiens le 21 novembre 2015, était tardive et, par suite, irrecevable. L’appelant n’est, par conséquent, pas fondé à soutenir qu’en rejetant cette demande comme irrecevable, le tribunal a entaché son jugement d’irrégularité.

5. Il résulte de tout ce qui précède que M. F…n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d’Amiens a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :

6. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. F…de la somme qu’il demande sur ce fondement.

7. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. F… le versement à la société  » Ferme éolienne de la Sablière  » de la somme de 1 500 euros sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. F…est rejetée.
Article 2 : M. F…versera la somme de 1 500 euros à la société  » Ferme éolienne de la Sablière  » au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E…F…, au ministre de la transition écologique et solidaire et à la société  » Ferme éolienne de la Sablière « .

Copie en sera transmise pour information au préfet de la région Hauts-de-France.

N°18DA01230 4