Indu d’APL : un râteau faute de RAPO ?

Dans un grand nombre de procédures, l’administré doit avant de saisir le juge, déposer un recours administratif préalable obligatoire (RAPO).

Le Conseil d’Etat a eu récemment l’occasion de préciser quand un tel RAPO s’impose en matière d’indus au titre des versements d’aide personnalisée au logement (APL).

D’un côté, le Conseil d’Etat a confirmé, sans grande surprise, qu’il fallait un tel RAPO pour contester devant le juge une décision ordonnant le reversement d’un indu d’aide personnalisée au logement. Citons sur ce point le probable futur résumé des tables du recueil Lebon :

« Il résulte de l’article L. 351-14 du code de la construction et de l’habitation (CCH), de l’article R. 133-9-2 du code de la sécurité sociale (CSS), rendu applicable au recouvrement des indus d’aide personnalisée au logement (APL) par l’article R. 351-28-1 du CCH, et du second alinéa de l’article R. 142-1 du CSS qu’un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision du directeur d’une caisse d’allocations familiales (CAF) ordonnant le reversement d’un indu d’aide personnalisée au logement n’est recevable que si l’intéressé a préalablement exercé un recours administratif auprès de cette caisse dans les conditions qu’ils prévoient.»

 

MAIS le même arrêt, et ce point est nouveau à notre connaissance (mais cette décision est très logique selon nous), que nul RAPO ne s’impose lorsqu’il s’agit pour l’administré de s’opposer à une contrainte délivrée en vue de l’exécution de cette décision si à cette occasion l’administré ne conteste pas le bien-fondé de l’indu. Car ce n’est que la contestation du bien fondé de l’indu qui conditionne la mise en jeu des procédures et des régimes contentieux justifiant le recours à un RAPO. Le reste n’est que du droit des recouvrements forcés…

Voir là encore le futur probable résumé des tables du recueil Lebon :

« En revanche, l’article L. 161-1-5 du CSS, rendu applicable au recouvrement des sommes indûment versées au titre de l’APL par le neuvième alinéa de l’article L. 351-11 du CCH, et l’article R. 133-3 du CSS relatifs à l’opposition à une contrainte délivrée en vue de l’exécution d’une telle décision ne subordonnent pas l’exercice de cette voie de droit à l’exercice préalable du même recours administratif…. …b) Toutefois, le débiteur ne peut, à l’occasion de l’opposition, contester devant le juge administratif le bien-fondé de l’indu que s’il a exercé [un RAPO] »

Voici cet arrêt :

Conseil d’État, 5ème et 6ème chambres réunies, 09/11/2018, 417252
Références

Conseil d’État

N° 417252
ECLI:FR:CECHR:2018:417252.20181109
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
5ème et 6ème chambres réunies
M. Jean-Dominique Langlais, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
SCP DELAMARRE, JEHANNIN ; SCP GATINEAU, FATTACCINI, avocats
lecture du vendredi 9 novembre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral

Vu la procédure suivante :

M. B…A…a saisi le tribunal administratif de Versailles d’une opposition à la contrainte délivrée contre lui le 20 janvier 2016 par le directeur de la caisse d’allocations familiales de l’Essonne pour le recouvrement d’une somme de 6 161,65 euros indûment versée au titre de l’aide personnalisée au logement. Par une ordonnance n° 1601264 du 13 novembre 2017, la présidente du tribunal administratif a rejeté son opposition.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 janvier, 26 mars et 8 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. A…demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son opposition ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de la construction et de l’habitation ;
– le code de la sécurité sociale ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de M. A…et à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de la caisse d’allocations familiales de l’Essonne.
1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la caisse d’allocations familiales de l’Essonne a notifié le 7 mai 2015 à M. A…une décision ordonnant le reversement d’une somme de 6 161, 65 euros versée indûment par la caisse au titre de l’aide personnalisée au logement ; que le directeur de la caisse d’allocations familiales de l’Essonne a délivré le 20 janvier 2016 une contrainte contre M. A…; que M. A… a formé opposition à cette contrainte devant le tribunal administratif de Versailles ; qu’il demande l’annulation de l’ordonnance du 13 novembre 2017, prise sur le fondement du 4° de l’article R. 222-1 du code de justice administrative, par laquelle la présidente du tribunal administratif de Versailles a rejeté son opposition comme manifestement irrecevable au motif qu’il n’avait pas présenté au préalable un recours administratif devant le directeur de la caisse ;

2. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article L. 351-14 du code de la construction et de l’habitation :  » (…) Le directeur de l’organisme payeur statue, après avis de la commission de recours amiable qui connaît des réclamations relevant de l’article L. 142-1 du code de la sécurité sociale, sur : (…) 2° Les contestations des décisions prises par l’organisme payeur au titre de l’aide personnalisée au logement ou de la prime de déménagement. / Les recours relatifs à ces décisions sont portés devant la juridiction administrative  » ; qu’aux termes de l’article R. 133-9-2 du code de la sécurité sociale, rendu applicable au recouvrement des indus d’aide personnalisée au logement par l’article R. 351-28-1 du code de la construction et de l’habitation :  » L’action en recouvrement de prestations indues s’ouvre par l’envoi au débiteur par le directeur de l’organisme compétent d’une notification de payer le montant réclamé par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception. Cette lettre précise le motif, la nature et le montant des sommes réclamées et la date du ou des versements donnant lieu à répétition. Elle mentionne l’existence d’un délai de deux mois imparti au débiteur pour s’acquitter des sommes réclamées et les modalités selon lesquelles les indus de prestations pourront être récupérés, le cas échéant, par retenues sur les prestations à venir. Elle indique les voies et délais de recours ainsi que les conditions dans lesquelles le débiteur peut, dans le délai mentionné au deuxième alinéa de l’article R. 142-1, présenter ses observations écrites ou orales. / A l’expiration du délai de forclusion prévu à l’article R. 142-1 ou après notification de la décision de la commission instituée à ce même article, le directeur de l’organisme créancier compétent, en cas de refus du débiteur de payer, lui adresse par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception une mise en demeure de payer dans le délai d’un mois qui comporte le motif, la nature et le montant des sommes demeurant…  » ; que le second alinéa de l’article R. 142-1 du code de la sécurité sociale fixe un délai de deux mois, qui n’est opposable que s’il a été mentionné dans la décision, pour saisir la commission des recours amiables d’une réclamation contre une décision d’un organisme de sécurité sociale ;

3. Considérant, d’autre part, que les dispositions du neuvième alinéa de l’article L. 351-11 du code de la construction et de l’habitation rendent applicables au recouvrement des sommes indûment versées au titre de l’aide personnalisée au logement les dispositions de l’article L. 161-1-5 du code de la sécurité sociale, aux termes duquel :  » (…) le directeur d’un organisme de sécurité sociale peut, dans les délais et selon les conditions fixés par voie réglementaire, délivrer une contrainte qui, à défaut d’opposition du débiteur devant la juridiction compétente, comporte tous les effets d’un jugement et confère notamment le bénéfice de l’hypothèque judiciaire  » ; qu’aux termes de l’article R. 133-3 du même code :  » Si la mise en demeure ou l’avertissement reste sans effet au terme du délai d’un mois à compter de sa notification, les directeurs des organismes créanciers peuvent décerner, dans les domaines mentionnés aux articles L. 161-1-5 ou L. 244-9, une contrainte comportant les effets mentionnés à ces articles… / (…) / Le débiteur peut former opposition par inscription au secrétariat du tribunal compétent dans le ressort duquel il est domicilié (…) par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au secrétariat dudit tribunal dans les quinze jours à compter de la notification ou de la signification (…)  » ;

4. Considérant qu’il résulte des dispositions citées au point 2 qu’un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision du directeur d’une caisse d’allocations familiales ordonnant le reversement d’un indu d’aide personnalisée au logement n’est recevable que si l’intéressé a préalablement exercé un recours administratif auprès de cette caisse dans les conditions qu’elles prévoient ; qu’en revanche, les dispositions relatives à l’opposition à une contrainte délivrée en vue de l’exécution d’une telle décision citées au point 3 ne subordonnent pas l’exercice de cette voie de droit à l’exercice préalable du même recours administratif ; que, toutefois, le débiteur ne peut, à l’occasion de l’opposition, contester devant le juge administratif le bien-fondé de l’indu que s’il a exercé le recours administratif dans les conditions prévues par les dispositions citées au point 2 ;

5. Considérant qu’il suit de là qu’en rejetant comme irrecevable l’opposition à contrainte formée par M.A…, faute pour celui-ci d’avoir exercé un recours administratif auprès du directeur de la caisse d’allocations familiales, soit à l’occasion de la notification de la décision ordonnant le reversement de l’indu, soit à l’occasion de l’émission de la contrainte, la présidente du tribunal administratif de Versailles a commis une erreur de droit qui justifie, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, l’annulation de son ordonnance ; qu’il ressortait au demeurant d’un courrier adressé par la caisse à M. A…le 30 octobre 2015 et versé par elle au dossier soumis au juge du fond que l’intéressé avait présenté le 27 août 2015 le recours administratif prévu par l’article R. 351-51 du code de la construction et de l’habitation ;

6. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. A…au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de M. A…qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’ordonnance du 13 novembre 2017 de la présidente du tribunal administratif de Versailles est annulée.
Article 2 : L’affaire est renvoyée au tribunal administratif de Versailles.
Article 3 : L’Etat versera la somme de 3 000 euros à M. A…au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la caisse d’allocations familiales de l’Essonne au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B…A…, à la caisse d’allocations familiales de l’Essonne et à la ministre des solidarités et de la santé.

Analyse

 

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Crédits photographiques :                      qimono / 485 photos