Vice de procédure et omission d’une garantie pour un administré : le Conseil d’Etat nuance sa jurisprudence Danthony

En matière de RSA (et nul doute que d’autres domaines suivront), le Conseil d’Etat amende à la marge la jurisprudence Danthony en posant que le requérant n’a pas été privé d’une « garantie », au sens de cette jurisprudence, dans certains cas où l’on eût pu croire qu’une telle garantie interdisait toute danthonysation.

En l’espèce il s’agissait de l’usage de leur droit à communication par les organismes de sécurité sociale… si lors de l’usage de ce droit, l’organisme de sécurité sociale avant la suppression du service de la prestation ou la mise en recouvrement, omet d’informer l’allocataire à l’encontre duquel est prise la décision de supprimer le droit au RSA ou de récupérer un indu de RSA tant de la teneur que de l’origine des renseignements qu’il a obtenus de tiers par l’exercice de son droit de communication et sur lesquels il s’est fondé pour prendre sa décision…. ce vice peut ne pas être rédhibitoire quant à la légalité de l’acte s’il est établi qu’eu égard à la teneur du renseignement, nécessairement connu de l’allocataire, ce dernier n’a pas été privé, du seul fait de l’absence d’information sur l’origine du renseignement, de cette garantie. 

 


 

Les vices de procédures (et, par extension, les vices de forme) peuvent parfois ne pas entraîner l’illégalité d’un acte. En ce domaine, les juristes jargonnent désormais en s’interrogeant, au cas par cas, sur le point de savoir si tel ou tel vice est, ou n’est pas, « danthonysable ».

Il s’agit alors d’une référence, non pas à la ville d’Antony (comme un confrère publiciste connu — que j’ai la charité de ne pas citer —  l’a cru, découvrant à l’évidence cet arrêt d’Assemblée en pleine audience), mais à l’arrêt Danthony dont le considérant de principe est reproduit ci-dessous  :

« si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie » (CE Ass., 23 décembre 2011, Danthony, n°335033, publié au Rec. p. 649 ; GAJA 21e éd. n°112).

 

Il en résulte une grille de lecture simple. Un vice de procédure n’entraîne  l’illégalité d’une décision que :

  • soit s’il a privé les intéressés d’une garantie
  • soit s’il a été susceptible d’influencer le sens de la décision…

 

Voir :

 

Or, voici un arrêt intéressant (et un peu surprenant en réalité) appliquant cette jurisprudence en matière de RSA (ce qui n’est pas surprenant) et estimant que des péchés véniels en matière de droit à communication pourraient dans certains cas ne pas entacher d’illégalité les actes adoptés en aval, et ce en vertu de cette jurisprudence (ce qui est plus surprenant car on aurait pu, comme pour d’autres vices tels que l’omission de consultation d’un comité technique par exemple, croire que de tels vices entraînassent une illégalité rédhibitoire).

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat rappelle qu’il résulte des articles L. 262-16 et L. 262-40 du code de l’action sociale et des familles (CASF) et L. 114-19 et L. 114-21 du code de la sécurité sociale (CSS) que les caisses d’allocations familiales (CAF) et les caisses de mutualité sociale agricole (MSA), chargées du service du revenu de solidarité active (RSA), réalisent les contrôles relatifs à cette prestation d’aide sociale selon les règles, procédures et moyens d’investigation applicables aux prestations de sécurité sociale.

Au nombre de ces règles, procédures et moyens, se trouve le droit de communication instauré par l’article L. 114-19 du CSS au bénéfice des organismes de sécurité sociale pour contrôler la sincérité et l’exactitude des déclarations souscrites ou l’authenticité des pièces produites en vue de l’attribution et du paiement des prestations qu’ils servent.

Ce pouvoir, rappelle le Conseil d’Etat, s’exerce avec quelques garanties procédurales pour les administrés, notamment en vertu de l’article L. 114-21 du même code, à l’exercice de ce droit par un organisme de sécurité sociale.

C’est là qu’on arrive au coeur du sujet, à la garantie en cause : il incombe en effet à l’organisme ayant usé du droit de communication, avant la suppression du service de la prestation ou la mise en recouvrement, d’informer l’allocataire à l’encontre duquel est prise la décision de supprimer le droit au RSA ou de récupérer un indu de RSA tant de la teneur que de l’origine des renseignements qu’il a obtenus de tiers par l’exercice de son droit de communication et sur lesquels il s’est fondé pour prendre sa décision.

Cette obligation n’est certes pas anodine. Elle a pour objet de permettre à l’allocataire, notamment, de discuter utilement leur provenance ou de demander que les documents qui, le cas échéant, contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la récupération de l’indu ou la suppression du service de la prestation, afin qu’il puisse vérifier l’authenticité de ces documents et en discuter la teneur ou la portée.

L’article L. 114-21 du CSS institue ainsi une garantie au profit de l’intéressé.

Si l’on applique le mode d’emploi « normal » de l’arrêt Danthony précité, on aurait pu croire que toute omission sur ce point pourrait être un vice de procédure non régularisable, entachant la légalité de l’acte.

Mais le Conseil d’Etat amende à la marge l’arrêt Danthony pour aller un peu plus au fond des choses, pour voir si le requérant a réellement été privé d’une garantie.

Le futur résumé des tables du Rec. le pose clairement :

« Toutefois, la méconnaissance de ces dispositions par l’organisme demeure sans conséquence sur le bien-fondé de la décision prise s’il est établi qu’eu égard à la teneur du renseignement, nécessairement connu de l’allocataire, celui-ci n’a pas été privé, du seul fait de l’absence d’information sur l’origine du renseignement, de cette garantie. »

 

La suite du futur résumé des tables explique mieux la situation :

« Les articles L. 262-41 et R. 262-74 du code de l’action sociale et des familles (CASF) sont seuls applicables lorsque, constatant une disproportion marquée entre le train de vie et les ressources déclarées par un demandeur ou un bénéficiaire du revenu de solidarité active (RSA), le président du conseil départemental ou les organismes chargés de l’instruction des demandes ou du versement de l’allocation, entendent déterminer son droit au RSA en fonction des éléments de train de vie de son foyer.

« Elles ne font pas obstacle, lorsqu’un demandeur ou un bénéficiaire du RSA s’est rendu coupable de fraude ou de fausse déclaration et que l’autorité administrative est, en outre, en mesure d’établir qu’il ne peut prétendre au bénéfice de l’allocation ou qu’il n’est pas possible, même après avoir usé du droit de communication, faute de connaître le montant exact des ressources des personnes composant le foyer, de déterminer s’il pouvait ou non bénéficier de l’allocation pour la période en cause, à ce qu’elle mette fin à cette prestation et, sous réserve des délais de prescription, décide de récupérer les sommes qui ont ainsi été indûment versées à l’intéressé. »

 

VOIR CET ARRÊT :

Conseil d’État, 1ère et 4ème chambres réunies, 18/02/2019, 416043

 

Autres sources citées par le site Légifrance et par le CE : CE, 20 juin 2018, Département des Bouches du Rhône, n° 409189 409193, à mentionner aux Tables ; Rappr., en matière fiscale (art. L. 76 B du LPF), CE, 17 mars 2016, Ministre des finances et des comptes publics c/ M. Monsterleet, n° 381908, p. 75 ; voir aussi CE, 14 mars 2003, M.,, n° 246873, p. 123 ; CE, 31 mars 2017, Département de la Moselle c/ M.,, n° 395646, p. 114.