Après les maires, au tour du Sénat de prendre au sérieux les gaz hilarants

Mise à jour importante voir : Au tour du législateur de prendre au sérieux les gaz hilarants  (loi n° 2021-695 du 1er juin 2021)

 

Le protoxyde d’azote de plus en plus détourné de son usage originel à des fins toxicomanes… ou festives mais mal contrôlées.

Originellement utilisé comme gaz de pressurisation d’aérosol alimentaire, notamment d’usage courant pour les siphons culinaires à chantilly, ou bien en milieu hospitalier pour ses propriétés anesthésiques et analgésiques, le protoxyde d’azote (N2O), également dénommé “gaz hilarant”, est aujourd’hui massivement utilisé comme drogue récréative par les jeunes.

Il ressort en effet du rapport de l’observatoire français des drogues et des toxicomanies (décembre 2018) que des “usages détournés de protoxyde d’azote sont observés de façon discontinue depuis 1999 (…) ; [qu’à] partir de 2015, on constate qu’il devient très disponible sur les scènes festives alternatives (…). [Et qu’en] 2017, la visibilité du protoxyde d’azote dans l’espace public s’accroît dans la métropole lilloise où les cartouches vides jonchent les trottoirs de certains quartiers, témoignant du caractère massif des consommations. Le site TREND de Lille a identifié différents profils de consommateurs : jeunes impliqués dans le trafic de stupéfiants, personnes prostituées, personnes précaires, mais aussi des collégiens et des lycéens”… avec des conséquences sanitaires graves.

Alors les maires ont pris des arrêtés (I.), avant que le Sénat ne s’y attelle (II).

 

I. Arrêtés municipaux : gaz hilarants et sérieux dosages juridiques

 

Les médias en parlent de plus en plus (voir ici un bon article de Localtis), de nombreux maires prennent des arrêtés anti gaz hilarant (protoxyde d’azote)par détournement de gaz en vente libre prévus à d’autres effets. bref, le gaz hilarant, c’est pas marrant.

Les maires sont en effet concernés par les dangers de ses pratiques qui, chez les adolescents, voire parfois les enfants, sont tendance.

La première mesure usuelle (interdire la consommation sur la voie publique) de ces arrêtés relève classiquement des pouvoirs de police des maires.

Plus complexe est la seconde consistant à en interdire la vente aux mineurs. Une mesure un peu efficace si tous les maires d’une large zone géographique l’adoptent mais qui, elle, se heurte à la limite du fait qu’il y a aussi en ce domaine un pouvoir de police spécial, relevant de l’Etat. Il faut alors, exactement comme pour les arrêtés anti-pesticides (voir ici), tenter de s’abriter derrière les cas où le juge l’admet (CE, S., 18 décembre 1959, Lutétia, n°36385 36428, publié au rec.), avec des combinaisons au final entre pouvoir de police générale du maire et pouvoirs de police spéciale qui restent bâtis par le juge régime par régime (pour deux exemples récents voir CE, 5 juin 2019, n° 417305 et CE, 27 juillet 2015, 367484).

Et puis… et puis :

  • les troubles concernent beaucoup les jeunes majeurs,
  • les livraisons en ligne sont devenues performantes
  • un des usages de ces gaz réside dans les machines à cartouche pour faire de la chantilly…

 

A supposer qu’on tente une telle interdiction ou restriction, comme à chaque fois, il faut surtout tenter de limiter la portée de l’arrêté selon une grille séculaire. Le juge administratif contrôle en effet le dosage des pouvoirs de police en termes :

• de durée (CE Sect., 25 janvier 1980, n°14 260 à 14265, Rec. p. 44) ;
• d’amplitude géographique (CE, 14 août 2012, n° 361700) ;
• de contenu même desdites mesures (voir par exemple CE, Ass., 22 juin 1951, n° 00590 et 02551 ; CE, 10 décembre 1998, n° 107309, Rec. p. 918 ; CE, ord., 11 juin 2012, n° 360024…).

Pour quelques exemples par analogie avec d’autres domaines voir TA Besançon, ord., 28 août 2018, n° 1801454. CE, 4 novembre 2015, n° 375178. CAA de Nantes 31 mai 2016, n°14NT01724, puis n°15NT03551 du 7 juin 2017. Voir aussi le même raisonnement, par analogie, pour les arrêtés dits de couvre feu (CE, ord., 9 juillet 2001, n° 235638 ; voir aussi CE, ord., 29 juillet 1997, n° 189250 puis CE, 10 août 2001, n° 237008 et n° 237047 [2 esp.] ; CAA Marseille, 13 septembre 2004, n° 01MA02568 ; CE, 30 juillet 2001, n° 236657).

Oui mais… ces mesures ne sont efficaces que si elles sont généralisées (au contraire de ce qui se passe pour les couvre feu, les arrêtés anti-mendicité, ou certaines arrêtés à finalités environnementales). Il en résulte une obligation :

  • de démontrer que la commune a des difficultés particulières en ce domaine (nous n’insisterons jamais assez sur le fait qu’il faut accumuler des témoignages, garder des traces des troubles identifiés…)
  • de tenter de bâtir une grille d’interdiction dont on puisse dire qu’elle est au cas par cas mesurée, proportionnée à ces troubles. Or, ces troubles se limitent à des maux de tête et des vertiges, même si un décès par asphyxie a été constaté il y a quelques années.

 

Les argumentaires sont en droit plus faciles à bâtir sur trois fronts :

 

Bref, le gaz hilarant, problème sérieux, est à traiter au cas par cas, armé de son juriste préféré. Un grand moment de rigolade en perspective 😉.

 

II. Le Sénat tente de débloquer la situation

 

Le Sénat a donc adopté une proposition de loi transpartisane visant à interdire la vente aux mineurs ces gaz hilarants, avec amende à la clef et obligations d’informations (pour les fabricants et actions de prévention à l’école).

Voir :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl18-438.html