Une délibération approuvant le compte rendu de la séance précédente est-elle un acte susceptible de recours ? Non répondent de nombreux TA… Oui répond un autre TA

Le TA de Cergy-Pontoise a décidé qu’un recours était admissible contre une délibération approuvant le compte rendu de la séance précédente du conseil municipal… ce qui vu la jurisprudence précédente, unanime et abondante en sens inverse, n’allait pas du tout de soi.  
Revenons sur les régimes juridiques du procès-verbal et du compte rendu de ces séances, que l’on confond trop souvent (I) et sur les jurisprudences antérieures (II) avant que de présenter ce jugement qui n’allait pas de soi et qui pourrait s’étendre à d’autres juridictions car il est… dans l’air du temps (III). 

 

 

I. Procès-verbal et compte-rendus : deux documents bien distincts aux régimes juridiques différents

 

En droit il faut distinguer :

  • le « procès-verbal du conseil municipal », qui est normalement rédigé en cours de séance par le secrétaire de séance. Le Code général des collectivités territoriales s’avère des plus discrets à son égard (plus discret, encore, que son ancêtre le Code des communes). Toute mention du procès-verbal du conseil municipal a ainsi disparu des dispositions relatives au vote au scrutin public, pour ne plus demeurer que : d’une part, dans la liste des documents dont « toute personne physique ou morale a le droit de demander communication sur place et de prendre copie totale ou partielle» ; d’autre part, dans le droit alsacien et mosellan.
    En pratique, la plupart des secrétaires de séance des conseils municipaux tiennent un procès verbal du conseil qui sert, ensuite, à préparer le « compte-rendu » de séance ainsi que la délibération elle-même. Une abondante jurisprudence s’est développée pour répéter, avec constance, que le procès-verbal de séance fait foi en matière de déroulement desdites séances, sauf preuve contraire (pour un exemple récent : CAA Marseille, 4 novembre 2019, n° 17MA03725). La plupart du temps, c’est le procès verbal lui-même qui est signé par les conseillers municipaux et qui est, ensuite, collé ou « scotché » dans le registre des délibérations. Une pratique qui n’est légale qu’à certaines conditions, trop souvent omises…Le Conseil d’Etat a jugé qu’était illégale la mention d’un règlement intérieur autorisant le maire à rayer, de son propre chef, tous propos diffamatoires ou injurieux au sein des procès-verbaux.

    Sources : art. L. 2121-26 et L. 2121-21 du CGCT (à comparer avec l’ancien art. L. 121-12 du Code des communes), ainsi que les art. L. 2541-10 et L. 2541-11 du CGCT (applicables en Alsace et en Moselle
    ; CE, 16 juillet 1875, Billot, Lebon p. 687 ; CE 11/6/48 Serre, rec. 262 ; CE 26/11/48 Ourliac, rec. 443; CE 10/2/95 Cne de Coudekerque-Branche, n°147378 (voir aussi l’arrêt Riehl du même jour, n°129168) ; CAA Paris, 22 novembre 2005, commune d’Issy-les-Moulineaux req. n°02PA01786. Voir aussi CE, 7 juillet 2010, n° 316668.
    A titre de comparaison, sur le caractère insusceptible de recours d’une délibération approuvant un PV d’un CA d’un Etablissement public d’enseignement supérieur (mais en aurait-il été de même si avait été attaquée la décision de refus de modifier le PV ?) voir TA Lyon, 16 janvier 2020, n° 1806179.
     
  • le « compte-rendu de séance » qui doit, quant à lui, être affiché, à la porte de la mairie (ou près de celle-ci, voire dans le hall de la mairie si celle-ci est ouverte avec une très grande amplitude horaire et avec un libre accès au public), « dans la huitaine » et pour une « durée suffisante » (la durée de deux mois est souvent évoquée) afin de permettre aux administrés de saisir le sens et la portée réelle des délibérations.  Le refus d’un maire de procéder à cet affichage est susceptible d’être annulé par le juge administratif. Cependant, l’omission d’un tel affichage ne constitue pas, en elle-même, un facteur d’illégalité de la délibération qui n’a pas donné lieu à cet affichage. Une telle omission, en revanche : d’une part, diffère d’autant l’entrée en vigueur (le caractère exécutoire) de cette délibération ; et, d’autre part, retarde d’autant l’écoulement du délais de recours contentieux contre cet acte (sauf, pour simplifier, « connaissance acquise » ou notification de cet acte).Source : art. L. 2121-25 et L. 2131-1 du CGCT ; art. R. 2121-7 et suivants du CGCT ; CE 2/12/77 Comité de défense de l’environnement de Mâcon-Nord, rec. 474 ; CE 29/6/79 Min. de l’Int. c/ Malardel, n° 05536, publié au rec. (« les mesures de publication […] pour le compte rendu des séances du conseil municipal ne sont pas prescrites à peine de nullité des délibérations ») ; CE 13/6/86 Toribio et Bideau (connaissance acquise des conseillers municipaux), n°59578  ; CE 10/7/96 Cayzeele, rec. 274, AJ 1996, p. 732 (les délais de recours contentieux ne courent pas faute de publicité régulière alors même que le requérant avait obtenu copie, sur sa demande, de l’acte litigieux)… Sur la responsabilité personnelle d’un élu laissant afficher un compte-rendu de séance comportant des mentions injurieuses ou diffamatoires, cf. TC, 7/5/53 Mitard, rec. 586. Sur le fait que le calcul des délais de recours contentieux court à compter de la « publication effectuée par voie d’affichage », quand bien même d’autres mesures de publicité seraient prévues, cf. CE 30/6/99 Chambre syndicale des propriétaires et copropriétaires de Marseille et des Bouches-du-Rhône, n° 131858, publié au rec. Voir aussi CAA Nantes 10/02/2000, Cher, n° 96NT01949.

 

II. La jurisprudence antérieure allait dans le sens d’un acte insusceptible de recours.

A. Position du Conseil d’Etat en 1987

 

Un certain Monsieur X avait demandé au juge administratif d’annuler une délibération du conseil municipal de Y « relative à la présentation des comptes-rendus et des procès-verbaux des séances du conseil municipal ». Le Conseil d’Etat a estimé que cette délibération concernait « le fonctionnement interne dudit conseil » et ne pouvait dès lors pas faire l’objet d’un recours en annulation.

De plus, le Conseil d’Etat avait alors précisé « qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’impose la transcription sur le registre des délibérations du conseil municipal des documents préparatoires ayant servi de base à ces délibérations » ni la « mention des interventions des conseillers municipaux au cours de la séance ». Et Monsieur X de se voir condamner pour recours abusif par le Conseil d’Etat….

Cet arrêt pose-t-il que le compte rendu de séance est un acte insusceptible de recours ? NON. Mais une délibération relative à ces actes l’est, ce qui tout de même nous en rapproche un peu.

Source : CE 18/11/87 Marcy, n° 75312, publié au rec.
A noter en sens inverse à cet arrêt sur le point du droit des élus à a our leur interventions, voir un arrêt, à notre sens contestable, donnant droit aux élus à une diffusion de leurs positions, via un litige relatif au règlement intérieur : CAA Marseille, 21 janvier 2003, n° 99MA00153 ; voir ici.  

 

B. La position, nette, du TA de Nancy

 

Le TA de Nancy, dans un jugement en date du 14 octobre 2014, n° 1300865, était quant à lui d’une grande clarté :

« 2. Considérant qu’en application de l’article L. 2121-25 du code général des collectivités territoriales, le compte-rendu de la séance d’un conseil municipal est affiché dans la huitaine ; qu’il en résulte que le compte rendu de la séance d’un conseil municipal est un acte purement informatif dont l’objet n’est pas de modifier ou, au contraire, de maintenir en l’état l’ordonnancement juridique, nonobstant la circonstance qu’il fasse l’objet d’un vote pour son approbation par le conseil municipal ; que, par suite, il ne s’agit pas d’un acte faisant grief susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ; que, par conséquent, comme en ont été informées les parties, les conclusions de Mme X tendant à l’annulation partielle du compte-rendu de la séance du conseil municipal de la commune de Ceintrey du 19 décembre 2012 sont irrecevables et doivent être rejetées ; »

 

C. Le TA de Dijon, lui aussi, estimait que ces actes n’étaient pas susceptibles de recours

 

Dans le même sens, citons le TA de Dijon :

« 2. Considérant que la requête demande au Tribunal d’annuler, non pas la délibération du conseil municipal de la commune d’Etais la Sauvin en date du 30 janvier 2015 mais le compte-rendu de cette séance qui, selon les requérants, comporte des omissions ou des inexactitudes ;
« 3. Mais considérant que le compte-rendu d’une séance de conseil municipal ne constitue pas une décision susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir ; que, par suite, les conclusions de la requête tendant à l’annulation de ce document sont irrecevables ;
»
(TA Dijon, 23 novembre 2015, n° 1500658 ; voir aussi dans le même sens TA Dijon, Dijon, 25 mars 2015, n° 1403302)

 

D. Idem pour le TA de Besançon

 

Idem pour le TA de Besançon (qui traite de la présentation des comptes rendus mais il ne s’agissait pas des modalités pratiques de présentation desdits comptes rendus dans cette affaire, mais bien des comptes rendus eux-mêmes, qui étaient attaqués en tant que tels) :

« 2. Considérant que la présentation des comptes rendus et des procès-verbaux des séances du conseil municipal concerne le fonctionnement interne dudit conseil et ne constitue donc pas un acte administratif susceptible de recours pour excès de pouvoir ; que, par suite, comme le soutient la commune, les conclusions du requérant tendant à l’annulation des décisions relatives à la présentation des comptes rendus des séances du conseil municipal des 20 juin et 29 août 2014 ne peuvent qu’être rejetées  ; »
(TA Besançon, 19 mai 2015, n° 1401397)

 

E. Et le TA de Nîmes a même posé que cette irrecevabilité est si manifeste qu’elle peut donner lieu à rejet par simple ordonnance

 

Enfin citons une ordonnance du TA de Nîmes :

« Considérant que la requête présentée par Mme X, M. Y est dirigée contre le compte rendu du conseil municipal qui ne comporte, en lui-même, aucune décision faisant grief aux intéressés, susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ; que, par suite, cette requête, qui ne saurait être régularisée, est entachée d’une irrecevabilité manifeste et doit, dès lors, être rejetée ; »
(TA Nîmes, 30 juin 2011, n° 0901905).

 

 

III. La position, discutable, en sens inverse de toutes les jurisprudences que nous venons de citer, mais tout à fait dans l’air du temps, du TA de Cergy-Pontoise

 

Soyons clairs, selon nous un compte rendu de séance est un acte qui n’opère qu’un constat d »un déroulement matériel de faits. Il ne décide de rien. Il n’émet ni voeu ni opinion en lui-même… donc y voir un acte attaquable est à tout le moins discutable.

Mais tel n’est pas la position du TA de Cergy-Pontoise.

Ce tribunal était également saisi de conclusions dirigées contre la délibération du même conseil municipal qui, à la séance suivante, a adopté le compte rendu de la séance au cours de laquelle auraient dû être adoptées les délibérations déclarées inexistantes.

Il a considéré que, même en l’absence d’effets juridiques directement attachés à ce compte rendu, le conseil municipal avait manifesté, en l’approuvant, la volonté de la majorité de ses membres d’entériner les délibérations inexistantes. Il a donc considéré (point 8) que cette manifestation de volonté justifiait d’admettre la recevabilité des conclusions contre cette délibération et l’a annulée en tant qu’elle approuve le compte rendu litigieux.

NB : c’est sur ce point donc que le TA fonde « sa différence » par rapport aux jurisprudences antérieures (mais celles-ci ont-elles été soulevées en défense ? Nous l’ignorons). Soyons clairs : cela ne nous semble pas convainquant car cela revient à dire qu’il y a délibération et acte attaquable pour des raisons de forme en réalité, à rebours sur ce point de toute la jurisprudence… au moins quand le requérant n’est pas le préfet. 

En revanche, le tribunal a considéré — plus classiquement —  que la décision du maire procédant, en application de l’article R. 2121-9 du code général des collectivités territoriales, à la transcription des délibérations inexistantes sur le registre des délibérations ne révélait aucune décision susceptible de recours. Il a donc rejeté comme irrecevables les conclusions dirigées contre cette transcription.

Il y a tout de même quelques limites qui restent donc infranchies…

 

 

Voici cette décision TA Cergy-Pontoise, 28 novembre 2019, n°1703459 :

1703459