Survol du projet de loi « Respect des principes de la République » (séparatisme) [VIDEO et article]

Nouvelle diffusion 

Le 6 octobre dernier, les ministres Darmanin et Schiappa ont dévoilé le contenu de l’avant projet de loi séparatisme :

Ce texte a depuis donné lieu à moult débats, et a été renommé pour devenir le « projet de loi confortant le respect, par tous, des principes de la République »… adopté ce 9 décembre 2020  en Conseil des Ministres avec en nom abrégé « Respect des principes de la République », conduisant à l’amusant acronyme, ô combien signifiant, « RPR ».

Déjà, certains éléments sensibles ont été adoucis à la suite de l’avis du Conseil d’Etat sur ce projet, avis consultatif que voici :

 

Survolons rapidement ce projet de loi, tout en rappelant que bien sûr celui-ci a vocation à évoluer beaucoup au fil des débats parlementaires à venir :

  • I. Vidéo (8 mn 11)
  • II. Accès au texte, à l’étude d’impact et aux dossiers législatifs
  • III. Survol de cette loi
    • III.A. Obligation de respecter les principes de neutralité et de laïcité pour les délégataires de service public, les attributaires de commandes publiques et pour les organismes de droit privé en charge de l’exécution d’une mission de service public
    • III.B. Contrôle sur les collectivités territoriales
    • III.C. Le FIJAIT… bouge
    • III.D. Nouvelles protection des agents publics
    • III.E. Nouveautés pour les associations
    • III.F. Fonds de dotation  et mécénat
    • III.G. Dignité de la personne humaine
    • III.H Haine en ligne
    • III.i. Sport et éducation
    • III.j. Lieux de culte et associations cultuelles
    • III.K. Toilettage pénal et police des cultes

 

I. Vidéo

 

Me Eric Landot opère un rapide survol, en 8 mn 11, de ce projet de loi tel qu’il a été adopté ce 9 décembre 2020 en Conseil des Ministres, avant examen par le Parlement :

 

https://youtu.be/WCocpgLbOwM

 

II. Accès au texte, à l’étude d’impact et aux dossiers législatifs

 

Voici  un lien vers :

Le dossier législatif sur le site du Sénat n’est pas encore créé.

Attention : ce texte n’est pas détachable en réalité de la proposition de loi, étudiée en parallèle, sur la « sécurité globale ». Voir :

 

 

III. Survol de cette loi

 

III.A. Obligation de respecter les principes de neutralité et de laïcité pour les délégataires de service public, les attributaires de commandes publiques et pour les organismes de droit privé en charge de l’exécution d’une mission de service public

 

La jurisprudence impose déjà que les organismes de droit privé chargés de l’exécution d’un service public se trouvent soumis aux principes de neutralité et de laïcité du service public pour les activités qui relèvent de ce champ.

La loi transformerait ces principes jurisprudentiels en règles de droit écrit avec un plus grand contrôle sur ce point puisque ces organismes doivent veiller à ce que tous leurs agents et prestataires respectent ces principes :

« I. ‒ Lorsque la loi ou le règlement confie directement l’exécution d’un service public à un organisme de droit public ou de droit privé, celui-ci est tenu d’assurer l’égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public. Il prend les mesures nécessaires à cet effet et, en particulier, il veille à ce que ses salariés ou les personnes sur lesquelles il exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, lorsqu’ils participent à l’exécution du service public, s’abstiennent de manifester leurs opinions, notamment religieuses, et traitent de façon égale toutes les personnes.

Cet organisme veille également à ce que toute autre personne à laquelle il confie, en tout ou partie, l’exécution du service public s’assure du respect de ces obligations.

Les dispositions réglementaires applicables à ces organismes précisent, le cas échéant, les modalités de contrôle et de sanction des obligations mentionnées au présent I. »

 

Idem cas de contrat de commande publique dont la consultation est engagée après la loi (avec obligation de le prévoir dans les contrats et dans le suivi de ce contrat) :

« II. ‒ Lorsqu’un contrat de la commande publique, au sens de l’article L. 2 du code de la commande publique, a pour objet, en tout ou partie, l’exécution d’un service public, son titulaire est tenu d’assurer l’égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public. Il prend les mesures nécessaires à cet effet et, en particulier, il veille à ce que ses salariés ou les personnes sur lesquelles il exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, lorsqu’ils participent à l’exécution du service public, s’abstiennent de manifester leurs opinions, notamment religieuses, et traitent de façon égale toutes les personnes.

Le titulaire du contrat veille également à ce que toute autre personne à laquelle il confie pour partie l’exécution du service public s’assure du respect de ces obligations.

Les clauses du contrat rappellent ces obligations et précisent les modalités de contrôle et de sanction du cocontractant lorsque celui-ci n’a pas pris les mesures adaptées pour les mettre en œuvre et faire cesser les manquements constatés. […]»

 

III.B. Contrôle sur les collectivités territoriales

 

Initialement, l’avant projet de loi avait prévu un contrôle préfectoral puissant en ce domaine avec un référé préfectoral revenant presque au bon vieux temps de la tutelle :

Après que la polémique ait commencé à enfler, avec des critiques du CNEN et du Conseil d’Etat, l’article 2 du projet de loi a été adouci.

Ce texte prévoit que lorsque le préfet défère l’acte au tribunal administratif et en demande la suspension provisoire, il est statué sur cette demande de suspension dans un délai de quarante-huit heures, comme tel est le cas pour les actes de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique ou individuelle. Mais ce délai raccourci s’applique si l’acte de la collectivité est de nature à « porter gravement atteinte au principe de neutralité des services publics ».

Ce n’est pas à proprement parler un « référé laïcité » nouveau, un nouveau type de référé donc, contrairement à ce qui est proclamé avec amusement ou indignation ici ou là.

 

III.C. Le FIJAIT… bouge

 

L’article 3 modifie le champ d’application du fichier des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT) :

  • intégration des délits :
    • prévus aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du code pénal relatifs :
      • à la provocation à des actes de terrorisme et à l’apologie publique de tels actes
      • à l’extraction, la reproduction et la transmission de données faisant l’apologie d’actes de terrorisme ou provoquant à ces actes afin d’entraver l’efficacité d’une procédure de blocage d’un service de communication au public en ligne.
  • définition de façon différenciée les durées de conservation des données de ce fichier et prévoit une modification des conditions d’inscription en remplaçant le dispositif actuel, qui repose sur une décision d’inscription expresse de la juridiction de jugement, par un système d’inscription de plein droit, sauf décision spécialement motivée.
  • régime différencié dans le traitement des personnes inscrites ; les personnes condamnées ou mises en cause pour des infractions visées aux articles L. 224-1 et L. 225-7 du code de la sécurité intérieure et aux articles du code pénal précédemment mentionnés ne sont pas astreintes aux obligations de déclaration et de justification d’adresse et de présentation à un service de police ou de gendarmerie.

 

III.D. Nouvelles protection des agents publics

 

Les agents publics ou chargés du service public seraient :

  • protégés par une nouvelle infraction pénale afin de mieux les protéger contre  les menaces, les violences ou tout acte d’intimidation exercés à leur encontre dans le but de se soustraire aux règles régissant le fonctionnement d’un service public.
  • bénéficiaires d’un dispositif de signalement (qui existe mais serait étendu à tous les agents publics) pour ceux qui s’estiment victimes d’un acte de violence, de discrimination, de harcèlement moral ou sexuel ou d’agissements sexistes.

 

III.E. Nouveautés pour les associations

 

Toute demande de subvention ferait (à peine d’illégalité et de remboursement obligatoire) désormais l’objet d’un engagement de l’association à respecter les principes républicains et ce via un contrat d’engagement républicain.

Ces principes sont :

  • liberté,
  • égalité,
  • fraternité,
  • respect de la dignité de la personne humaine
  • et… sauvegarde de l’ordre public (qui est moins nettement un tel principe !)

L’exposé des motifs de la loi rappelle que :

« cet article n’a ni pour objet ni pour effet d’empêcher les associations d’inspiration confessionnelle d’obtenir et d’utiliser des subventions pour leurs activités d’intérêt général. Le contrat d’engagement républicain, dont le contenu est délimité par la loi, ne saurait étendre l’application du principe de laïcité au-delà de l’administration et des services publics. »

L’article 7 renforce les conditions d’agrément des associations par l’Etat dans les cas où un tel agrément existe. Les agréments sont propres à certains secteurs de l’action publique mais les conditions d’octroi sont en partie communes. L’article 25-1 de la loi du 12 avril 2000 prévoit un tronc commun d’agrément soumis à trois conditions : objet d’intérêt général, fonctionnement démocratique et transparence financière. Le projet de loi y ajoute une quatrième condition : le respect des principes du contrat d’engagement républicain prévu à l’article 10-1 de la loi du 12 avril 2000, créé par l’article 6 du projet de loi.

L’article 8 apporte plusieurs modifications à l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure qui prévoit les modalités et les motifs de dissolution administrative des associations et groupements de fait troublant gravement l’ordre public ou portant atteinte à des droits et libertés fondamentaux. Avec trois changements majeurs :

  • évolution de la rédaction de certains motifs de dissolution.
  • possibilité d’imputer à une association ou à un groupement de fait les agissements qui sont soit commis par des membres agissant en cette qualité, soit directement liés aux activités de cette association ou de ce groupement (ce qui soulève diverses difficultés juridiques notamment constitutionnelles selon nous).
  • possibilité, en cas d’urgence, de suspendre à titre conservatoire tout ou partie des activités des associations ou groupements de fait qui font l’objet d’une procédure de dissolution administrative, pendant la durée nécessaire à l’instruction de cette mesure (là encore les débats constitutionnels vont être délicats).

 

III.F. Fonds de dotation  et mécénat

 

Les fonds de dotation (structuration d’activités philanthropiques) resteront un régime déclaratif souple, mais les contrôles notamment fiscaux et les sanctions y adossées seront plus stricts.

Les organismes à but non lucratif bénéficiaires de dons qui estiment être éligibles au régime fiscal du mécénat, devront déclarer chaque année le montant cumulé de dons concernés ainsi que le nombre de reçus qu’ils ont délivrés, sans que doive être transmise à l’administration fiscale l’identité des donateurs (avec reçus écrits obligatoires).

 

III.G. Dignité de la personne humaine

 

• renfort des protections des héritiers réservataires.

• lutte contre la polygamie au stade de l’entrée et du séjour des étrangers et des pension de réversion.

• interdiction (à peine de sanctions) à l’ensemble des professionnels de santé l’établissement de certificats attestant de la virginité  d’une personne et à sanctionner ceux qui y contreviendraient (le droit positif n’est pas totalement muet à ce sujet, déjà)

• renforcement du dispositif de protection du consentement de futurs époux contre la célébration de mariages forcés (entretiens séparés avec les futurs époux en cas de doute et saisine du Procureur comme à ce jour mais avec des modalités qui évoluent à la marge). Nous sommes là plus dans une confirmation que dans une révolution…

III.H Haine en ligne

 

Après le flop de la loi Avia (voir ici), le nouveau projet de loi vise à :

  • créer un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne, permettant de l’identifier ou de la localiser, dans le but d’exposer elle-même ou les membres de sa famille à un risque immédiat d’atteinte à la vie, à l’intégrité physique ou psychique, ou aux biens.
  • instituer une procédure à même d’assurer l’effectivité d’une décision de justice exécutoire constatant l’illicéité d’un site Internet et ordonnant son blocage ou son déréférencement.
  • autoriser les procédures de comparution immédiate ou à délai différé sont applicables dans les conditions de droit commun aux personnes suspectées d’avoir commis l’un des délits prévus à l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 (c’est malin : les réseaux sociaux disent ne pas être des médias mais juste des hébergeurs. Mais ils bénéficient du droit de la presse qui interdit la comparution immédiate. Il est prévu de les prendre à leur jeu : soit ils ont tout le droit de la presse mais s’y soumettent et on un directeur de la publication, soit ce n’est pas le cas et on peut aller vite en comparution immédiate). Cette réforme ne modifie pas les infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Elle ne modifie pas non plus les garanties procédurales prévues par cette loi, notamment la limitation des saisies et confiscations. En outre, il est expressément prévu que les procédures accélérées ne seront pas applicables aux personnes relevant du régime de responsabilité dit « en cascade » prévu à l’article 42 de la loi du 29 juillet 1881.

 

III.i. Sport et éducation

 

• scolarisation obligatoire de l’ensemble des enfants aujourd’hui soumis à l’obligation d’instruction, soit les enfants âgés de trois à seize ans, sauf  autorisation délivrée par les services académiques, pour des motifs tirés de la situation de l’enfant et définis par la loi. Ce régime est très strict et très controversé.

• régime de fermeture administrative des établissements d’enseignement privés hors contrat ainsi que des établissements illégalement ouverts.

• Tout établissement privé souhaitant conclure un contrat simple ou d’association devra démontrer qu’il est en mesure de dispenser, selon la nature du contrat, un enseignement conforme aux programmes de l’enseignement public ou par référence à ceux-ci.

• remplacement du régime de tutelle sur l’ensemble des fédérations sportives reconnues par l’Etat par un régime de contrôle mais avec des obligations renforcées s’agissant du respect des principes républicains (via des contractualisations à durée déterminée).

 

III.j. Lieux de culte et associations cultuelles

 

• simplification de la condition relative au nombre minimal de membres requis pour constituer une association cultuelle (qui passerait à sept personnes majeures).

• amélioration de la démocratie interne aux associations cultuelles (obligation de prévoir des règles de fonctionnement garantissant une meilleure maîtrise par leurs membres des décisions importantes prises par l’association, en soumettant à la décision d’un organe délibérant l’adhésion des nouveaux membres, les modifications statutaires, les cessions immobilières et, sauf si cela ne relève pas des compétences de l’association, le recrutement des ministres du culte). Cette disposition n’empêcherait pas les associations cultuelles de choisir que les ministres du culte soient désignés de manière extérieure au cadre associatif, en conformité avec les principes régissant le culte dont elles se proposent d’organiser l’exercice public.

• la procédure actuelle de rescrit administratif, qui permet à une association cultuelle d’obtenir la confirmation par l’administration qu’elle répond aux prescriptions de ce statut, deviendrait une obligation de déclaration, auprès du préfet, de la qualité cultuelle de toute association qui souhaite bénéficier des avantages propres à la catégorie des associations cultuelles.

• réforme du financement des associations cultuelles qui pourront posséder des immeubles acquis à titre gratuit qui ne sont pas directement nécessaires à leur objet, afin de pouvoir en tirer des revenus. Ces revenus ne pourront servir qu’à financer des activités cultuelles.

• réforme du régime des autres associations organisant l’exercice du culte.

• extension aux associations inscrites de droit local à objet cultuel d’Alsace‑Moselle de certaines obligations applicables aux associations cultuelles de la France de l’intérieur.

• exemption du droit de préemption pour les immeubles faisant l’objet d’une donation entre vifs au profit des fondations, des congrégations, des associations ayant la capacité à recevoir des libéralités, des établissements publics du culte et des associations de droit local.

• série de nouvelles mesures de contrôle du financement des cultes.

 

III.K. Toilettage pénal et police des cultes

 

La section 2 modernise les dispositions du titre V de la loi du 9 décembre 1905 relatif à la police des cultes.

Des peines renforcées sont prévues en cas d’entrave à l’exercice des cultes.

De nombreux toilettages sont prévus en matière de police des cultes et de sanctions pénales, mais rien de très essentiel.

Plus important : une interdiction de paraître dans les lieux de culte peut être prononcée par le juge à titre de peine alternative ou de peine complémentaire pour les délits relatifs à la police des cultes, ainsi qu’en cas de condamnation pour provocation à des actes de terrorisme ou provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes.

Toute personne condamnée pour des actes de terrorisme se verra interdite de diriger ou d’administrer une association cultuelle pendant une durée de dix ans.

L’article 44 crée une mesure de fermeture administrative des lieux de culte, à caractère temporaire, qui permet de compléter le dispositif existant, prévu à l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, qui vise uniquement à prévenir la commission d’actes de terrorisme.

Sur ce régime, voir :

 

Les dispositions proposées rendent également possible la fermeture administrative, dans les mêmes conditions procédurales, des locaux dépendant du lieu de culte dont la fermeture est prononcée.

Enfin, de nombreuses autres mesures sont prévues (tracfin, spécificités ultramarines, etc.).