Le Conseil d’Etat a confirmé l’ordonnance des juges des référés du TA de Montreuil, refusant de suspendre l’exécution de l’arrêté préfectoral relatif à la fermeture de la mosquée de Pantin.
Cette fermeture avait été décidée à la suite des politiques de communication des autorités liées à cette mosquée, ayant elles-mêmes contribué au drame national que fut la décapitation de l’enseignant Samuel Paty (pour les hommages de la Nation, voir ici).
Revenons sur cette décision et ce cadre juridique désormais très clair (reprenant certains éléments de nos articles antérieurs).
I. Existe-t-il un cadre légal propre à la fermeture des édifices cultuels ?
Oui. La procédure, prévue par l’article L. 227-1 du Code de la sécurité intérieure (CSI), issu de la loi n°2017-1510 du 30 octobre 2017, impose :
- que la mesure vise à «
- que la mesure soit prise par arrêté motivé du préfet (ou, à Paris, du préfet de police)
- que dans ce lieu de culte l’on puisse prouver que :« les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d’actes de terrorisme ou font l’apologie de tels actes. »
- que la durée de cette fermeture soit :
- d’une part proportionnée aux circonstances qui l’ont motivée
- et, d’autre part, n’excèdent en tout état de cause pas six mois
- que la procédure donne lieu à contradictoire au préalable (accès aux pièces du dossier, droit à présenter sa défense… sauf peut être en cas d’urgence absolue) et que l’arrêté de fermeture soit assorti d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à quarante-huit heures.
Bien sûr, le juge peut être saisi en référé liberté et le CSI précise même que :
« si une personne y ayant un intérêt a saisi le tribunal administratif, dans ce délai, d’une demande présentée sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la mesure ne peut être exécutée d’office avant que le juge des référés ait informé les parties de la tenue ou non d’une audience publique en application du deuxième alinéa de l’article L. 522-1 du même code ou, si les parties ont été informées d’une telle audience, avant que le juge ait statué sur la demande.»
Il est à souligner que ce régime a donné lieu à un examen sans censure par le Conseil constitutionnel, sur ce point précis de la loi (décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018 – M. Rouchdi B. et autre). Voir :
II. Sait-on comment le juge administratif examine de telles affaires ?
Oui. Certes, il importe de faire le tri entre les jurisprudences rendues durant l’état d’urgence, d’une part, et sous l’empire de la loi de 2017, précitée, d’autre part… mais ces régimes sont si proches qu’il ne faut pas non plus rejeter les jurisprudences prises sous l’état d’urgence.
NB : nous parlons de l’état d’urgence, et pas de l’état d’urgence sanitaire, bien sûr.
Le TA de Versailles avait confirmé qu’il n’exerce qu’un contrôle très limité sur les mesures administratives de fermeture d’un lieu de culte et qu’au nombre des éléments de preuve, il acceptait de prendre en compte les notes blanches de la police et le TA avait rejeté les propositions d’amélioration pourtant précises de l’association gestionnaire du lieu de culte (en tant qu’elles devraient alors soutenir une demande d’abrogation plus que d’annulation ou de suspension de l’acte querellé) :
- TA Versailles, ord., 22 novembre 2017, n°1708063
Voir :
On retrouvait là à peu près le même raisonnement que celui qui avait été tenu pendant l’état d’urgence sanitaire par le TA de Melun, avec une prise en compte sans trop de distance sur les « notes blanches » de la Police ou de la Gendarmerie, ce qui rend à peu près vide le contrôle au fond de l’adéquation entre la mesure prise et la dangerosité des imams ou des tentatives de recrutement de fidèles vers des réseaux dangereux, en lien avec tel ou tel lieu de culte . Voir :
- TA Melun, 30 septembre 2016, n° 1600931, 1603471.
Voir :
Ces positions qui avaient été confirmées par le CE, surtout en ce domaine et d’autres connexes, en période d’état d’urgence :
- CE, ord., 25 février 2016, M. J…et autres, n° 397153 :
Voir : - voir aussi, par analogie, CE, ord., 5 août 2016, ministère de l’intérieur, n° 402139
Voir :
Il n’en demeure pas moins que le juge a pu prendre, ou devoir prendre (vu les faits), des positions plus complexes, voire plus nuancées. Voir, même si l’on s’éloigne alors du cadre juridique propre à la légalité, ou non, des fermetures administratives de lieux de culte :
- Un maire bloque, sans justification sérieuse en matière de sécurité, l’ouverture d’une mosquée, en tant qu’établissement recevant du public… au point de ne pas exécuter des décisions de Justice. Faute d’action du maire, est-ce au Préfet d’user d’un « pouvoir hiérarchique » vis-à-vis du maire ?
- Octroi de subvention sous condition de signer une charte de laïcité : une pratique qui se répand ; une première suspension prononcée par un TA
- La prison, la fiche S, l’aumônier musulman et le juge administratif
Surtout, pour ce qui est des fermetures de lieux de culte post-état d’urgence, s’impose la lecture de l’arrêt du Conseil d’Etat en date du 31 janvier 2018.
L’intérêt de cette affaire portait sur le niveau de contrôle alors que nous ne sommes plus en période d’état d’urgence. Certes, il continue de s’agir d’un contrôle de proportionnalité (comme toujours en matière de police administrative). Mais il nous semble que le juge s’est attaché à démontrer qu’il avait vérifié des faits avec des éléments de preuve ou de présomption, laissant peut-être un peu moins la bride sur le cou à l’administration.
Source : CE, 31 janvier 2018, Association des musulmans du boulevard National, n° 417332.
Voir, pour accéder à cet arrêt et à une analyse plus détaillée :
III. Mais là dans l’affaire de la mosquée de Pantin, il semble que la fermeture ait été immédiate ?
NON. Les réseaux sociaux ont parlé d’une fermeture immédiate… alors que la fermeture du lieu de culte au mercredi 21 octobre au soir à la suite de la notification de l’arrêté préfectoral n° 2020-2459 du 19 octobre 2020.
Le contradictoire a été visiblement fait sur 48h, délai validé par le juge sans trop entrer dans ces détails d’ailleurs (on peut s’interroger sur les moyens soulevés à ce sujet).
IV. Quelle fut la position du juge des référés en 1e instance ?
L’ordonnance du juge est très détaillée et très calibrée dans sa rédaction.
Le TA rappelle qu’il appartient au juge des référés de s’assurer que l’autorité administrative n’a pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Dans cette affaire, la juridiction précise que la liberté de culte, qui est une liberté fondamentale, comporte le droit de participer collectivement à une cérémonie dans un lieu de culte.
Mais elle juge que le préfet n’y a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale. L’instruction a en effet révélé que le compte Facebook de la Grande mosquée de Pantin, qui comporte de nombreux abonnés, a relayé le 9 octobre 2020, en la maintenant jusqu’au 16 octobre suivant, jour de l’assassinat de M. Samuel Paty, une vidéo réalisée le 5 octobre par le père d’une collégienne portant sur le contenu du cours d’instruction civique dédié à la liberté d’expression, suite à l’attentat de Charlie Hebdo, dispensé par cet enseignant. Sur le même compte Facebook figure le message d’un internaute révélant à la suite de cette diffusion, l’identité et le lieu d’exercice de l’activité professionnelle de l’enseignant, sans qu’aucun contrôle ni désaveu ait été effectué par l’autorité gestionnaire de la mosquée. En outre, les éléments figurant au dossier ont permis d’établir la présence au sein de cette mosquée d’un imam appartenant à la mouvance islamiste radicale d’Ile-de-France ainsi que sa fréquentation par des individus relevant de la même mouvance.
On notera que là encore le juge accepte des éléments de preuve assez larges, y compris les notes blanches.
Les éléments apportés par le préfet ont par ailleurs permis à la juridiction de s’assurer que les fidèles pourront se rendre dans d’autres lieux de culte soit à Pantin, soit dans d’autres commune avoisinantes.
Enfin, le préfet de la Seine-Saint-Denis a précisé au cours de l’audience qu’il n’excluait pas une révision de sa position si les représentants de la Grande mosquée apportaient des garanties suffisantes pour mettre un terme aux dérives constatées.
VOICI CETTE DÉCISION IMPORTANTE :
TA Montreuil, 27 octobre 2020, n° 2011260
V. Quelle a été, ce jour, la position du Conseil d’Etat statuant en référé ?
La Fédération musulmane de Pantin a fait appel devant le juge des référés du Conseil d’Etat.
Le juge des référés du Conseil d’Etat rejette aujourd’hui cet appel.
Il estime tout d’abord que la diffusion, le 9 octobre 2020, sur le compte « Facebook » de la Grande mosquée de Pantin, d’une vidéo exigeant l’éviction d’un professeur d’histoire parce qu’il avait dispensé quelques jours plus tôt un cours sur la liberté d’expression au travers notamment de caricatures, ainsi que d’un commentaire mentionnant sur ce même compte l’identité de ce professeur, M. Samuel Paty, constitue des propos provoquant à la violence et à la haine en lien avec le risque de commission d’actes de terrorisme, de nature à justifier la fermeture administrative d’un lieu de culte en application de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure.
Il relève ensuite en particulier que l’imam principal de la mosquée a été formé dans un institut fondamentaliste du Yémen, que ses prêches sont retransmis, avec la mention de son rattachement à la « Grande mosquée de Pantin », sur un site internet qui diffuse des fatwas salafistes de cheikhs saoudiens et qu’il est impliqué dans la mouvance islamiste radicale d’Ile-de-France.
Il a également observé que la Grande mosquée de Pantin est devenue un lieu de rassemblement pour des individus appartenant à la mouvance islamique radicale dont certains n’habitent pas le département de Seine-Saint-Denis et ont été impliqués dans des projets d’actes terroristes.
Il estime dès lors que ces éléments établissent la diffusion, au sein de la Grande mosquée de Pantin, d’idées et de théories incitant à la violence, à la haine ou à la discrimination en lien avec le risque de commission d’actes de terrorisme, justifiant également la fermeture administrative du lieu de culte en vertu de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure.
Enfin, le juge des référés du Conseil d’Etat précise que la fédération pourra demander la réouverture du lieu de culte lorsqu’elle estimera avoir pris les mesures de nature à prévenir la réitération des dysfonctionnements constatés, notamment par le choix des imams autorisés à officier, l’adoption de mesures de contrôle effectif de la fréquentation de la mosquée et des réseaux sociaux placés sous sa responsabilité.
CE, ord., 25 novembre 2020, n° 446303 :