Les sociétés qui font du « tout en un » avec un consultant supposé maîtriser le technique, le financier et le juridique, emportent évidemment de nombreux marchés à la faveur du critère prix…
S’agit-il juste d’un effet d’une saine concurrence ?
Non. Non car un mouton à 5 pattes capable de faire le technique et le juridique et le financier n’existe dans aucun métier.
Non car cela est, par ailleurs, contraire aux règles applicables (I)… Comme l’a rappelé assez récemment la CAA de Bordeaux (II) pour un marché d’aide à la passation d’un contrat de collecte des OM.
I. Une jurisprudence aussi stricte que constante, dans des domaines plus larges qu’on ne le croit usuellement
En allant au marché, tout acheteur public doit prendre de l’avocat au nombre de ses ingrédients s’il veut préparer un bon petit plat avec de vrais morceaux de droit dedans.
Pour l’avoir oublié, nombre de personnes publiques ont loupé toutes leurs préparations… de vrais gâte-sauces !
Voici quelques exemples de plats loupés faute d’avoir mis de l’avocat :
- annulation d’un marché juridique et financier de transformation en communauté de communes attribué à une société sans cotraitance avec un avocat, sans que ce vice puisse être purgé par un acte de sous-traitance avec un avocat) . Voir CAA Lyon, 18 juin 2015, n°14LY02786. CAA_de_LYON_4ème_chambre_-formationà_3_18_06_2015_14LY02786_Inédit_au_recueil_Lebon – copie
- besoin d’un avocat pour un marché public intitulé « Accompagnement des missions Chasse et missions juridiques en droit rural et droit de l’entreprise agricole ». Difficile de ne pas y voir de morceaux de droit dans un tel panier de courses. Voir TA Grenoble, 23 juillet 2019, n° 1904450 : 1283_001
- marché portant majoritairement sur du conseil juridique et de la rédaction d’actes (en matière de ZAC, en l’espèce, ou encore d’intercommunalité) ne peut être attribué à un non-avocat et, là encore, la sous-traitance ne régularise pas ce vice dans la passation du contrat : TA Rennes, 15 juin 2017, n°1600383,1600450 : ta_rennes_15_juin_2017-anonymise
Et en cas de commande publique incluant des prestations juridiques entre autres aspects, il doit y avoir groupement conjoint (et non solidaire) avec un professionnel du droit avec une répartition claire de qui fait quoi (sauf dans de rares cas) :
- Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 04/04/2018, 415946
- voir https://blog.landot-avocats.net/2018/10/29/en-cas-de-commande-publique-incluant-des-prestations-juridiques-il-doit-y-avoir-groupement-conjoint-avec-un-professionnel-du-droit-avec-une-repartition-claire-de-qui-fait-quoi-2/
… et les dérogations prévues par la loi de 1971 au profit de tels ou tels professionels ayant qualité pour, disons, empiéter sur le périmètre du droit, sont d’interprétations bien plus strictes que ce que nous constatons, au fil de notre vie professionnelle, au moins hebdomadairement. Nous avons vu un marché de rédaction d’actes échoir à un cabinet financier… et même un marché d’assistance juridique en RH aboutir à une psychologue. Et, surtout, moult marchés de passation de contrats ou d’intercommunalité revenir à des groupements sans avocat ni professionnel réglementé en ce domaine (ce qui pose aussi un GROS problème d’assurance…).
Pour en savoir plus, voir aussi une petite vidéo que nous avions concoctée à ce sujet en décembre 2018 :
C’est donc sans surprise que l’on voit une CAA confirmer ce point.
Mais il est intéressant de voir que c’est dans le domaine des contrats d’aide à la rédaction d’un marché de collecte des ordures ménagères, attribué à la société ESPELIA (ex SP 2000) sans le concours d’un avocat :
« 10. Il résulte de l’instruction que la société Espélia est un cabinet de conseil en gestion des services publics. Alors même qu’en vertu des dispositions précitées des articles 54 et 60 de la loi du 31 décembre 1971, elle bénéficie d’une qualification OPQCM lui permettant d’exercer une activité juridique à titre accessoire et relevant directement de son activité principale, il résulte toutefois de l’instruction que si le marché litigieux portait pour partie sur une analyse du contexte technique et financier du futur marché de collecte de déchets ménagers dont le lancement était envisagé par la communauté d’agglomération de La Rochelle, il pour sécuriser la procédure de passation de ce marché, de la société Espélia. Par suite, ces comprenait également la rédaction d’actes juridiques et une part de conseil juridique personnalisé
prestations juridiques, déconnectées des prestations de conseil en gestion
qui ne constituait pas la suite de l’activité principale de conseil en gestion ne relèvent pas directement de son quand bien même elles ne représenteraient que 4,5 jours de travail sur une mission de 22 jours de la société Espélia prévues au marché, activité principale et ne peuvent être regardées comme étant l’accessoire nécessaire à celle-ci. Dès lors, les prestations juridiques proposées par la société Espélia dans son offre, et qu’elles ne constituaient pas une part prépondérante du marché en litige, ne sont pas autorisées par l’article 60 de la loi du 31 décembre 1971 précitée. Par suite, la société Espélia
n’est pas fondée à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a, eu égard au caractère illicite de ce marché, de la gravité de l’illégalité commise et après avoir vérifié que l’annulation ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général, annulé le marché en litige.
Cet arrêt démontre:
- 1/ que non la qualification OPQCM ne permet pas de contourner ces règles
- 2/ que la sécurisation de la procédure suffit à justifier et même imposer le recours à un vrai professionnel du droit
- 3/ qu’en pratique ces règles restent mal appliquées conduisant à une concurrence low cost de mauvais aloi, au détriment des clients publics eux-mêmes
Voici cette décision :
CAA de BORDEAUX, 3ème chambre, 09/07/2020, 18BX03424, Inédit au recueil Lebon :