Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015, l’article L. 424-3 du Code de l’urbanisme impose à l’auteur d’une décision refusant de délivrer une autorisation d’urbanisme d’indiquer “l’intégralité des motifs justifiant la décision de rejet ou d’opposition“.
Cette obligation amène alors à s’interroger sur la possibilité pour l’administration, en cas de recours dirigé contre un refus de délivrer une autorisation d’urbanisme, d’invoquer de nouveaux motifs devant le juge pour justifier sa décision, possibilité admise en contentieux administratif de façon générale depuis 2004 (les connaisseurs reconnaîtront ici la technique dite de la “substitution de motifs” v. ainsi : CE, 11 avril 2005, Commune de Bessan, req. n° 258250 ; CE, 3 février 2004, Mme Hallal, req. n° 240560).
Certaines décisions rendues par le juge du fond ont reconnu la possibilité pour l’administration de procéder à cette substitution de motifs dans les instances dirigées contre les refus d’autorisation d’urbanisme (v. ainsi notamment : TA Cergy-Pontoise, 16 mai 2017, req., n° 1602105 ; TA Melun, 22 septembre 2017, Free Mobile, n° 1508847 ; v. https://blog.landot-avocats.net/2017/10/04/ladministration-peut-toujours-invoquer-en-cours-de-procedure-de-nouveaux-motifs-pour-justifier-un-refus-de-permis-de-construire/).
Un avis du Conseil d’Etat a également admis cette faculté du bout des lèvres (CE, Avis, 25 mai 2018, Préfet des Yvelines, n° 417350).
Dans une décision rendue le 19 mai 2021, le Conseil d’Etat a confirmé cette possibilité de façon éclatante puisqu’il a admis qu’une commune pouvait invoquer devant le juge de nouveaux motifs pour justifier un refus de permis de construire et ce, sans avoir à formuler une demande expresse de substitution de motifs :
“L’administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l’excès de pouvoir que la décision dont l’annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l’auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d’apprécier s’il résulte de l’instruction que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif. Dans l’affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu’elle ne prive pas le requérant d’une garantie procédurale liée au motif substitué.
3. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la cour administrative d’appel a estimé que la commune de Rémire-Montjoly avait fait valoir en défense devant elle que le refus de permis de construire était légalement justifié par le motif, autre que celui qu’elle avait opposé à M. A…, résultant de la circonstance que le projet de construction litigieux ne s’accompagnait pas de la mise en valeur ou de l’aménagement de l’ensemble de la parcelle lui servant d’assise comme l’exige le III de l’article NC 1 du règlement du plan local d’urbanisme. Dès lors que la cour avait ainsi apprécié la portée des écritures de la commune, comme il lui revenait de le faire pour déterminer si celle-ci pouvait être regardée comme faisant valoir un autre motif que celui ayant initialement fondé la décision en litige, de telle sorte que l’auteur du recours soit, par la seule communication de ces écritures, mis à même de présenter ses observations sur la substitution de cet autre motif au motif initial, elle ne pouvait sans erreur de droit exiger de la commune qu’elle formule en outre une demande expresse de substitution de motifs”.
En cas de recours introduit contre son refus d’autorisation, si la personne publique s’aperçoit qu’elle aurait pu invoquer des motifs qui n’apparaissent pas dans sa décision, elle peut donc les faire valoir pour la première fois devant le juge afin de montrer la légalité de sa position.
Ref. : CE, 19 mai 2021, Commune de Rémire-Montjoly, req., n° 435109. Pour lire l’arrêt, cliquer ici.