Le domaine public est inaliénable et imprescriptible. Certes.
Mais quand, violant ce principe, une commune procède à un échange de parcelles avec un propriétaire privé, permutant une parcelle de voie communale (publique donc, et non déclassée !) avec une parcelle privée … l’illégalité — patente — de cet acte va-t-elle jusqu’à ce que celui-ci soit « inexistant » ?
A cette question, par un arrêt classé C+, la CAA de Nancy vient d’apporter une réponse négative, à la suite de jurisprudences en général cursives sur cette question précise.
La catégorie des actes dits « inexistants » (CE, 31 mai 1957, Rosan Girard, rec. p. 335) n’est pas dans nos manuels de depuis administratif depuis 1957 juste pour le folklore. C’est aussi — pour schématiser à outrance — une manière de rendre le pseudo acte attaquable sans délai.
De fait, les actes inexistants seront rares car :
« 2. Un acte ne peut être regardé comme inexistant que s’il est dépourvu d’existence matérielle ou s’il est entaché d’un vice d’une gravité telle qu’il affecte, non seulement sa légalité, mais son existence même.»
(CE, 28 septembre 2016, Anticor, 399173)
Cela dit, le juge trouve parfois des moyens de censurer des actes aux lourdes illégalités via d’autres moyens, comme il le fit pour les actes, pourtant créateurs de droit, obtenus par fraude. Voir :
-
Conseil d’État, 1ère et 4ème chambres réunies, 05/02/2018, 407149
- que nous avions commenté ici :
S’agissant du domaine public, le juge fait souvent prévaloir l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité du domaine public, mais sans nécessairement convoquer, pour les besoin de son raisonnement, la notion d’acte inexistant. Ainsi cette notion n’est-elle pas explicitement utilisée dans un arrêt souvent cité, de la CAA de Douai. Dans cette affaire, une entreprise s’était vue vendre par une commune un bâtiment. Mais celui-ci avait abrité un abattoir, bien du domaine public jamais déclassé. La commune avait donc pu retirer sa délibération (des années après ! soit bien plus qu’après le délai de 4 mois de la jurisprudence Ternon), car ce bien, jamais déclassé, était resté du domaine public, et que dès lors l’entreprise ne pouvait prétendre que la délibération qui lui vendait le bien avait pu être en quoi que ce soit créatrice de droits.
Voici cet arrêt CAA de DOUAI, 1ère chambre – formation à 3, 02/06/2016, 14DA00557, dans l’article que nous avions alors rédigé :
Des auteurs tout à fait sérieux et dignes de confiance ont vu dans cette décision de 2006 une application de cette théorie des actes inexistants. Voir notamment :
Mais le problème est que ce lien avec la notion d’inexistence était implicite, voire même discutable (dans notre commentaire de 2006 nous ne nous étions pas référé à cette notion car cela nous paraissait incertain).
NB voir aussi CAA Bordeaux, 1re ch., 1er avr. 2021, n° 19BX00651 ; CAA Nantes, 5e ch., 3 avr. 2015, n° 13NT03388 (arrêt confirmé ensuite par le CE mais la décision de la Haute Assemblée n’aborde pas nettement ce point) ;
Le Tribunal de Strasbourg avait été dans cette lignée, quand, en 2019, il censurait une décision communale en ces termes :
« 3. (…) une des parcelles concernées par l’échange entre la commune de Luttange et M. appartient au domaine public communal et qu’aucune procédure préalable de déclassement n’est intervenue. Dès lors, la délibération du 2 mai 2015 porte au caractère inaliénable et imprescriptible du domaine public de la commune une atteinte telle qu’elle est entachée d’une irrégularité dont la gravité conduit à la regarder comme nulle et non avenue.»
… formulation dans laquelle il fallait voir un lien, certes un peu implicite, entre inexistence, au sens de l’arrêt Rosan-Girard précité, et domanialité publique malmenée dans son inaliénabilité. Citons sur ce point le résumé des tables de la lettre dudit TA décrivant cette affaire :
« 01-07 : Acte inexistant
« 24-01 : Domaine public
« Eu égard au caractère inaliénable et imprescriptible du domaine public, une délibération par laquelle un conseil municipal approuve de manière inconditionnelle un échange de parcelles et autorise le maire à signer l’acte d’échange, alors que l’une de ces parcelles appartient au domaine public communal et n’a pas fait l’objet d’un déclassement préalable, est juridiquement inexistante.»
Source : TA Strasbourg, 27 septembre 2019 n°1803479
Or, il est intéressant de noter que ce jugement du TA de Strasbourg vient d’être censuré par la CAA de Nancy en des termes qui ont leur part de nouveauté (la mise en gras et souligné étant bien sûr de nous) :
« 6. Le principe d’inaliénabilité du domaine public communal, rappelé par les articles L. 1311-1 du code général des collectivités territoriales et L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, fait obstacle au transfert à une personne privée, sans désaffectation ni déclassement préalables, de la propriété de dépendances de ce domaine. Si ce principe implique la nullité de tout contrat ayant pour objet ou pour effet le transfert de propriété d’une telle dépendance, sa méconnaissance ne constitue pas pour autant une cause d’inexistence de l’acte détachable, qui ne crée au demeurant aucun droit à la réalisation de ce transfert, par lequel un conseil municipal autorise ou approuve la conclusion d’un tel contrat. La délibération du 2 mai 2015, par laquelle le conseil municipal de Luttange a autorisé l’échange entre la parcelle n° 45 section 42, servant d’assiette à une voie communale, dépendance du domaine public routier de la commune, et la parcelle n° 78 section 34, propriété de M. A… C…, ne saurait, dès lors, être regardée comme un acte nul et de nul effet susceptible d’être déféré au juge sans condition de délai.
« 7. Il résulte de ce qui précède que M. C… est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a déclaré cette délibération nulle et de nul effet. Il y a lieu, dans cette mesure, d’annuler le jugement attaqué.»
[puis au fond annulation de la délibération pour violation du principe d’inaliénabilité
Source : CAA de NANCY, 21 octobre 2021, n° 19NC03523, C+
Donc, selon cette CAA :
- inaliénabilité OUI
- mais sans que cela entraîne la transformation en « acte inexistant » de l’acte détachable d’autorisation de signer le contrat à cet effet
- cependant, ledit acte est tout de même annulable, mais sans avoir à passer par cette notion d’acte inexistant.
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