Référé liberté et droit à la vie… de l’animal ?

En cas d’épizootie, diverses règles permettent à l’Etat de faire procéder à l’abattage d’animaux d’élevage (art. L. 223-8 du Code rural et de la pêche maritime [CRPM]).

Ce régime a donné lieu à de nombreuses applications jurisprudentielles.

Exemples : CAA Bordeaux, 4e ch. (formation à 3), 5 déc. 2013, n° 12BX02562 ; TA Lyon, 21 mai 2013, n° 1207996 ; TA Nancy, 17 mars 2020, n° 2000637-2000639 ; CE, 5e / 4e ss-sect. réunies, 27 févr. 2013, n° 364751

Or, des mesures de contrôle ont établi qu’un bovin appartenant à un GAEC de la Haute-Savoie était atteint de la brucellose. Le préfet a donc ordonné l’abattage de tous les bovidés du troupeau. 

Le GAEC a demandé la suspension de l’exécution de l’arrêté du préfet, non pas en référé suspension, mais en référé liberté.

Ce qui posait deux questions intéressantes :

  • il y avait-il en la matière atteinte au droit de propriété ? Et là la réponse était oui, bien sûr (mais avec rejet au fond car cette atteinte portée au droit de propriété n’était pas manifestement illégale). Le point, à ce sujet, de l’ordonnance ainsi rendue est d’ailleurs intéressant :
    • « 8. Toutefois, il ressort des pièces produites par l’administration et des précisions apportées à l’audience que la brucellose peut infecter un animal sans que sa présence ne soit révélée durant une longue période et il ne résulte pas de l’instruction que le risque de contagion de cette maladie qui peut entraîner de graves conséquences sur la santé humaine pourrait être totalement évité sans abattage des autres animaux du même troupeau, ainsi que le prévoit l’arrêté du 22 avril 2008. Le préfet fait également valoir qu’en application du règlement 2020/698, l’absence d’abattage des animaux du GAEC dans le délai prescrit du 10 janvier 2010 est de nature à faire perdre à la France, pour l’ensemble de son territoire, le statut d’« indemne de brucellose », ce qui ne permettra plus, sans tests préalables générant des coûts supplémentaires, d’exporter dans des pays tiers, d’échanger au sein de l’Union européenne, de transporter sur le territoire national, des bovins ou des produis d’origine bovine. Enfin, si le GAEC fait valoir l’importance de ses préjudices, l’arrêté prévoit l’indemnisation de ceux-ci. Eu égard à l’ensemble de ces circonstances, la mesure d’abattage de la totalité de troupeau ordonnée par l’arrêté attaqué, qui suffisamment motivé, ne peut être regardée comme disproportionnée et portant une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale.»
  • il y avait-il atteinte grave et manifestement illégale au droit… à la vie de l’animal ? Le droit à la vie de l’animal est-il une liberté fondamentale garantie en référé liberté ? Venant d’un éleveur de bêtes à viande, l’argument pourrait faire sourire, mais bon gardons nous de le faire car il semblerait qu’il s’agissait de vaches laitières.
    Reste que la réponse du juge des référés du TA de Grenoble fut, logiquement, négative. Voici le point correspondant de ladite ordonnance :

    • « 6. En premier lieu, si le GAEC Le pré Jourdan se prévaut de l’article 3 de la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie selon lequel « Nul ne doit causer inutilement des douleurs, des souffrances ou de l’angoisse à un animal de compagnie », de l’article 13 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui prévoit que les Etats membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles lorsqu’ils mettent en œuvre la politique de l’Union dans le domaine de l’agriculture et de l’article 515-14 du code civil qui dispose que les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité, le droit à la vie des animaux que le GAEC entend invoquer ne constitue pas une liberté fondamentale.»

Source : TA Grenoble, ord., 5 janvier 2022, 2200009

Voir aussi : Non, le référé liberté n’est pas un couteau suisse ! [VIDEO]