Demeter : le diable est dans les détails. Petits détails des dossiers de presse. Gros détails des bobards en ligne [suite et pas fin]

Triptolème, Déméter et Perséphone par le peintre de Triptolème, c. 470 av. J.-C., Louvre.

Ce qui suit est une mise à jour de notre article du 2 février 2022 pour tenir compte de l’appel fait par l’Etat et des réflexions que cela peut inspirer :

 

Quand Hadès, souverain des morts, enleva Perséphone pour en faire son épouse, la mère de cette dernière, Déméter, déesse des moisons, partit à sa recherche, délaissant les récoltes de la Terre.

Depuis, il y a un lien très fort entre Demeter et les enfers. Et ce n’est pas l’actualité récente qui nous démentira car dans l’affaire de la Cellule Demeter de la Gendarmerie, le diable est dans les détails. Petits détails des dossiers de presse. Gros détails des bobards en ligne. 

Car non ce n’est pas cette cellule de la Gendarmerie qui est censurée par le TA de Paris, mais seulement une fraction des attributions de celle-ci… telle qu’exprimées par un dossier de presse ! C’est intéressant en termes de droit souple. En termes d’absence de « police politique » en droit français même si en réalité ce n’est pas ce dont il était question. Mais non ce n’est pas une censure de cette cellule ni de ses missions contrairement à ce que l’on voit en ligne trop souvent à ce sujet… Concrètement, cela se traduira par un correctif via une circulaire, tout au plus. Un bien maigre moisson au regard du vent abondamment brassé dans cette affaire.

Ceci dit, l’Etat vient d’annoncer qu’il allait faire appel ? Pour relancer la polémique ou pour le combat de principe ? Non selon nous. Car derrière une annulation de principe sans effet, pouvaient se profiler des conséquences de long terme par ricochet.

 

Au sein de la Gendarmerie, une « cellule Demeter » avait été constituée pour lutter contre les atteintes au monde agricole.

Le Ministère a d’ailleurs estimé que celle-ci avait obtenu de très bons résultats. Citons le communiqué de l’intérieur qui affirme que :

« les vols de véhicules dans les exploitations agricoles en 2021 ont ainsi reculé de 8% et les dégradations de 7% par rapport à 2020. Par ailleurs, des enquêtes judiciaires d’importance ont été couronnées de succès, en particulier à l’encontre d’un réseau criminel international spécialisé dans les vols de GPS agricoles ou des auteurs présumés d’un incendie volontaire d’un hangar agricole dans l’Ain. Cette activité n’est donc pas remise en question. »

Un recours avait été déposé par les associations Pollinis France et Générations Futures visant à demander l’annulation de la convention conclue le 13 décembre 2019 entre le ministre de l’intérieur, la FNSEA et Jeunes Agriculteurs.

Le TA a commencé par poser que la décision du ministre de l’intérieur de créer une cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole, qui a été rendue publique le 13 décembre 2019 et dont les objectifs, le périmètre, l’organisation et les moyens notamment humains qui lui sont affectés ont été révélés dans un dossier de presse dont le contenu est repris sur le site internet du ministère, présente le caractère d’une décision.

Normal : c’est conforme à l’état de la jurisprudence sur les actes « de droit souple  ». Voir :

Puis de manière que l’on peut comprendre (car ce que pose le juge est à la fois vrai et… si l’on ose le formuler ainsi, un brin naïf ou en tous cas un peu théorique)… le TA poursuit en notant que les missions idéologiques ne peuvent pas relever des missions de la Gendarmerie nationale. Et a strictement parler, il n’est pas possible de laisser écrire qu’une police aurait une mission… politique. D’où la formulation suivante du TA :

« 12. D’après les termes du dossier de presse précédemment évoqué, la cellule Déméter a pour objet de prévenir, d’une part, des infractions pénales (vols, dégradations, cambriolages, violations de domiciles, occupations illégales de terrains) et, d’autre part, des actions qui ne constituent pas en elles-mêmes des infractions pénales et ne renvoient pas directement à une qualification pénale. Il s’agit d’actions dites « de nature idéologique » pouvant consister en de « simples actions symboliques de dénigrement » au sein desquelles sont rattachées, d’après le dossier de presse, des « intrusions visant des exploitations agricoles ou des professionnels de l’agro-alimentaire aux fins d’y mener des actions symboliques », des « actions anti-fourrures » et des «actions menées par certains groupes antispécistes vis-à-vis du monde de la chasse, intimement lié au monde agricole ». En outre, il ressort des pièces du dossier que des gendarmes se sont vu confier, au titre de la mise en œuvre de la cellule Déméter, la tâche d’assister à des réunions d’associations locales œuvrant pour la préservation de l’environnement ou d’interroger des responsables associatifs sur la teneur de leurs activités. Il n’est ni soutenu ni établi que la surveillance de telles associations aurait été effectuée en vue d’éviter la commission d’infractions, dans un but de préservation de l’ordre public ou afin de collecter des renseignements et informations selon le sens donné par la loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité. Dans ces conditions, le périmètre de la cellule Déméter, en tant qu’il concerne « des actions de nature idéologique » consistant en « de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole » ne relève pas des compétences de la gendarmerie telles qu’elles sont définies à l’article L. 421-1 du code de la sécurité intérieure. Il s’ensuit qu’en incluant de telles actions dans le périmètre des missions de la cellule Déméter, le ministre de l’intérieur a commis une erreur de droit.
« 13. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que l’association L214 est fondée à demander l’annulation du refus implicite du ministre de l’intérieur né le 29 septembre 2020 de mettre fin aux activités de la cellule Déméter en tant que ces actions visent à la prévention et au suivi « des actions de nature idéologiques », de telles missions étant divisibles de celles qui concernent la prévention et le suivi des actes de délinquance ou de criminalité organisée.»

Nous avions vu cette décision mais n’allions pas la commenter car elle ne nous semblait pas révolutionnaire.

Puis nous avons vu les commentaires tournoyer autour de cette décision comme valant démantèlement de cette cellule de la Gendarmerie…. ce qui est aussi idiot que faux.

Petit florilège d’informations erronées avec un des requérants :

Des médias ont repris ce bobard (mais certains ont corrigé le tir ensuite comme Reporterre) :

 

Plus fort… Une parlementaire ancienne ministre a joint sa voix à ce choeur antique :

 

Voici des exemples des textes qui, sous diverses plumes, ont tourné en boucle sur les réseaux sociaux :

 

etc. etc. etc.

zut zut et zut

Alors non : non… C’est l’annulation d’une phrase de communiqué de presse facile à corriger par un nouveau communiqué ou une circulaire fixant les fonctions de cette unité en enlevant le mot idéologie, en gros. La belle affaire.

Voici cette décision :

TA Paris, 1er février 2022, n°2006530, 202018140

Triptolème, Déméter et Perséphone par le peintre de Triptolème, c. 470 av. J.-C., Louvre.

Oui mais alors pourquoi faire appel ?

Voici en effet le communiqué du Ministère de l’Intérieur annonçant ledit appel :

« Communiqué de presse de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et de Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation sur l’appel de la décision du tribunal administratif de Paris relative au dispositif DEMETER.

« Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, et Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation, ont fait appel de la décision du tribunal administratif de Paris du lundi 31 janvier dernier, qui avait enjoint le ministère de l’intérieur à mettre fin aux activités de la cellule DEMETER de la gendarmerie qui se rattachent à l’objectif de prévention et de suivi des « actions de nature idéologique ».

« Les deux ministres rappellent ainsi l’importance de la cellule DEMETER, mise en place en 2019 et qui a permis d’obtenir de très bons résultats. Les vols de véhicules dans les exploitations agricoles en 2021 ont ainsi reculé de 8% et les dégradations de 7% par rapport à 2020. Ils soulignent également la contribution de la gendarmerie à la mission de renseignement, en vue de prévenir les atteintes et actions violentes contre les exploitations agricoles et les agriculteurs.»

 

Première réaction : heu l’annulation est de tellement peu de portée qu’il suffit de dire que la cellule ne fait pas de traque idéologique et fermez le ban donc pourquoi contre-attaquer si l’on met à part les paramètres politiques ?

Seconde réaction : après tout l’Etat a peut être raison car il ne faudrait pas que l’on ait des annulations d’enquêtes juste parce que elles auraient été faites avec ce genre de consignes ? Ce qui est un risque très incertain mais bon ? Reste que la phrase concernée va devoir être défendue en appel par l’Etat alors qu’à tout le moins elle était, comment dire, maladroite. Ce qui promet un arrêt d’appel passionnant.

A suivre, donc.