Dépassement du maximum d’un accord-cadre : possible uniquement en l’absence de modification substantielle !

A l’occasion d’un renvoi préjudiciel, la Cour de Justice de l’Union Européenne, par une décision en date du 14 juillet 2022, a précisé les conditions dans lesquelles un acheteur peut se fonder sur un accord-cadre dont le maximum est dépassé (CJUE, 14 juillet 2022, C-274/21 et C-275/21).

En l’espèce, la question préjudicielle, posée par le Tribunal fédéral administratif d’Autriche, prend sa source dans un litige opposant la société EPIC à la République d’Autriche et la « société fédérale d’achats » à propos des marchés de fournitures portant sur des tests antigéniques conclus par le biais d’accords-cadres, sans publicité préalable.

Durant l’examen du litige par la juridiction autrichienne, diverses difficultés se sont présentées vis-à-vis de l’interprétation du droit européen, si bien qu’un total de dix-sept questions préjudicielles a été posé à la Cour de justice dans le cadre des deux affaires évoquées.

Parmi ces questions, la CJUE se devaient de répondre à la question suivante : l’article 33§3 de la directive 2014/24 devait-il être interprété en ce sens qu’un pouvoir adjudicateur pouvait encore se fonder, pour attribuer un nouveau marché, sur un accord-cadre dont la quantité et/ou la valeur maximale des travaux, fournitures ou services concernés qu’il fixe a ou ont déjà été atteinte(s) ?

Au cas présent, la Société EPIC entendait contester les achats des tests antigéniques effectués auprès de sociétés par le biais d’accords-cadres dont le volume maximum était dépassé. Ainsi, la Société EPIC arguait que ces achats devaient être considérés comme résultant de la passation d’un marché de gré à gré illégal.

Sans surprise, la Cour de justice demeure fidèle aux principes établis par sa jurisprudence : « (…) il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que, en concluant un accord-cadre, un pouvoir adjudicateur ne peut s’engager que dans la limite d’une quantité et/ou d’une valeur maximale des travaux, fournitures ou services concernés, de sorte que, une fois cette limite atteinte, cet accord-cadre aura épuisé ses effets (arrêt du 17 juin 2021, Simonsen & Weel, C-23/20, EU :C.2021 :490, point 68). Partant, (…) plus aucun marché ne peut être légalement attribué en application de l’article 33§3 de la directive 2014/24 sur la base d’un accord-cadre dont ladite limite a été dépassée et qui, dès lors, est privé d’effets, sauf si cette attribution ne modifie pas substantiellement ce dernier, au sens de l’article 72§1 sous e) de la directive 2014/24 (voir, en ce sens arrêt du 17 juin 2021, Simonsen & Weel, C-23/20, EU :C.2021 :490, point 70). »

Cette décision confirme la jurisprudence de la Cour de justice concernant les modifications des marchés publics en cours d’exécution et mentionne expressément que lors de la conclusion d’un nouveau marché sur le fondement d’un accord-cadre, l’acheteur doit s’assurer de l’absence d’introduction d’une modification substantielle. Dès lors, si le maximum (en valeur ou en quantité) de l’accord-cadre est atteint, la conclusion d’un nouveau marché sur le fondement de cet accord-cadre ne sera possible que s’il n’entraîne pas une modification substantielle de ce dernier.

Cette position tend à démontrer que la mention d’un maximum demeure une information dont l’importance est relative puisqu’en l’absence de modification substantielle l’acheteur peut continuer à exécuter l’accord-cadre au-delà de ce plafond fixé.

Néanmoins, dans les faits, les cas dans lesquels il sera possible de dépasser le maximum de l’accord-cadre devraient être peu nombreux !

En effet, la notion de la modification substantielle tirée de la jurisprudence de la Cour de Justice (CJCE, 19 juin 2008, Pressetext Nachrichtenagentur GmbH, affaire numéro C-454/06) et reprise dans la directive 2014/24 est assez large. Aussi, un marché dépassant le maximum d’un accord-cadre modifiera très certainement « l’équilibre économique du marché en faveur du titulaire d’une manière qui n’était pas prévue dans le marché initial », et, en outre, introduira probablement « des conditions qui si elles avaient été incluses dans la procédure de passation initiale auraient attiré davantage d’opérateurs économiques ou permis l’admission d’autre opérateurs économiques ou permis le choix d’une offre autre que celle retenue », autrement dit au moins deux (2) des quatre (4) conditions permettant de considérer une modification comme substantielle.

*article rédigé en collaboration avec Thomas Mancuso, stagiaire