Etrangement, en droit local, un exécutif (notamment municipal ou intercommunal) ne peut être révoqué par l’Assemblée délibérante.
L’esprit vif, brillant, qu’est le Professeur Olivier Beaud, sur l’excellent blog de Jus Politicum, revue internationale de droit constitutionnel, y voit une anomalie dans un article à la lecture stimulante :
Cet auteur est tout à fait cohérent avec ses écrits antérieurs. Déjà, dans « Le sang contaminé », aux PUF, Olivier Beaud, se livrait à une très nette critique d’ensemble de la « criminalisation de la responsabilité » des ministres.
N.B. : lire également D. Baranger, Une tragédie de la responsabilité, remarques autour du livre d’Oliver Beaud : le sang contaminé (RDP n°1-1999, p. 28).
A l’époque, l’auteur rejetait le principe même d’une responsabilité pénale des ministres, au profit d’une restauration de la responsabilité politique ; au risque d’être confronté aux difficultés propres à toute restauration.
Ce d’autant que la « responsabilité pénale des ministres en régime parlementaire français » (P. Desmottes, LGDJ, 1968) a justement connu ses premiers pas modernes sous la monarchie libérale et sa traduction concrète avec le pouvoir constituant instaurant en 1993 la Cour de Justice de la République pour (A. Fanton, J.O., débats, A.N., 23/6/93, p. 2137) « dépolitiser la responsabilité pénale des membres du gouvernement » (que l’on pense à cette difficulté — pour euphémiser — à dissocier les deux, par exemple, dans le célèbre « procès Malvy » de 1918).
Sources choisies : M. Degoffe, La responsabilité pénale du ministre du fait de son administration, RDP, n° 2-1998, p. 433-466. Du même auteur, Responsabilité pénale et responsabilité politique du ministre, RFDC, 26, 1996, p. 385-402.
Aujourd’hui, le Professeur Beaud ne va pas jusqu’à demander que la responsabilité politique aille jusqu’à l’exclusivité de celle-ci, jusqu’à ce que celle-ci puisse éradiquer la responsabilité pénale (point de vue quasi-hobbesien qui peut se concevoir au moins au niveau national et se retrouve à l’état de traces dans l’immunité parlementaire et celle du Président de la République en exercice, mais pour des raisons de séparation des pouvoirs qui n’ont pas leur place au niveau local).
Il est d’ailleurs difficile de ne pas abonder dans le sens de cet universitaire lorsque celui-ci constate que :
« Tout le monde raisonne à partir du droit pénal et plus personne ne [semble] comprendre qu’on pourrait penser la question de la responsabilité politique, indépendamment de la question de la responsabilité pénale »
M. O. Beaud se contente d’exprimer sa surprise sur le fait qu’en droit le maire ne puisse être éjecté par son conseil municipal et son étonnement de voir les deux manuels de droit des collectivités territoriales qu’il cite être si peu diserts à ce sujet.
Dans ses recherches, cet Universitaire n’a pas eu le bonheur de trouver celles des sources, un peu plus rares il est vrai, qui s’interrogent sérieusement sur le régime municipal : le maire a ses pouvoirs propres. Il ne peut d’ailleurs pas non plus dissoudre son assemblée, pas plus qu’il n’est loisible à celle-ci de révoquer « son » maire.
Bref, là où cet universitaire croit voir un impensé, se trouve au contraire une étrangeté en France, mais très cohérente d’un point de vue juridique : le droit municipal fonde un régime présidentiel. Bien plus que la Ve République qui est un régime parlementaire compensé par les pouvoirs propres du Président, sa non révocation, par un parlementarisme très « rationalisé » et, parfois, pas toujours (!), par un fait très majoritaire ressortant des élections législatives (et le premier qui me parle de régime semi-présidentiel et de feu M. Duverger je lui colle une disputatio sur la place publique !).
Le Maire se trouve dans la situation d’un Président Américain, à une toute autre échelle certes. Il dispose de pouvoirs propres sur lesquels le pouvoir délibérant n’a pas prise et réciproquement. Le délibérant ne peut révoquer l’exécutif, ni l’inverse.
NB 1 : oui nous connaissons tous les jeux consistant à mettre un maire en minorité, à lui rogner ses indemnités de fonctions. Oui en sens inverse le maire dans les communes de 1000 habitants et plus peut parfois tenter d’obtenir, par des séries de démissions en cascade, des élections partielles. Mais ce ne sont que des voies de contournement, de faible capacité d’ailleurs. Il n’existe ni révocation ni dissolution. Ni même capacité du conseil à délibérer au titre des pouvoirs propres du maire. Un régime présidentiel, répétons le… Un vrai ou presque.
NB 2 : on rappellera aussi le régime de révocation des maires par l’exécutif national, possible même avant toute condamnation pénale (voir : Révoquer un maire pourtant non encore jugé au pénal : est-ce contraire à la présomption d’innocence ? au principe non bis in idem ? : CE, ord., 3 septembre 2019, n° 434072).
Donc :
- cet universitaire, dont la pensée est, rappelons le, toujours très stimulante, a-t-il raison d’interroger la place de la responsabilité politique dans les rapports entre assemblées délibérantes locales et exécutifs ? OUI
- est-il souhaitable de renforcer celle-ci, comme l’a déjà beaucoup fait le législateur ces quarante dernières années (droit des oppositions, inscriptions à l’ordre du jour, commissions et enquêtes, voire consultation de la population…) : le point mérite d’être débattu en tous cas. Mais il ne faut pas sous-estimer l’efficacité de certains de ces procédés.
- mais faut-il sans autre forme de procès instaurer une révocation du maire par le conseil municipal ? Je ne répondrai pas à cette question. A chacun de se forger une religion. MAIS je signalerai juste que si on va dans cette direction, alors NON il ne faut pas le faire sans donner en sens contraire un pouvoir de dissolution au Maire. Ni sans penser sérieusement le régime que nous voulons dans nos communes, nos départements, nos régions et nos intercommunalités.
Alors renforcer la responsabilité politique et, même, la transparence municipale ? Chiche.
Mais la révocation ? Oui SEULEMENT SI on veut totalement changer de régime institutionnel municipal et si on donne au maire le pouvoir réciproque de dissolution. Bref, si on veut passer d’un régime présidentiel à un régime parlementaire.
Mais il n’est pas sûr, pas du tout sûr, que le pouvoir local, qui doit être efficace, réactif, qui à ce jour repose aussi sur des pouvoirs propres du maire mobilisables en quelques heures parfois, gagne à cette transformation. Pensons-y collectivement, au calme, loin des émotions nées de telle ou telle affaire sordide (et, là, en effet…) ou de l’envie toujours grande dans notre pays de mettre quelques têtes au bout d’une pique.