Si un élu est victime dans l’exercice de ses fonctions, il pourra souvent, désormais, voir son assemblée et son association d’élus se constituer partie civile à ses côtés

En vertu d’une loi publiée au JO de ce matin, Assemblées et associations d’élus peuvent désormais se constituer partie civile aux côtés des élus victimes d’infractions (ou de leurs proches), non sans quelques « trous dans la raquette ». Ce point n’est pas à confondre avec celui de l’octroi de la protection fonctionnelle, bien évidemment. 

 

Le Sénat, avec le soutien du Gouvernement, avait adopté le 15 novembre 2022, en première lecture la «Proposition de loi visant à permettre aux assemblées d’élus et aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d’un mandat électif public victime d’agression ». 

Cette proposition de loi avait été déposée par de nombreux sénateurs sous la houlette de Mme  Nathalie DELATTRE.

Voir :

 

La suite du débat parlementaire aura été celle d’une chevauchée conquérante et consensuelle. Voir les dossiers législatifs :

 

Au point que c’est sans encombre que ce texte est publié au JO de ce matin :

Pour comprendre ce texte, il faut se souvenir que :
  • les associations d’élus que sont l’AMF, Départements de France et Régions de France n’étaient avant ce texte que rarement (quasiment jamais sauf attaque pendant l’exercice du mandat dans l’association avec préjudice subi par l’association elle-même) susceptibles de se constituer partie civile quand les élus étaient victimes d’accident.
  • les collectivités elles-mêmes n’étaient souvent pas recevables à agir en constitution de partie civile en cas d’agression subie par leurs élus (et le demeurent souvent s’agissant des cas où leurs agents sont victimes dans l’exercice de leurs fonctions).
  • tout ceci n’est pas à confondre avec les règles propres à l’octroi de la protection fonctionnelle due dans un grand nombre de cas aux élus et aux agents publics (voir nos nombreux articles à ce sujet).

Rappelons d’une manière générale deux ou trois mesures de prudence :

  • la constitution de partie civile (CPC) peut parfois être faite ab initio, et parfois pas. Il faut donc s’entourer à ce stade d’un conseil avisé.
  • le préjudice principal pour la commune est en réalité un préjudice moral. Mais la Cour de cassation a été très réticente à admettre celui-ci. Voir, pour un cas choquant : Cass. Crim., 12 mars 2019, n° 18-80911 ; voir ici).
    Notre cabinet a eu souvent, parfois dans des dossiers dramatiques, à traiter de pareils cas. Nous arrivons alors à une situation complexe. Pour être recevable, la constitution de partie civile de la collectivité  doit être fondée sur un préjudice réel, direct, et surtout matériel. Distinct de celui de l’agent (ou de l’habitant) victime. On en trouve toujours un. Mais les collectivités ont peur à ce stade, et on peut les comprendre, de donner l’impression d’être médiocres (se plaindre d’une voiture de la PM abimée alors qu’un agent a été blessé, ou pire, semble mesquin… idem pour le préjudice financier à la suite d’un agent mis en arrêt maladie ou en ASA… mais c’est indispensable).
    Tout l’art de l’avocat consiste donc alors à soulever un préjudice moral au principal (pour lequel on sait qu’on se fera débouter…) mais d’y ajouter un préjudice matériel précis, bien argumenté, qui médiatiquement passera inaperçu, mais qui interdira au juge (s’il est sérieux…) de rejeter notre CPC…  et ce en se fondant sur l’article 11 de la loi  n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (« loi Le Pors »). 
Pour les agents, rien ne change et les conseils évoqués ci-avant restent tout à fait opérants.

Pour les élus, voici ce que change la nouvelle loi publiée ce matin.

Cette loi porte sur un grand nombre d’infractions :

« 1° Les deux premiers alinéas sont remplacés par six alinéas ainsi rédigés :
« En cas d’infractions prévues aux livres II ou III du code pénal, au chapitre III du titre III du livre IV du même code ou par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse commises à l’encontre d’une personne investie d’un mandat électif public en raison de ses fonctions ou de son mandat,
»

Pour ces infractions, peuvent ainsi se constituer partie civile aux côté des élus ou de leurs ayants-droits :

  • « 1° Pour les élus municipaux, l’Association des maires de France, toute association nationale, reconnue d’utilité publique ou régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans, dont les statuts se proposent d’assurer la défense des intérêts de ces élus, et, sous les mêmes conditions, toute association départementale qui lui est affiliée ;
  • « 2° Pour les élus départementaux, l’Assemblée des départements de France ainsi que toute association nationale, reconnue d’utilité publique ou régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans, dont les statuts se proposent d’assurer la défense des intérêts de ces élus, et, sous les mêmes conditions, toute association qui lui est affiliée ;
  • « 3° Pour les élus régionaux, territoriaux et de l’Assemblée de Corse, Régions de France ainsi que toute association nationale, reconnue d’utilité publique ou régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans, dont les statuts se proposent d’assurer la défense des intérêts de ces élus, et, sous les mêmes conditions, toute association qui lui est affiliée ;
  • « 4° Au titre d’un de ses membres, le Sénat, l’Assemblée nationale, le Parlement européen ou la collectivité territoriale concernée.

 

A noter :

  • il s’agit donc bien d’actions civiles portées par les associations d’élus (items 1° à 3° de cette liste) mais aussi par des personnes morales où siègent ces élus d’autres part (4°). Ce dernier point est important. On notera qu’il faut sans doute une délibération de l’assemblée concernée via cette formulation, d’une part, et que la notion de « membre » utilisée dans cet item 4°, pour désigner les élus, si elle s’applique sans peine aux assemblées parlementaires, n’est pas très heureuse pour les collectivités (on est membre de l’assemblée délibérante de la collectivité, et pas de la collectivité).
  • pour les associations du bloc local, un débat pourrait exister s’agissant des intercommunalités tant pour les recours de l’EPCI ou du syndicat mixte au titre du 4° de ce texte (puisque les EPCI et syndicats mixtes ne sont pas des collectivités, sauf pour la métropole de Lyon) que pour les associations d’élus intercommunaux
  • idem pour les entreprises publiques locales

Ces deux derniers points me semblent risquer (risquer seulement tant que l’on n’a pas de jurisprudence) de constituer de véritables « trous dans la raquette ».

 

Ce régime s’étend aux conjoints, ascendants ou descendants en ligne directe des élus et même sur toute autre personne vivant habituellement au  domicile de l’élu, sous certaines conditions :

  • « Il en est de même lorsque ces infractions sont commises sur le conjoint ou le concubin de l’élu, sur le partenaire lié à celui-ci par un pacte civil de solidarité, sur les ascendants ou les descendants en ligne directe de celui-ci ou sur toute autre personne vivant habituellement à son domicile, en raison des fonctions exercées par l’élu ou de son mandat. » ;
    2° Au dernier alinéa, les mots : « l’association mentionnée » sont remplacés par les mots : « les associations mentionnées ».

Enfin, pour l’outre-mer :

  • Le début du premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigé : « Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2023-23 du 24 janvier 2023 visant à permettre aux assemblées d’élus et aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d’un mandat électif public victime d’agression, en Nouvelle-Calédonie… (le reste sans changement) : ».