La procédure de demande d’évacuation administrative (via le préfet) d’un squatteur est constitutionnelle (avec une petite réserve d’interprétation)

La loi ASAP (d’accélération et de simplification de l’action publique) n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 a réformé la procédure d’évacuation forcée prévue à l’article 38 de la loi « DALO » n° 2007-290 du 5 mars 2007.

Le but principal est d’avoir une procédure accélérée d’expulsion des squats.

Trois conditions doivent être réunies au préalable :

  • une plainte
  • une preuve que le logement occupé illicitement constitue le domicile du demandeur ou de la personne pour le compte de laquelle il agit
  • un constat de l’occupation illicite par un officier de police judiciaire, laquelle peut être faite en flagrance (il y a alors en général infraction de l’article 226-4 du code pénal)

Puis peut s’ouvrir une procédure de saisine du préfet qui doit réagir dans les 48h sans que la trêve hivernale ne puisse s’appliquer (si du moins il y a bien squat et non maintien dans les lieux d’un locataire).

Puis il y a mise en demeure de quitter les lieux, qui doit être assortie d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à 24 heures, à l’issue duquel il peut être procédé à l’exécution forcée.

Pour en savoir plus, voir la circulaire du 22 janvier 2021 relative à la réforme de la procédure administrative d’évacuation forcée en cas de « squat » (NOR : LOGL2102078C), que voici :

Voir aussi :

 

La constitutionnalité de ce nouveau régime était contestée : or, le Conseil constitutionnel vient de valider ce régime, à une petite interprétation près.

Le Conseil constitutionnel juge en effet conformes à la Constitution, tout en les assortissant d’une réserve d’interprétation, des dispositions permettant d’obtenir du préfet l’évacuation forcée de l’occupant irrégulier d’un domicile

Le Conseil constitutionnel avait été saisi le 20 janvier 2023 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 38 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dans sa rédaction résultant de la loi

Aux termes de ces dispositions, la personne dont le domicile est occupé de manière illicite, qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale, peut, sous certaines conditions, demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux. En cas de refus de ce dernier, le préfet doit procéder sans délai à l’évacuation forcée du logement.

Il était reproché à ces dispositions par la requérante, notamment, d’instituer une procédure administrative permettant l’expulsion de l’occupant d’un logement sans prévoir d’examen contradictoire de sa situation personnelle et familiale, ni de recours suspensif garantissant qu’un juge se prononce avant qu’il soit procédé à son évacuation forcée.

Il en résultait selon elle une méconnaissance du droit au recours juridictionnel effectif, du droit au respect de la vie privée et du droit à l’inviolabilité du domicile, ainsi qu’une différence de traitement injustifiée entre les occupants d’un logement selon qu’ils font l’objet de la procédure d’expulsion prévue par ces dispositions ou de la procédure d’expulsion juridictionnelle de droit commun.

* Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle tout d’abord que, selon l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». La liberté proclamée par cet article implique le droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l’inviolabilité du domicile.

Aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu’il ne doit pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

À l’aune des exigences constitutionnelles ainsi rappelées, le Conseil constitutionnel relève en premier lieu que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu assurer l’évacuation à bref délai des domiciles illicitement occupés. Ce faisant, il a cherché à protéger le principe de l’inviolabilité du domicile, le droit au respect de la vie privée et le droit de propriété des occupants réguliers.

En deuxième lieu, d’une part, la mise en demeure ne peut être demandée au préfet qu’en cas d’introduction et de maintien à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte dans un domicile. D’autre part, elle ne peut être mise en œuvre qu’après que le demandeur a déposé plainte, fait la preuve que le logement constitue son domicile, et fait constater par un officier de police judiciaire cette occupation illicite. Dès lors, le Conseil constitutionnel relève que le préfet ne peut mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux que dans le cas où il est constaté que ce dernier s’est introduit et maintenu dans le domicile en usant lui-même de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte.

En troisième lieu, ces dispositions prévoient que le préfet peut ne pas engager de mise en demeure dans le cas où existe, pour cela, un motif impérieux d’intérêt général.

Par une réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel juge toutefois que ces dispositions ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au principe de l’inviolabilité du domicile, être interprétées comme autorisant le préfet à procéder à la mise en demeure sans prendre en compte la situation personnelle ou familiale de l’occupant dont l’évacuation est demandée.

Une appréciation, délicate, au cas par cas, s’imposera donc.

Le Conseil constitutionnel relève, en quatrième lieu, que le délai laissé à l’occupant pour déférer à la mise en demeure de quitter les lieux ne peut être inférieur à vingt-quatre heures.

En dernier lieu, d’une part, les dispositions contestées ne privent pas l’occupant de la possibilité de la possibilité d’introduire un référé sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative ou d’exercer un recours contre la mise en demeure devant le juge administratif, notamment devant le juge des référés qui, sur le fondement des articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative, peut suspendre l’exécution de la mise en demeure ou ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale. D’autre part, le caractère non suspensif d’une voie de recours ne méconnaît pas, en lui-même, le droit à un recours juridictionnel effectif. En outre, en cas d’illégalité de la décision administrative d’évacuation forcée de l’occupant, ce dernier peut exercer un recours indemnitaire devant le juge administratif.

Compte tenu de l’ensemble des garanties ainsi énumérées et sous la réserve d’interprétation mentionnée plus haut, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions contestées ne peuvent pas être regardées comme méconnaissant le droit au respect de la vie privée ou le principe de l’inviolabilité du domicile. Elles ne méconnaissent pas non plus le droit à un recours juridictionnel effectif, ni le principe d’égalité.

Source :

Décision n° 2023-1038 QPC du 24 mars 2023, Mme Nacéra Z. [Procédure administrative d’expulsion du domicile d’autrui], Conformité – réserve