Férias et autres corridas : qu’est-ce qu’une « tradition locale ininterrompue » ?

L’article 521 du code pénal punit le fait « d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité »… avec une exception pour les « courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée […] ».

Ce régime est complété par les dispositions de l’article L. 214-1 du code rural et de la pêche maritime (CRPM), ainsi que par les articles L. 214-3,  R. 214-85 et  R. 214-85 de ce même code, avec notamment une exception au principe d’interdiction de la participation d’animaux à des jeux et attractions pouvant donner lieu à mauvais traitements, dans les foires, fêtes foraines et autres lieux ouverts au public, qui est admise en cas de tradition locale ininterrompue. 

Voir aussi : CE, 3e et 8e ss-sect. réunies, 2 févr. 2015, n° 373736 ; pour une validation de cette tradition à Arles, voir TA Marseille, 20 janv. 2016, n° 1305510, ou à Nîmes voir CAA Marseille, 5e ch., 18 mars 2019, n° 17MA00676. Pour Béziers, voir CAA Marseille, 5e ch., 18 mars 2019, n° 17MA00981. 

En 2013, la CAA de Marseille posait que

« que l’existence d’une tradition locale ininterrompue de courses de taureaux doit être appréciée dans le contexte d’un ensemble démographique qui, s’il ne se limite pas aux limites de la commune concernée, garde une dimension locale ; »

Ce qui conduisait à légaliser le fait qu’à Marseille le maire interdire une corrida… on rira aux galéjades des requérants qui prétendaient qu’il y avait une tradition ininterrompue alors que la dernière manifestation de tradition taurine remontait à… 1962… et qui osaient sans sourire dire que Marseille devait être « regardée comme faisant partie de l’ensemble démographique constitué par la Camargue et le pays d’Arles, où il est constant que la tradition des courses de taureaux est restée vivante  ».

Source : CAA Marseille, 5e ch. – formation à 3, 4 oct. 2013, n° 11MA04617. 

Aussi peut-on sans surprise noter, en ce soir de clôture de la feria d’Alès et à 5 jours de celle de Nîmes, que… 20 ans, c’est une interruption suffisante pour que soit perdue la tradition taurine.

Saisi notamment par les associations Comité radicalement anti-corrida Europe et Alliance anti-corrida, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier suspend la délibération du 11 avril 2023 par laquelle le conseil municipal de Pérols a autorisé la tenue d’un spectacle taurin (novillada, qui oppose de jeunes taureaux à de jeunes toreros, avec mise à mort des taureaux) le 15 juillet 2023.

Le tribunal a :

  • constaté qu’aucun spectacle taurin ne s’était tenu sur le territoire de la commune de Pérols depuis 2003,
  • estimé (et l’argument peut surprendre un peu plus, car là le juge prend un autre critère qui semble être celui de la direction vers laquelle évoluent les bassins de vie et donc les traditions, et donc un critère plus prospectif que le critère rétrospectif qui s’impose en droit)  que la commune de Pérols devait être regardée, compte tenu notamment de son inclusion dans la Métropole Montpellier Méditerranée, de son schéma de cohérence territoriale qui la classe dans le bassin de vie de Montpellier et de l’attractivité de l’aire montpelliéraine, comme se rattachant à l’ensemble démographique de Montpellier.

Dès lors, la mise à mort (enfin.. il ne s’agit que d’une suspension pour l’instant mais bon…) de la décision municipale semblait inévitable..

TA Montpellier, ord., 16 mai 2023, n° 2302171- 2302216 (à voir ici sur le site du TA)