Non production dans les délais d’un mémoire complémentaire : le désistement d’office est à craindre même pour celui qui a demandé un nouveau délai

L’article R. 612-5 du code de justice administrative (CJA) dispose que :

« Devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, si le demandeur, malgré la mise en demeure qui lui a été adressée, n’a pas produit le mémoire complémentaire dont il avait expressément annoncé l’envoi ou, dans les cas mentionnés au second alinéa de l’article R. 611-6, n’a pas rétabli le dossier, il est réputé s’être désisté.»

Sur cette base, en janvier 2023, le Conseil d’Etat posait qu’en matière de mémoires complémentaires, après l’heure… ce n’est plus l’heure… même si on vous a accordé un délai (pour peu que celui-ci ait, lui-même, été tardivement octroyé [I]).

Or, voici que de manière plus sévère encore, le Conseil d’Etat vient de compléter ce mode d’emploi en jugeant que ne pas produire dans les délais un mémoire complémentaire peut entraîner un désistement d’office… même pour le requérant ayant demandé, avant l’expiration de ces délais, un nouveau délai pour produire … et même si le juge a instruit l’affaire après production (en retard donc) dudit mémoire complémentaire (II).

 

 

I. Rappel de la portée de l’arrêt du 13 janvier 2023, n° 452716, aux tables

 

En janvier 2023, le Conseil d’Etat a posé qu’il en résulte que lorsque le TA ou la CAA choisit d’adresser une mise en demeure en application de cet article, ce tribunal ou cette cour doit certes constater le désistement d’office du requérant si celui-ci ne produit pas le mémoire complémentaire à l’expiration du délai fixé… Mais la Haute Assemblée a fixé des conditions cumulatives à cet effet :

  1. l’intéressé doit avoir annoncé expressément la production d’un mémoire complémentaire,
  2. il doit avoir reçu la mise en demeure prévue,
  3. cette dernière doit lui avoir laisse un délai suffisant pour y répondre
  4. cette mise en demeure doit l’avoir informé des conséquences d’un défaut de réponse dans ce délai,

En l’espèce, le requérant n’avait pas produit le mémoire complémentaire, explicitement annoncé dans sa requête d’appel, à l’expiration du délai qui lui était imparti par la mise en demeure et dont son conseil avait reçu notification et qui l’informait des conséquences s’attachant au dépassement du délai. S’il avait été accusé réception avec retard de cette requête par le greffe et si la mise en demeure, adressée le jour même de l’accusé de réception, ne comportait qu’un délai de quinze jours, cette mise en demeure ne pouvait être regardée, en l’espèce, selon le Conseil d’Etat, comme ayant laissé à la requérante un délai insuffisant à ce stade.

En l’espèce, saisie par le conseil de l’intéressée d’une demande de prolongation du délai initial de quinze jours pour produire le mémoire complémentaire, la CAA y avait fait droit en accordant un nouveau délai d’un mois puis avait communiqué l’ensemble de la procédure à la partie adverse dans le cadre de l’instruction.Mais cette demande de prolongation avait été présentée après l’expiration du délai fixé initialement par la mise en demeure de telle sorte qu’à cette date, la requérante était déjà réputée s’être désistée d’office de sa requête du seul fait de l’expiration de ce premier délai.

Dès lors, la requérante ne peut utilement invoquer cette prolongation du délai intervenue après l’expiration du délai qui lui était imparti pour contester l’ordonnance par laquelle la CAA a constaté qu’elle devait être réputée s’être désistée de sa requête… ce qui compte-tenu du délai initial tout de même court et du fait que le requérant et son conseil pouvaient penser que le nouveau délai ne cachait pas un désistement d’office, peut sembler tout de même fort sévère.

Voir déjà auparavant CE, 9 mars 2018, Mme , n° 402378, rec. T. pp. 839-845 et CE, 25 octobre 2010, SCEA du domaine de Haute Grée, n° 308697, rec. T. p. 315

Source : 

Conseil d’État, 13 janvier 2023, n° 452716, aux tables du recueil Lebon

 

II. En septembre 2023, le Conseil d’Etat durcit encore ce mode d’emploi. Il pose en effet que ne pas produire dans les délais un mémoire complémentaire peut entraîner un désistement d’office… même pour le requérant ayant demandé, avant l’expiration de ces délais, un nouveau délai pour produire … et même si le juge a instruit l’affaire après production (en retard donc) dudit mémoire complémentaire

 

Ne pas produire dans les délais un mémoire complémentaire peut entraîner un désistement d’office… même pour le requérant ayant demandé, avant l’expiration de ces délais, un nouveau délai pour produire … et même si le juge a instruit l’affaire après production (en retard donc) dudit mémoire complémentaire :

« 3. D’autre part le juge, auquel il incombe de veiller à la bonne administration de la justice, n’a aucune obligation de faire droit à une demande de délai supplémentaire formulée par une partie pour produire un mémoire et peut, malgré cette demande, mettre au rôle l’affaire ou la régler par ordonnance par application des dispositions de l’article R. 222-1 du code de justice administrative, hormis le cas où des motifs tirés des exigences du débat contradictoire l’imposeraient. Il n’a pas davantage à motiver le refus qu’il oppose à une telle demande. Aucune disposition du code de justice administrative ne lui impose de viser cette demande de délai supplémentaire.
« 4. La cour, après avoir, par un arrêt suffisamment motivé, vérifié que les conditions rappelées au point 2 étaient en l’espèce satisfaites, a estimé que la circonstance que la requérante avait sollicité, dans le délai qui lui avait été imparti par le tribunal pour produire son mémoire complémentaire, un délai supplémentaire pour ce faire, n’était pas de nature à faire obstacle à ce qu’elle soit réputée, à l’expiration de ce délai, s’être désistée de sa requête. Elle n’a ce faisant pas commis d’erreur de droit.
« 5. C’est également sans erreur de droit et sans méconnaître les exigences résultant du premier paragraphe de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qu’elle a jugé que l’ensemble des circonstances de l’espèce n’étaient pas de nature à faire obstacle au prononcé du désistement, y compris celle que le tribunal avait mis l’affaire à l’instruction après l’expiration du délai imparti par la mise en demeure de produire le mémoire complémentaire et celle que, dans le cadre de cette instruction, la requérante avait produit un mémoire complémentaire.»

 

D’où le futur résumé des tables que voici, tel que préfiguré par celui de la base Ariane :

« Il résulte de l’article R. 612-5 du code de justice administrative (CJA) que lorsque qu’un tribunal administratif (TA) ou une cour administrative d’appel (CAA) choisit d’adresser une mise en demeure en application de cet article, ce tribunal ou cette cour doit, à condition que l’intéressé ait annoncé expressément la production d’un mémoire complémentaire, qu’il ait reçu la mise en demeure prévue, qu’elle lui laisse un délai suffisant pour y répondre et l’informe des conséquences d’un défaut de réponse dans ce délai, constater le désistement d’office du requérant si celui-ci ne produit pas le mémoire complémentaire à l’expiration du délai fixé. Lorsque ces conditions sont remplies, la circonstance que le requérant a sollicité, dans le délai qui lui avait été imparti par le TA ou la CAA pour produire son mémoire complémentaire, un délai supplémentaire pour ce faire, n’est pas de nature à faire obstacle à ce qu’il soit réputé, à l’expiration de ce délai, s’être désisté de sa requête.»

 

 

Source :

Conseil d’État, 29 septembre 2023, n° 460160, aux tables du recueil Lebon