Un arrêt important sur la transmission des pièces avant une délibération relative à un projet de DSP (ou autre contrat en matière de service public)

Le Conseil d’Etat vient, en matière de délibération d’un organe délibérant territorial sur un projet de contrat en matière de service public (notamment en cas de passation d’une délégation de service public), de :

  • rappeler que l’exécutif local n’est « pas tenu de notifier le projet de contrat aux conseillers municipaux mais seulement de les mettre à même, par une information appropriée, de le consulter » (quinze jours avant la délibération dans le cas des communes ou de leurs groupements), ce qui n’est pas nouveau, mais est formulé de manière renouvelée
  • préciser que si un tel projet (ou d’autres pièces à transmettre) sont demandées, et transmises à un élu… cela n’impose pas à l’exécutif local de transmettre ces mêmes pièces aux autres élus (qui n’en auraient pas fait la demande, donc…), ce qui est une précision nouvelle et bienvenue 
  • confirmer, là encore de manière intéressante, que (bien sûr) si un élu est privé de ce droit d’information, alors il est privé d’une garantie au sens de la jurisprudence canonique « Danthony ».

 

 

Les élus communaux bénéficient de nombreux régimes d’information :

  • droit, comme toute personne, à se faire communiquer des documents administratifs, dans les conditions du droit commun
  • régime d’information de l’article L. 2121-26 du Code général des collectivités territoriales
  • « rapport présentant le document contenant les caractéristiques des prestations que doit assurer le prestataire » en cas de DSP
  • divers rapports annuels (rapport annuel transmis par toute société d’économie mixte ou société publique locale dont elle est actionnaire ; rapports annuels du maire ou du président de l’EPCI compétent relatifs à divers services publics locaux ; rapport annuel du président de l’EPCI aux maires des communes membres ; observations de gestion de la Chambre régionale des comptes ; rapports annuels sur l’eau et sur les déchets si la commune a conservé ces compétences ; rapports annuels des délégataires et des sociétés d’économie mixte locales…).
  • ROB dans certains cas (voir ici)
  • tableau annuel des indemnités (voir ici) en sus du tableau annexe déjà obligatoire lors du vote des indemnités de fonctions
  • nouvelles informations de l’intercommunalité vers les élus municipaux (voir ici en vidéo et là en article)
  • Tout conseiller municipal d’une commune de 3 500 habitants ou plus soit aussi recevoir avec la convocation au conseil
    • une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être jointe à la convocation aux séances du conseil ;
    • “ si la délibération concerne un contrat de service public, le projet de contrat ou de marché, accompagné de l’ensemble des pièces peut, à sa demande, être consulté à la mairie par tout conseiller municipal dans les conditions fixées par le règlement intérieur ” (mais il n’est pas obligatoire que ce projet de contrat soit joint à la convocation).

L’ensemble de ces droits donne lieu à des jurisprudences parfois subtiles, souvent lacunaires… et globalement exigeantes pour le maire dans son devoir d’information des élus municipaux.

Ces informations donnent lieu à des jurisprudences toujours fondées sur un critère de finalité, mais dont les exigences, au fil d’une appréciation au cas par cas,  ne sont pas à sous-estimer.

Sources : art. L. 1411-4, L. 1524-5, L. 2121-12, L. 2121-13, L. 2121-19, L. 2121-26 et L. 2224-5, ainsi que L. 5211-39 (issu de la loi du 12/7/99) du CGCT ; art. L. 241-11 du Code des juridictions financières ; CE, ass., 9/11/73 Cne de Pointe-à-Pitre, rec. 631 ; CE 27/10/89 de Peretti, n°70549 ; CE 29/6/90 Cne de Guitrancourt, n°68743 ; CE 8/6/94 Cne de Ville-en-Vernois, rec. 828 ; CE 12/7/95 Cne de Fontenay-le-Fleury, n° 157092 ; CE, Sect., 23/4/97 V. de Caen, n°151852 ; CE 30/4/97 Cne de Sérignan, n°158730 ; CE 11/01/02, Janin, n°215314 ; CE 9/04/04, Vast, n°263759 ; CE, Ass. 27/05/05, Dpt de l’Essonne, n°268564 ; CE, Ass. 27/05/05, Cne d’Yvetot, n°265494 ; CE, Sect, 5/10/05 M. Tomaselli, n°256055 ; CE 11/09/06, Cne de Théoule-sur-Mer, n°255273; CE 10/01/07, Sté Pompes Funèbres et conseillers funéraires du Roussillon, n°284063CAA Paris, 3/07/01, Voiret, n°98PA01434 ; CAA Nantes, 18/06/04, Cne de Carnac, n°03NT01143 ; TA Lyon, 7/03/01, Kolischev, n°9803985 ; TA St-Denis, 8/12/04, Hoarau, n°0200806 ; Rép. Min. n°70685, JOAN Q, 8/04/02, p. 1916 ; Conseil d’État, 24 mai 2023, n° 469652 ; etc.

Voir à ce sujet, pour les notes de synthèse :

 

Voir aussi cette autre vidéo

https://youtu.be/jXq6GVlyd_0

 

Des règles particulières s’imposent en cas de projet de délégation de service public (DSP) avec un rapport spécifique à transmettre avec un délai particulier, de 15 jours. 

Citons l’article L. 1411-4 du CGCT :

« Les assemblées délibérantes des collectivités territoriales, de leurs groupements et de leurs établissements publics se prononcent sur le principe de toute délégation de service public local après avoir recueilli l’avis de la commission consultative des services publics locaux prévue à l’article L. 1413-1. Elles statuent au vu d’un rapport présentant le document contenant les caractéristiques des prestations que doit assurer le délégataire.»

Il s’agit donc d’un rapport spécifique, distinct de la note explicative de synthèse même si le juge accepterait sans doute de requalifier en note explicative de synthèse, valable, un résumé dudit rapport.

Et bien entendu ce n’est pas à confondre avec le rapport que doit en cours de contrat produire le délégataire (rapport d’information à l’autorité concédante  des articles L. 3131-5 puis  R. 3131-2 et suivants du Code de la commande publique [CCP] )… cela va de soi mais bon précisons le au passage…

Citons ensuite l’article L. 1411-7  du CGCT :

« Deux mois au moins après la saisine de la commission prévue à l’article L. 1411-5, l’assemblée délibérante se prononce sur le choix du délégataire et la convention de délégation de service public.
« 
Les documents sur lesquels se prononce l’assemblée délibérante doivent lui être transmis quinze jours au moins avant sa délibération.»

Et comme il l’a été signalé ci-avant, dans les communes de 3500 habitants ou plus (article L. 2121-12 du CGCT) :

« Si la délibération concerne un contrat de service public, le projet de contrat ou de marché accompagné de l’ensemble des pièces peut, à sa demande, être consulté à la mairie par tout conseiller municipal dans les conditions fixées par le règlement intérieur.»

 

Au total, comme vient de le résumer le Conseil d’Etat :

« 6. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que dans les communes de 3 500 habitants et plus, la convocation aux réunions du conseil municipal doit être accompagnée d’une note explicative de synthèse portant sur chacun des points de l’ordre du jour. Le défaut d’envoi de cette note ou son insuffisance entache d’irrégularité les délibérations prises, à moins que le maire n’ait fait parvenir aux membres du conseil municipal, en même temps que la convocation, les documents leur permettant de disposer d’une information adéquate pour exercer utilement leur mandat. Cette obligation, qui doit être adaptée à la nature et à l’importance des affaires, doit permettre aux intéressés d’appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions. Lorsque la délibération concerne une convention de délégation de service public, tout conseiller municipal doit être mis à même, par une information appropriée, quinze jours au moins avant la délibération, de consulter le projet de contrat accompagné de l’ensemble des pièces, notamment les rapports du maire et de la commission de délégation de service public, sans que le maire ne soit tenu de notifier ces mêmes pièces à chacun des membres du conseil municipal.»
Source : CE, 13 octobre 2023, n° 464955, aux tables

Voyons ceci point par point.

En l’espèce, M. D…, conseiller municipal de la commune de L., estimait que la passation d’une DSP était viciée « faute pour le maire de lui avoir adressé, au moins quinze jours avant la délibération du 22 juin 2017 du conseil municipal, le projet de convention de délégation de service public »… ceci entraînant selon ce requérant une méconnaissance des dispositions de l’article L. 1411-7 du CGCT.

Le moyen soulevé par le requérant était infondé et, ce, sans nul doute.

L’article L. 2121-12 du CGCT, en son 2e alinéa, s’avère fort clair sur le fait que le projet de contrat DOIT pouvoir être consulté MAIS PEUT NE PAS ETRE ADRESSE AUX ELUS sauf, donc, demande de leur part ou sauf si le règlement intérieur l’impose :

« Si la délibération concerne un contrat de service public, le projet de contrat ou de marché accompagné de l’ensemble des pièces peut, à sa demande, être consulté à la mairie par tout conseiller municipal dans les conditions fixées par le règlement intérieur.»

Ce droit à consultation en amont de la séance d’un projet de contrat, s’étend à un droit à communication en cours de séance, annexes comprises (CE, S., 23 avril 1997, n° 151852, au recueil).

Encore ces pièces doivent-elles avoir été vainement demandées en amont ou lors de la séance pour qu’il en résulte un effet sur la légalité de la délibération ou du contrat ainsi adopté (CE, 29 décembre 1999, 158472 ; voir sur le principe, CE, 26 juin 1996, SARL Rossi Frères, req. n°148711).

C’est donc sans surprise que par cette nouvelle décision, le Conseil d’Etat rappelle que :

« le maire n’était pas tenu de notifier le projet de contrat aux conseillers municipaux mais seulement de les mettre à même, par une information appropriée, de le consulter quinze jours avant la délibération.»
Source : CE, 13 octobre 2023, n° 464955, aux tables

On le savait. Mais c’est la première fois que le Conseil d’Etat, à notre connaissance et à celle de diverses bases de données consultées, l’exprime de la sorte aussi clairement.

Et, surtout, le juge nous apporte à ce sujet une précision qui semble inédite… car le Conseil d’Etat précise bien que ce n’est pas parce qu’on communique une pièce à un élu qui l’a demandée que l’on est obligé de transmettre cette même pièce à tous les autres élus :

« tout conseiller municipal doit être mis à même, par une information appropriée, quinze jours au moins avant la délibération, de consulter le projet de contrat accompagné de l’ensemble des pièces, notamment les rapports du maire et de la commission de délégation de service public, sans que le maire ne soit tenu de notifier ces mêmes pièces à chacun des membres du conseil municipal. »

Mais l’apport principal de cette nouvelle décision de la Haute Assemblée est ailleurs.

Il porte sur le fait que (bien évidemment) méconnaitre les règles de transmission du projet de contrat n’est pas un vice danthonysable, car il prive l’élu d’une garantie. 

Rappelons ce dont nous parlons et, notamment, de ce qu’est la jurisprudence Danthony.

Un vice de procédure (et, par extension, de forme) peut parfois ne pas entraîner l’illégalité d’un acte. En ce domaine, les juristes jargonnent désormais en s’interrogeant, au cas par cas, sur le point de savoir si tel ou tel vice est, ou n’est pas, « danthonysable » :

« si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie » (CE Ass., 23 décembre 2011, Danthony, n°335033, publié au Rec. p. 649 ; GAJA 21e éd. n°112).

Il en résulte une grille de lecture simple. Un vice de procédure n’entraîne l’illégalité d’une décision que :

  • soit s’il a privé les intéressés d’une garantie
  • soit s’il a été susceptible d’influencer le sens de la décision…

NB : voir Jurisprudence Danthony : 11 ans… et quel bilan ? [VIDEO] 

A cette aune là, le Conseil d’Etat pose que :

« L’information adéquate de l’ensemble des membres d’une assemblée délibérante, afin qu’ils puissent exercer utilement leur mandat, constitue, en principe, une garantie pour les intéressés.»

… Bref, l’information des élus à ce stade est à apprécier à l’aune de la jurisprudence Danthony précitée, et priver les élus d’une garantie n’est pas a priori un vice Danthonysable (sauf à prouver que l’élu n’a pas été privé de ladite garantie en réalité, bien évidement).

En l’espèce, de toute manière, le moyen soulevé par le requérant était inopérant, et donc son recours ne pouvait être que rejet (les autres moyens n’étant pas plus convaincants). Mais le Conseil d’Etat a eu à reformuler l’application de la jurisprudence Danthony en raison de la manière qu’avait eu, en l’espèce, la CAA de trancher ce litige.

Source, donc :

CE, 13 octobre 2023, n° 464955, aux tables