Drones et surveillance des espaces publics : un point de la jurisprudence au 29/1/24

L’Etat peut jouer aux drones plus aisément qu’auparavant, mais encore faut-il ne pas sous-estimer les exigences du juge sur la justification de cet outil, surtout en cas d’usage prolongé (confirmation ; contrôle des frontières).. si des dispositifs moins intrusifs s’avèrent, selon le juge, possibles.

Mais les usages ponctuels (manifestation à risque avec usage limité de cet outil) s’avèreront plus aisés à défendre en droit… comme une ordonnance du juge des référés du TA de Strasbourg admettant le recours aux drones pour le marché de Noël de cette ville, l’a confirmé en novembre dernier, laquelle ordonnance a ensuite été validée par le Conseil d’Etat (toujours en référé liberté) .  

Faisons un point à ce sujet au lendemain d’une autre décision (ordonnance du juge des référés du TA d’Amiens), portant cette fois sur les actuelles manifestations d’agriculteurs…. avec un apport intéressant sur le degré de précision à apporter quant au « périmètre géographique concerné. »

Selon le juge des référés de ce tribunal, il n’est pas possible de prendre un arrêté se limitant à retenir un périmètre défini de manière générale par l’ensemble des manifestations (vastes) des agriculteurs se déroulant dans le département de la Somme au cours de la période comprise entre les 24 et 29 janvier 2024 sans que la localisation précise ne soit préalablement circonscrite.

 

 

I. Petits rappels

 

En matière d’usage des drones par les forces de l’Ordre, la saga juridique fut riche de rebondissements ces dernières années. Voir :

 

Les choses se sont un peu calmées, ou à tout le moins clarifiées, depuis :

 

Sur le cas des drones et/ou vidéo-surveillances / vidéoprotections augmentées, ou « intelligentes», voir :

 

L’article L. 242-5 du code de la sécurité intérieure (CSI) impose que les missions en cause avec usage de drones avec captation d’images soient une de celles ci-dessous :

1° La prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés, en raison de leurs caractéristiques ou des faits qui s’y sont déjà déroulés, à des risques d’agression, de vol ou de trafic d’armes, d’êtres humains ou de stupéfiants, ainsi que la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords immédiats, lorsqu’ils sont particulièrement exposés à des risques d’intrusion ou de dégradation ;

2° La sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public ainsi que l’appui des personnels au sol, en vue de leur permettre de maintenir ou de rétablir l’ordre public, lorsque ces rassemblements sont susceptibles d’entraîner des troubles graves à l’ordre public ;

3° La prévention d’actes de terrorisme ;

4° La régulation des flux de transport, aux seules fins du maintien de l’ordre et de la sécurité publics ;

5° La surveillance des frontières, en vue de lutter contre leur franchissement irrégulier ;

6° Le secours aux personnes.

NB : avec quelques ajustements pour les douanes. 

I.. Encore faut-il bien sûr que ce recours soit, en tout état de cause, « proportionné au regard de la finalité poursuivie ».

Ces dispositifs ne peuvent permettre de « recueillir les images de l’intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées » (voir le III. de cet article sur ce point).

 

L’autorisation est subordonnée à une demande qui précise :

1° Le service responsable des opérations ;

2° La finalité poursuivie ;

3° La justification de la nécessité de recourir au dispositif, permettant notamment d’apprécier la proportionnalité de son usage au regard de la finalité poursuivie ;

4° Les caractéristiques techniques du matériel nécessaire à la poursuite de la finalité ;

5° Le nombre de caméras susceptibles de procéder simultanément aux enregistrements ;

6° Le cas échéant, les modalités d’information du public ;

7° La durée souhaitée de l’autorisation ;

8° Le périmètre géographique concerné.

 

Voyons quelques jurisprudences récentes, cela dit, pour aboutir à un paysage contrasté de la jurisprudence.

 

 

II. L’affaire de la surveillance de la frontière des Pyrénées

 

Car encore ne faut-il pas sous-estimer non plus les exigences du juge. Schématiquement : un usage ponctuel en raison d’un risque immédiat, OUI. Un usage permanent pour un risque permanent… NON sauf si on ne peut pas faire autrement. C’est ce qui a été posé par le juge des référés du TA de Pau dont l’ordonnance vient d’être confirmée par le Conseil d’Etat.

 

II.A. Position du juge des référés du TA de Pau

 

C’est la leçon à tirer d’une décision du TA de Pau. Par ordonnance du 13 juillet 2023, le juge des référés de ce tribunal, saisi par plusieurs associations de défense des droits des étrangers et des particuliers résidant sur les communes d’Hendaye et Urrugne, a en effet suspendu l’exécution de l’arrêté du 26 juin 2023 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques avait autorisé, jusqu’au 26 juillet 2023, la captation, l’enregistrement, et la transmission d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs afin de prévenir les franchissements irréguliers de la frontière franco-espagnole, sur les territoires des communes d’Hendaye et Urrugne.

Le préfet peut, certes, sur le fondement des dispositions de l’article L. 242-5 du code de la sécurité intérieure, autoriser les services de la police et de la gendarmerie nationale à recourir à des drones aux fins d’assurer la surveillance des frontières, en vue de lutter contre leur franchissement irrégulier. Toutefois, il doit s’assurer qu’aucun moyen moins intrusif au regard du respect de la vie privée ne peut être employé.

Le juge des référés a notamment considéré que le préfet n’établissait ni être dans l’impossibilité de recourir à des moyens moins intrusifs au regard du droit au respect de la vie privée et familiale des personnes, ni que l’usage de ce dispositif serait proportionné à la finalité de surveillance des frontières poursuivie, au regard notamment de la superficie de la zone géographique concernée, qui s’étend sur plus de 20 km² et recouvre une partie des territoires des communes d’Urrugne et Hendaye et de nombreuses maisons d’habitation.

Relevant par ailleurs l’existence d’une situation d’urgence au regard du nombre de personnes susceptibles de faire l’objet des mesures de surveillance en litige, et de l’atteinte que celles-ci étaient susceptibles de porter au droit au respect de la vie privée et familiale de personnes, le juge des référés a suspendu l’exécution de la décision attaquée.

Source :

TA Pau, ord., 13 juillet 2023, n°2301796 (à voir ici sur le site dudit TA)

 

 

 

II.B. confirmation au Conseil d’Etat

 

L’affaire est arrivée ensuite au Conseil d’Etat (toujours en référé liberté donc)  et, on le voit, le contrôle du juge reste poussé (sur le terrain de la proportionnalité, ce qui en ce domaine, comme pour toute mesure de police, est logique) :

 

« 6. Il résulte de l’instruction et des échanges au cours de l’audience publique que, si l’autorisation ne permet d’utiliser qu’un seul drone à la fois, son périmètre géographique, qui s’étend sur l’essentiel du territoire de la commune de Biriatou et sur une partie de ceux des communes d’Hendaye et d’Urrugne, recouvre une superficie de près de 20 km2 et comprend un grand nombre de maisons d’habitation. »

Là, déjà, cela commençait à sentir le sapin pour le drone.

Puis :

« 7. Le ministre de l’intérieur et des outre-mer soutient, d’une part, que cette mesure est nécessaire au regard de la hausse du nombre de franchissements illégaux de la frontière, d’autre part, qu’il n’existe pas de mesure moins intrusive, les effectifs de fonctionnaires affectés à la lutte contre l’immigration irrégulière clandestine ayant diminué depuis le début de l’année 2023, en raison de la moindre disponibilité des unités de CRS et de gendarmes mobiles mis à disposition de la direction interdépartementale de la police de l’air et des frontières, fréquemment affectés à d’autres missions, alors qu’une partie de la zone est d’un accès difficile, les sentiers utilisés ou les chemins situés à proximité n’étant pas entièrement carrossables, et les migrants s’en éloignant parfois pour échapper aux contrôles, et enfin que la mesure, notamment la délimitation de son périmètre géographique, est proportionnée compte tenu de ces caractéristiques. Ces appréciations sont contestées par l’association Avocats pour la défense des étrangers et autres, qui produisent des séries de données recueillies par une association sur l’accueil de migrants à proximité de la zone entre mars 2021 et mai 2023 faisant apparaître une baisse des flux et l’absence d’effets saisonniers notables, ainsi que les chiffres du centre d’accueil de migrants de la mairie de Bayonne, en baisse en 2023, et des indications sur les moyens matériels et humains déployés par la police de l’air et des frontières aux principaux points de passage de la zone et sur les sentiers concernés jusqu’à la date de la décision contestée, ainsi que sur l’accessibilité de ces sentiers. Les séries de données extraites du système PAFISA, relatives à l’activité de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Hendaye, compétente dans les départements des Pyrénées-Atlantiques et des Landes, et les éléments de contexte partiels présentés par le ministre, les uns et les autres pour la première fois à l’issue de l’audience, qui font apparaître, entre le premier semestre 2022 et le premier semestre 2023, une baisse de 6 154 à 3 481 du nombre de non-admissions à la frontière, une hausse de 206 à 366 du nombre de réadmissions par les autorités espagnoles et une hausse de 539 à 817 du nombre d’étrangers en situation irrégulière interpellés, ne permettent pas, en l’état de l’instruction, de confirmer l’existence de facteurs de hausse de l’activité surveillance des frontières en vue de lutter contre leur franchissement irrégulier. En outre le ministre n’apporte pas d’indication sur la part de ces flux qui se rapporte à la zone concernée par l’arrêté litigieux. En l’état de l’instruction, les données produites par l’administration sur les flux migratoires et les éléments fournis sur les caractéristiques géographiques de la zone concernée et sur les moyens qui y sont affectés à la lutte contre le franchissement irrégulier des frontières ne sont pas suffisamment circonstanciés pour justifier, sur la base d’une appréciation précise et concrète de la nécessité de la proportionnalité de la mesure, que le service ne peut employer, pour l’exercice de cette mission dans cette zone et sur toute l’étendue de son périmètre, d’autres moyens moins intrusifs au regard du respect de la vie privée que les mesures mentionnées au point 5, ou que l’utilisation de ces autres moyens serait susceptible d’entraîner des menaces graves pour l’intégrité physique des agents. Par suite, c’est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif de Pau a jugé que l’association Avocats pour la défense des étrangers et autres étaient fondés à soutenir que l’arrêté contesté portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée. »

 

Quand à l’urgence, elle est presque présumée en ce domaine :

« Sur la condition d’urgence :

« 8. L’urgence de la suspension de l’arrêté contesté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative doit être appréciée en tenant compte non seulement de ses effets sur les intérêts défendus par les requérants de première instance mais aussi de l’objectif de prévention des atteintes à l’ordre public auquel elle a pour objet de contribuer. Eu égard, d’une part, au nombre de personnes susceptibles de faire l’objet des mesures de surveillance litigieuses, d’autre part, aux atteintes qu’elles sont susceptibles de porter au droit au respect de la vie privée, et alors, ainsi qu’il a été dit au point 6, qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’objectif de prévention des atteintes à l’ordre public ne pourrait être atteint en recourant à des mesures moins intrusives au regard du droit au respect de la vie privée, ou que l’utilisation de ces autres moyens serait susceptible d’entraîner des menaces graves pour l’intégrité physique des agents, la condition d’urgence doit être regardée comme remplie.»

 

Source :

CE, ord., 25 juillet 2023, n° 476151

 

 

 

 

III. Le cas des surveillances anti-rodéos urbains

 

La même jurisprudence va à l’évidence s’appliquer aux surveillances, par drone, anti-rodéos urbains.

Avant l’ordonnance, n° 476151, précitée, du Conseil d’Etat, le juge des référés du TA de Toulouse avait rejeté la demande de suspension de l’exécution de l’arrêté du 16 mai 2023 du préfet de la Haute-Garonne autorisant la captation, l’enregistrement et la transmission d’images au moyen de drones lors de la survenue de rodéos urbains.

Un drone pouvait donc selon le juge toulousain jouer au cow-boy au dessus d’un rodéo urbain. Voici cette décision : TA Toulouse, ord., 24 mai 2023, n° 2302868.

Reste que :

  • ceci s’apprécie au cas par cas, à l’aune :
    • des dangers qu’il s’agit d’obvier
    • de la densité urbaine en cause (habitations)
    • de l’existence ou non de moyens moins intrusifs
  • ladite décision n° 476151 précitée est un petit tour de vis supplémentaire restreignant l’usage de cet outil, qui conduira sans doute les juges à plus de réserve face à celui-ci, par rapport aux ordonnances, assez nombreuses et conduisant rarement à la censure, du premier semestre 2023 dont deux ont été précitées.

 

A preuve cette ordonnance intéressante rendue par le juge des référés du TA de Nantes.

Par arrêté du 21 juillet 2023, le préfet de la Loire-Atlantique a autorisé la captation, l’enregistrement et la transmission d’images via un drone « au titre de la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés en raison de leurs caractéristiques ou de faits qui s’y sont déroulés » pour la période du 24 juillet 2023 au 6 août 2023 inclus, sur tout le territoire de la commune de Rezé.

Des requérants ont attaqué cet arrêté en référé liberté.

La condition d’urgence a été considérée comme remplie :

« eu égard, d’une part, au nombre de personnes susceptibles de faire l’objet des mesures de surveillance litigieuses, d’autre part, aux atteintes qu’elles sont susceptibles de porter au droit au respect de la vie privée, et alors […] qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’objectif de prévention des atteintes à l’ordre public ne pourrait être atteint en recourant à des mesures moins intrusives au regard du droit au respect de la vie privée, ou que l’utilisation de ces autres moyens serait susceptible d’entraîner des menaces graves pour l’intégrité physique des agents […] »

Sur la condition « tenant à l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale », le juge des référés de ce TA , le juge pose que  :

« 5. D’abord, il résulte de l’instruction et des échanges au cours de l’audience publique que, si l’autorisation en litige ne permettrait, selon le préfet de la Loire-Atlantique, d’utiliser qu’un seul drone à la fois, son périmètre géographique, qui s’étend sur l’essentiel du territoire de la commune de Rezé recouvre une superficie de près de 14 km2 et comprend un grand nombre de maisons d’habitation. S’il a été indiqué dans les écritures du préfet et à l’audience, par le conseil de la préfecture sans que ceci ne soit corroboré par le moindre élément tangible, que le drone ne serait utilisé que si des ” rodéos urbains ” étaient en cours, pendant une courte durée, cela ne ressort pas de l’arrêté qui se borne à indiquer dans son article 1er le recours au drone du ” lundi 24 juillet 23023 au dimanche 6 août inclus “. Aucune autre pièce du dossier ne vient l’établir ni même en donner le moindre commencement d’explication.
« 6. Ensuite, le préfet de la Loire-Atlantique soutient que cette mesure est nécessaire au regard de la hausse du nombre de ” rodéos urbains ” sur la commune de Rezé et qu’il n’existe pas de mesure moins intrusive. Ces éléments sont avancés de manière vague dans l’arrêté en cause et ne sont étayés par aucune donnée chiffrée ou statistique, ni par aucun travail de documentation qui permettraient au juge d’apprécier la réalité de ce phénomène, son ampleur, ses caractéristiques, les dommages aux biens et aux personnes qui ont pu être causés par le passé. Le préfet de la Loire-Atlantique se bornant, pour justifier de cette nécessité, à produire un article du journal Ouest-France évoquant un ” rodéo urbain ” sur la commune de Rezé au mois de juillet 2023. De la même façon, alors que ce point est contesté par les requérants, il n’est apporté aucun élément dans l’arrêté attaqué, ni même à l’audience, sur les raisons qui permettraient de comprendre pourquoi les techniques de vidéo-surveillance en œuvre à Rezé, la présence des forces de l’ordre, ne permettraient pas d’empêcher les rodéos urbains ou au moins, puisque c’est l’objectif avancé à l’audience du recours au drone, empêcheraient l’interpellation des pratiquants de ces rodéos par les moyens déjà en place sur la commune de Rezé. L’article du journal Ouest-France mentionné précédemment produit par le préfet laissant d’ailleurs apparaître que l’interpellation du contrevenant au code de la route, lors de ce ” rodéo urbain “, s’est faite sans l’intervention d’un drone. Egalement, il convient de relever que si le préfet de la Loire-Atlantique a indiqué comment le drone pourrait permettre aux forces de l’ordre de réguler la circulation des autres automobilistes pendant un ” rodéo urbain “, aucune information n’a pu être donnée sur la vitesse avec laquelle le drone pourrait être mobilisé par les forces de l’ordre à cette fin, et donc la pertinence de son utilisation dans ce cadre, la durée pendant laquelle il pourrait être utilisé, quels seraient ses avantages du recours à celui-ci, en quoi il permettrait une meilleure garantie de l’ordre publique par rapport aux moyens existants.
« 7. Enfin, l’arrêté en cause indique également de manière tautologique que ” les lieux surveillés sont strictement limité au secteur lié à l’opération et à ses abords “. Comme cela ressort de la carte produite en annexe de l’arrêté, toute la ville de Rezé sera possiblement sous surveillance du drone sans que la moindre explication ne soit donnée sur les raisons de la taille de la zone à surveiller, alors pourtant que l’arrêté mentionne que des ” rodéos urbains ” sont amenés à se produire uniquement sur le secteur Rezé-Château.
« 8. En l’état de l’instruction, les données produites par l’administration sur les ” rodéos urbains ” à Rezé et les éléments fournis sur, les caractéristiques géographiques de la zone concernée et sur les moyens qui sont affectés à la lutte contre ceux-ci ne sont pas suffisamment circonstanciés pour justifier, sur la base d’une appréciation précise et concrète de la nécessité de la proportionnalité de la mesure. Aucun élément, comme il été dit ne permet de comprendre pourquoi le service ne peut employer, pour l’exercice de cette mission dans cette zone et sur toute l’étendue de son périmètre, d’autres moyens moins intrusifs au regard du respect de la vie privée que les moyens habituellement mis en œuvre pour lutter contre ces ” rodéos urbains “, comme les caméras de vidéo-surveillance ou que l’utilisation de ces autres moyens seraient susceptibles d’entraîner des menaces graves pour l’intégrité physique des agents. »

Il est à retenir, donc, que le Préfet aurait donc du pour sauver de la censure son arrêté :

  • trouver plus de preuves des risques
  • démontrer la dangerosité réelle des solutions alternatives (le problème étant que ce n’est pas la surveillance qui est dangereuse pour les agents, mais l’interpellation, le plus souvent, en pratique)
  • sans doute limiter plus géographiquement son arrêté (quitte à en prendre un autre si les lieux où se pratiquent les rodéos urbains se déplacent)
  • être plus précis sur l’objet de ladite surveillance dans cet arrêté 

 

Ces leçons seront importantes pour les arrêtés à venir et pour les futurs contentieux…

Source :

TA Nantes, ord., 2 août 2023, 2310969

 

NB : une solution pour faire peur aux amateurs de rodéos urbains, le drone de poursuite (façon Scooby-doo) en lieu et place du drone de surveillance :

 

IV. Le cas des manifestations ou des lieux propices à celles-ci

 

Les manifestations, plus ponctuelles, donnent à l’évidence lieu à une plus grande compréhension du juge, au moins du premier degré. Ainsi a-t-on appris :

  • que l’usage de drones était validé par le juge pour sécuriser le sommet « Choose France » du lundi 15 mai 2023. Voir :
  • que le juge des référé du TA de Strasbourg validait aussi le recours à cet outil dans la perspective de la manifestation «contre la loi retraites» prévue à Strasbourg le jour même, à savoir le mardi 06 juin 2023 (nous avons l’information, mais pas l’ordonnance).

 

 

Le TA de Toulouse (toujours lui), a de nouveau eu à connaître d’un tel contentieux. Il s’agit cette fois de la surveillance du chantier de l’autoroute A69.

 

Les deux arrêtés préfectoraux ont été pris sur le fondement des articles L. 242-1 et suivants du code de la sécurité intérieure, qui autorisent, sous certaines conditions, la captation, l’enregistrement et la transmission d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs aux fins d’assurer, notamment, la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés, en raison de leurs caractéristiques ou des faits qui s’y sont déjà déroulés, à des risques d’agression ou de vol ainsi que la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords immédiats, lorsqu’ils sont particulièrement exposés à des risques d’intrusion ou de dégradation.

Les requérants ont attaqué un arrêté qui avait été entièrement exécuté, ce qui a entraîné le rejet, faute d’urgence, de leur requête. Certes.

Source : TA Toulouse, ord., 5 septembre 2023, n° 2305274

Mais l’autre recours portait, lui, sur un arrêté en cours d’exécution.

Et le juge des référés a néanmoins rejeté ce recours car :

  • la circonstance que l’arrêté aurait été insuffisamment motivé, qu’il n’aurait pas précisé les critères autorisant l’enregistrement des images captées ou qu’aucune doctrine d’emploi n’aurait préalablement été transmise à la Commission nationale Informatique et Libertés (CNIL), n’est pas de nature à caractériser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
  • compte tenu des dégradations, actes de sabotage, vols et menaces portés à l’encontre du chantier et des ouvriers, et alors que des individus qui tentaient de s’installer dans les arbres devant être abattus ont été interpellés les jours précédents, c’est sans erreur d’appréciation que l’administration a considéré qu’il existait un risque sérieux d’atteinte à la sécurité des personnes et des biens pendant la période considérée de réalisation des travaux justifiant le recours à la captation d’images par des aéronefs.
  • le groupement départemental de gendarmerie du Tarn ne dispose pas des effectifs suffisants pour assurer la protection, de jour comme de nuit, des différentes zones de chantier de l’autoroute A69, dont le tracé s’étend sur plus de 50 kilomètres.
  • le recours aux drones a été limité dans le temps et dans l’espace, et n’a pas pour objet une surveillance permanente mais seulement ponctuelle, à la demande des forces de l’ordre.

Dans ces conditions, l’autorisation accordée n’a pas été regardée comme manifestement disproportionnée. Et cette ordonnance illustre de manière claire les périls, les difficultés matérielles et l’encadrement strict de l’usage de ces outils qui peuvent permettre d’en sécuriser la légalité, pour l’Etat.

Source :

TA Toulouse, ord., 5 septembre 2023, n° 2305272

 

 

 

V. Le cas du marché de Noël de Strasbourg

 

 

Le marché de Noël de Strasbourg, dit Christkindelsmärik, se tient depuis plusieurs siècles dans cette ville qui se décrit comme la « capitale de Noël ».

Organisée chaque année pendant une période de plusieurs semaines précédant la fête chrétienne de Noël, cette manifestation s’étend sur une grande partie du centre-ville de Strasbourg et engendre une affluence attendue entre 2 et 3 millions de visiteurs venant du monde entier.

Dans un contexte d’attentats terroristes ayant déjà frappé la ville de Strasbourg en période de marché de Noël (un attentat déjoué en 2000, un attentat en 2018 ayant causé la mort de cinq personnes, arrestation en 2019 de deux individus faisant l’apologie du terrorisme), et du récent relèvement du niveau de risque terroriste sur l’ensemble du territoire national, la préfète du Bas-Rhin a autorisé les forces de l’ordre à recourir à la surveillance par drone, par un arrêté du 15 novembre 2023.

Saisi en urgence par des particuliers, dont des avocats exerçant leur profession dans le périmètre concerné par l’arrêté préfectoral, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de suspension de cet arrêté.

Il a estimé que, compte-tenu également de l’ampleur de la zone à sécuriser, de l’affluence attendue et de la configuration particulière des lieux comprenant de nombreuses rues étroites, ces circonstances justifiaient un déploiement particulier de forces de sécurité, complété par l’utilisation de deux drones, qui permettront de déceler plus rapidement les mouvements anormaux de foule et d’orienter les interventions des forces de l’ordre de manière plus rapide et pertinente dans un souci de meilleure protection des visiteurs du marché.

Le juge a également souligné, en réponse aux craintes soulevées par les requérants de détournement des images enregistrées, qu’en dehors de ces objectifs de maintien de l’ordre, l’utilisation des images à d’autres fins était strictement prohibée, à l’exception de la découverte, de manière fortuite, d’une infraction pénale dont la gravité imposerait un signalement au procureur de la République.

Le juge a enfin considéré que les modalités technique d’emploi des drones n’étaient pas disproportionnées à l’objectif poursuivi de sécurité publique. Notamment, compte tenu du fait que les drones voleront entre une hauteur de 120 et 300 mètres, sans possibilité de visualiser et d’identifier les visages en raison de la pixellisation des images, le juge n’a pas retenu d’atteinte grave et manifestement illégale à la vie privée ou… moyen plus nouveau, au secret couvrant la profession d’avocat.

Voici cette décision :

TA de Strasbourg, ord., 23 novembre 2023, n°2308339

 

 

Le 12 décembre 2023, le Conseil d’Etat a validé cette ordonnance.

Le juge des référés de la Haute Assemblée commence par rappeler que l’on doit au cas par cas juger de la proportionnalité du recours à cet outil, à l’aune des règles ici rappelées :

9. Le respect de l’ensemble de ces dispositions, dans le cadre d’une autorisation reposant sur une appréciation précise et concrète, au cas par cas, de la nécessité et de la proportionnalité du recours au traitement considéré, assure la conformité d’un tel recours aux exigences du droit au respect de la vie privée, et à celles des articles 4, 5, 6, 87 et 88 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, interprétées à la lumière des articles 4, 5, 8 et 10 de la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, qui subordonnent le traitement de données personnelles par ces autorités à la nécessité d’un tel traitement pour l’exécution d’une mission effectuée à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, y compris la protection contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces et, s’agissant des données personnelles sensibles mentionnées au I de l’article 6 de la loi du 6 janvier 1978, à la nécessité absolue d’un tel traitement, sous réserve de garanties appropriées pour les droits et libertés de la personne concernée. Ce respect s’apprécie décision d’autorisation par décision d’autorisation.

Sur la condition tenant à l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

« il résulte de l’instruction et des échanges au cours de l’audience publique, d’une part, que la manifestation concernée a été, eu égard à sa notoriété et à son exposition médiatique, visée à plusieurs reprises au cours des dernières années par des projets d’attentats et qu’un acte terroriste a fait plusieurs victimes en 2018, ainsi qu’il a été rappelé au point 10. Eu égard à l’ampleur de la zone à sécuriser, à l’affluence qui découle de cet évènement, et à la configuration particulière des lieux, caractérisée à proximité du marché de Noël par de nombreuses ruelles étroites qui ne sont que partiellement équipées de caméras de vidéo-surveillance, et à la nécessité pour les services de police de disposer d’une vision globale permettant, d’une part, de déceler rapidement tout mouvement de foule anormal, et, d’autre part, d’être en capacité d’orienter précisément les interventions des services de sécurité en vue d’assurer la sécurité des visiteurs, le ministre de l’intérieur et des outre-mer doit être regardé comme établissant, dans les circonstances particulières de l’espèce et compte tenu du niveau très élevé de la menace terroriste, confirmé récemment par l’attentat du 2 décembre 2023 à Paris, que le recours à ces dispositifs autorisé par l’arrêté préfectoral contesté constitue une nécessité pour atteindre ces objectifs.»

Sur l’argument des possibles moyens moins intrusifs :

« 13. En troisième lieu, si les requérants soutiennent que l’objectif d’assurer la sécurité des personnes et des biens et de prévenir la menace terroriste durant la période au cours de laquelle se déroule cette manifestation pourrait être atteint au moyen de dispositifs moins intrusifs, tels que les caméras de vidéo-surveillance installées sur la voie publique, et que le recours aux caméras installées sur des aéronefs aéroportés présenterait un caractère disproportionné en ce qu’il permet l’identification des personnes filmées et la constatation d’infractions, il résulte de l’instruction et des échanges au cours de l’audience publique que, compte tenu des règles de sécurité applicables à ce type d’aéronefs, les deux  » drones  » dont le déploiement a été autorisé au cours de la période comprise entre le 24 novembre et le 24 décembre 2023 ne peuvent évoluer à une altitude inférieure à 120 mètres. Ils ne sont utilisés que durant les horaires d’ouverture du marché de Noël et ce, dans les zones les plus fréquentées à l’occasion de cette manifestation. Compte tenu de leur autonomie de vol limitée à deux heures et du nombre restreint de personnes habilitées à les piloter, ils ne sont pas susceptibles de procéder à une captation d’images en continu. Ils ne peuvent par ailleurs être utilisés en vue de capter des sons ou de recourir à un traitement automatisé de reconnaissance faciale, ni à des rapprochements avec des traitements de données à caractère personnel. En outre, si le périmètre dans lequel la surveillance est autorisée s’étend, ainsi qu’il a été dit au point 4, au-delà de la zone au centre-ville dans laquelle se déroulent les animations liées au marché de Noël, cette extension est justifiée par la nécessité de pouvoir disposer d’une vue d’ensemble des mouvements de foule dans les zones dans lesquels les risques sont les plus élevés, lesquelles incluent les secteurs des Halles, ainsi que les accès en transports en commun par la gare SNCF et la gare routière. Enfin, la circonstance que le constat, à l’occasion de l’emploi de ces dispositifs, d’une infraction pénale, doive, conformément à l’article 40 du code de procédure pénale, faire l’objet d’un signalement à l’autorité judiciaire, et que les enregistrements conservés puissent, dans la limite des durées prévues par la loi, être transmis à celle-ci dans les conditions prévues par les articles L. 242-4 et L. 242-5 du code de la sécurité intérieure cités au point 6, n’est pas de nature à méconnaître les finalités strictement définies par ces dispositions. Dans ces conditions, eu égard à l’importance et au caractère avéré des risques encourus ainsi qu’aux finalités poursuivies, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les mesures de surveillance contestées présenteraient un caractère manifestement disproportionné ou méconnaîtraient les exigences du droit au respect de la vie privée, tel que protégé par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.»

Ensuite sont rejetés pour absence de preuve les allégations d’utilisation non conforme en l’espèce (points 14 et 15) ou le moyen tiré d’une publicité insuffisante (point 16).

Source :

Conseil d’État, ord., 12 décembre 2023, n° 489923

 

VI. Les manifestations d’agriculteurs… avec l’intéressante question du point de savoir si indiquer tous les lieux de manifestation à venir suffit, ou non, à définir de manière assez précise le périmètre de surveillance au regard des exigences de l’article L. 242-5 du CSI

 

Même mode d’emploi mais avec, cette fois, les manifestations d’agriculteurs de janvier 2024.

Par un arrêté du 24 janvier 2024, le préfet de la Somme a autorisé les forces de sécurité intérieure du département à mettre en œuvre des moyens de captation, d’enregistrement et de transmission d’images par des aéronefs, du 24 au 29 janvier 2024, en vue d’assurer la sécurité lors des manifestations des agriculteurs sur la voie publique.

La Somme est un département très rural avec, sans doute, des moyens en effectifs de forces de l’Ordre très inférieurs au nombre de membres du monde agricole mobilisables.

D’où la décision du Préfet.

Estimant que l’arrêté préfectoral portait atteinte à la protection de la vie privée, qui constitue une liberté fondamentale, l’association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO) et la ligue des droits de l’Homme (LDH) ont saisi le tribunal administratif le 27 janvier 2024 d’un référé-liberté, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

La mesure envisagée était-elle disproportionnée ? La question était intéressante. Mais ce n’est pas celle qui a été tranchée en l’espèce. 

Car le juge des référés a censuré l’arrêté en amont de cette phase : il a jugé que l’arrêté contesté du préfet de la Somme ne définissait pas de manière précise le périmètre de surveillance par les drones. Il se limitait à retenir un périmètre défini de manière générale par l’ensemble des manifestations des agriculteurs se déroulant dans le département de la Somme au cours de la période comprise entre les 24 et 29 janvier 2024 sans que la localisation précise ne soit préalablement circonscrite.

Compte tenu de ces éléments, le juge des référés a, par conséquent, suspendu l’arrêté préfectoral avec effet immédiat.

 

Source :

Ordonnance du juge des référés du tribunal administratif d’Amiens n°2400316, 28 janvier 2024