Couvre-feu des mineurs : un état du droit au 25 mai 2024 (ord. CE 10/5/24 ; ord. TA Montpellier 15/5/24 ; ord. TA Nice 24/5/24] [ARTICLE et VIDEO]

A jour au 25 mai 2024

 

Les pouvoirs de police administrative, avec ses critères usuels de légalité (I.) donnent lieu à une déclinaison particulière quant il s’agit de couvre-feu des mineurs (II.).

Or, il est intéressant, surtout maintenant, de prendre connaissance de la validation, par le Conseil d’Etat d’un arrêté préfectoral, prévoyant un couvre-feu assez vaste et assez long (un mois), dans des quartiers de deux communes guadeloupéennes (III.).

En effet, si le mode d’emploi de cette ordonnance du Conseil d’Etat reste d’une facture tout à fait classique, cette décision présente trois intérêts pratiques :

  • le juge reste exigeant dans la production de statistiques mais il n’a pas en l’espèce imposé qu’elles soient quartier par quartier, semble-t-il
  • les formulations retenues rendent cet outil potentiellement complémentaire à d’autres actions de police massives (comme celle opérée récemment à Marseille)…
  • le Conseil d’Etat rappelle ainsi le cadre général en ce domaine au moment où se multiplient les arrêtés municipaux en ce domaine.

Ce mode d’emploi se trouve appliqué, de manière plus souple encore peut-être, par le juge des référés du TA de Montpellier, au terme d’une ordonnance rendue le 14 mai 2024, puis par le TA de Nice le 24 mai 2024 (IV.).

Ce qui peut être aussi appréhendé via notre vidéo de mai 2024 (V.).


 

I. Rappels généraux sur les pouvoirs de police administrative

 

Les principes, en matière de pouvoirs de police restent ceux posés par le commissaire du Gouvernement Corneille (sur CE, 10 août 1917, n° 59855) : « La liberté est la règle et la restriction de police l’exception».
Il en résulte un contrôle constant et vigilant, voire sourcilleux, du juge administratif dans le dosage des pouvoirs de police en termes :

  • de durée (CE Sect., 25 janvier 1980, n°14 260 à 14265, Rec. p. 44) ;
  • d’amplitude géographique (CE, 14 août 2012, n° 361700) ;
  • de contenu même desdites mesures (voir par exemple CE, Ass., 22 juin 1951, n° 00590 et 02551 ; CE, 10 décembre 1998, n° 107309, Rec. p. 918 ; CE, ord., 11 juin 2012, n° 360024…).

Autrement posé, l’arrêté est-il mesuré en termes : de durée, de zonages et d’ampleur, en raison des troubles à l’Ordre public, à la sécurité ou la salubrité publiques, supposés ou réels qu’il s’agit d’obvier.

NB : pour des cas d’application aux dissolutions de groupements de fait, cf. notre articleDissolutions d’associations ou de groupements de faits : le Conseil d’Etat affine sa partition juridique classique, sur fond de bruits médiatiques (CE, ord., 9 novembre 2023, LES SOULEVEMENTS DE LA TERRE, EUROPE ECOLOGIE LES VERTS et autres, n° 476384 et suivants ; CE, ord., 9 novembre 2023, M. D… et autres (GALE antifas de Lyon), n°464412 ; CE, ord., 9 novembre 2023, M. A. (groupement de fait « l’Alvarium »), n°460457 ; CE, ord., 9 novembre 2023, ASSOCIATION COORDINATION CONTRE LE RACISME ET L’ISLAMOPHOBIE, n° 459704, 459737)

Ajoutons qu’en des temps troublés covidiens, il a plu au juge d’ajouter une possibilité de modulation des découpages opérés en termes de pouvoirs de police en fonction d’un autre critère : celui de l’intelligibilité ( fin du point 6 de CE, ord., 11 janvier 2022, n°460002 ; voir aussi CE, ord., 11 janvier 2022, n°460002). 

 

 

II. Application aux arrêtés en matière de couvre-feu des mineurs

 

NB : cette sous-partie reprend certains éléments d’articles que j’ai écrit pour diverses revues ou sites (notamment celui-ci).

 

II.A. Une déclinaison de la trilogie traditionnelle en matière de pouvoirs de police (durée, danger ; proportionnalité), avec des décisions fondatrices en 2001

 

En matière de couvre-feu des mineurs, le Conseil d’Etat avait indiqué comment décliner cette trilogie aux autorités municipales en mal de prise d’arrêté de police :

  • durée limitée à certaines périodes et heures de manière proportionnée ;
  • application uniquement aux quartiers ayant une délinquance ou une dangerosité particulières
  • et le couvre-feu des mineurs doit être limité, raisonnable, en termes d’âge et de mesures alors prises pour les contrevenants (raccompagnement chez les parents et non immédiatement au poste de police municipale par exemple)

 

Les standards ont été forgés par l’ordonnance rendue (symboliquement par M. Labetoulle lui-même) par le Conseil d’Etat dans une ordonnance rendue le 9 juillet 2001 (CE, n° 235638 ; voir ici un lien étrangement incomplet vers Légifrance).

Le maire d’Orléans de l’époque avait pris un arrêté de couvre-feu de mineurs. Cet arrêté était triplement limité : — temporellement (interdiction pour la période du 15 juin au 14 septembre 2001, entre 23 heures et 6 heures),

  • géographiquement (application dans une partie limitée du territoire de la commune où le maire faisait état de difficultés particulières),
  •  et matériellement (application aux mineurs de moins de treize ans non accompagnés d’une personne majeure et prévoyant qu’un mineur méconnaissant cette interdiction pourra « en cas d’urgence, être reconduit à son domicile par des agents de la police nationale ou de la police municipale, [lesquels] informeront sans délai le procureur de la République de tous les faits susceptibles de donner lieu à l’engagement de poursuites ou à la saisine du juge des enfants»).

Le juge administratif a validé ce régime dans son principe, non sans s’être assuré que les « mesures contenues dans l’arrêté municipal ne méconnaissent par elles-mêmes ni les dispositions du Code de procédure pénale relatives aux contrôles d’identité ni, dès lors qu’elles ne sont applicables qu’en cas d’urgence, celles de l’exécution forcée».

Le juge des référés du Conseil d’Etat avait estimé qu’en édictant ces dispositions le maire avait :

« entendu essentiellement contribuer à la protection des mineurs de moins de treize ans contre les dangers auxquels ils sont tout particulière- ment exposés aux heures et dans les lieux mentionnés dans l’arrêté, et qui tiennent tant au risque d’être personnellement victimes d’actes de violence qu’à celui d’être mêlés, incités ou accoutumés à de tels actes».

Et le juge des référés de balayer les arguments de la requête fondés sur le Code civil.

Et pourtant, cet arrêté orléanais fut censuré. Car « la légalité de mesures restreignant à cette fin la liberté de circulation des mineurs est toutefois subordonnée à la double condition qu’elles soient justifiées par l’existence de risques particuliers dans les secteurs pour lesquels elles sont édictées et qu’elles soient adaptées par leur contenu à l’objectif de protection pris en compte».

Et, en l’espèce, à Orléans en 2001, il n’était pas établi « que dans le quatrième secteur délimité par l’arrêté litigieux les mineurs de moins de treize ans [fussent alors] exposés à des risques justifiant l’édiction de mesures restreignant leur liberté de circulation».

 

II.B. Confirmations ultérieures, avec des difficultés pour les maires, parfois, à prouver le niveau de danger (au moins zone par zone)

 

Cette décision n° 235638, importante, du Conseil d’Etat, rendue le 9 juillet 2001 n’a cessé d’être confirmée depuis, avec presque toujours un obstacle justement sur la difficulté, pour les maires, à justifier des zones géographiques concernées :

  • CE, ord. 10 août 2001, n° 237008, le maire de la commune de Meyreuil (moins de 5 000 âmes à l’époque des faits) peinait à justifier de son arrêté de couvre-feu alors que « les plaintes invoquées par la commune [concernaient] essentiellement des nuisances sonores imputables à des jeux de ballon nocturnes et à des véhicules à moteur» ;
  • CE, ord. 10 août 2001, n° 237047 : idem pour le maire d’Yerres en l’état de « l’absence de justification sérieuse pour appliquer cette réglementation hors du territoire urbanisé de la commune».
  • avec prise en compte de la gravité du risque, mais aussi en mettant celle-ci en miroir de la durée de l’interdiction (CAA Marseille, 13 septembre 2004, n° 01MA02568), le juge ne censurant pas dans son principe un arrêté pluriannuel dès lors que les périodes de couvre-feu sont, elles, encadrées et proportionnées temporellement (CE, ord. 30 juillet 2001, n° 236657).

Mais certains maires ont pu justifier de ces difficultés et dès lors obtenir que leur arrêté ne soit pas suspendu et/ou annulé. Par exemple (pour citer le résumé du recueil Lebon), le maire d’Etampes interdisait « pour la période du 6 juillet au 6 septembre 2001, et sur tout le territoire de la commune, entre 22 heures et 6 heures, la circulation des mineurs de moins de treize ans non accompagnés d’une personne majeure et prévoyant qu’un mineur méconnaissant cette interdiction pourra ‘en cas d’urgence, être reconduit à son domicile par des agents de la police nationale, (lesquels) informeront sans délai le procureur de la République de tous les faits susceptibles de donner lieu à l’engagement de poursuites ou à la saisine du juge des enfants».

Cet arrêté n’a pas été censuré par le Conseil d’Etat et cette décision était très intéressante :

  • Sur le critère temporel, il est intéressant de noter que le juge administratif a fixé vraiment le début de la période de couvre-feu à 23 heures, avec néanmoins une application souple pour le maire repentant :
    • « S’il paraît excessif par rapport aux fins poursuivies que l’interdiction de circulation commence dès 22 heures, il n’y a cependant pas lieu de suspendre, en tant qu’il concerne la zone urbaine, l’exécution de l’arrêté susmentionné, dès lors que le maire s’est engagé devant le juge des référés à le modifier pour repousser de 22 à 23 heures le début de la période nocturne réglementée ».
  • Sur la gravité de la mesure et son encadrement géographique, le juge a, dans cette affaire, accepté un encadrement géographique un peu large en raison des déplacements des délinquants, d’une part, et du sérieux des risques évoqués, d’autre part. Et le juge de noter qu’il :
    • « résulte des pièces du dossier, et notamment du contrat local de sécurité de la ville d’Etampes, d’une part que le taux général de délinquance et spécialement ce- lui de la délinquance des mineurs sont élevés dans cette ville et d’autre part que l’insécurité qui en résulte concerne aussi bien le centre ville que les quartiers périphériques (Guinette, Saint-Michel, Saint-Martin, Saint-Pierre). Si les cités de Guinette, Croix de Venailles, Emmaüs et les alentours des deux gares du RER semblent particulièrement sensibles, la taille réduite de cette ville de 22 000 habitants et la grande mobilité des bandes de délinquants ren- draient irréaliste une réglementation limitée à ces seules fractions de quartiers. Même s’il n’est pas établi que la délinquance soit spécifiquement imputable aux mineurs de treize ans, il reste que la protection de ces mineurs justifie des mesures destinées à prévenir les risques qu’ils encourent en circulant seuls la nuit dans la ville. Ces mesures sont adaptées aux circonstances »

Source : CE, ord., 27 juillet 2001, n° 236489, aux tables.

 

Autre affaire intéressante : par deux arrêtés successifs, le maire de Béziers avait interdit la circulation des mineurs de treize ans non accompagnés d’une personne majeure, de 23 heures à 6 heures du matin, dans le centre-ville et une zone spéciale de sécurité.

Bon prince, le tribunal administratif de Montpellier puis, à un détail, près, la CAA, avaient validé cet arrêté (TA Montpellier, 22 juin 2016, n° 1402956, 1403294 et 1403605 ; CAA Marseille, 20 mars 2017, LDH, n° 16MA03385).

Puis l’affaire arriva devant le Conseil d’Etat qui rappela que :

« la légalité de mesures restreignant à cette fin la liberté de circulation des mineurs est subordonnée à la condition qu’elles soient justifiées par l’existence de risques particuliers de troubles à l’ordre public auxquels ces mineurs seraient exposés ou dont ils seraient les auteurs dans les secteurs pour lesquels elles sont édictées, adaptées à l’objectif pris en compte et proportionnées».

Avec une exigence renouvelée, du juge, que la commune apporter des éléments de preuve quant à la réalité desdits troubles à l’ordre public, la Haute Assemblée estimant qu’il

« ne ressort par les documents produits par la commune de Béziers ni que la mise en cause des mineurs de treize ans présente un niveau particulièrement élevé dans les zones concernées par l’arrêté attaqué, ni que l’augmentation de la délinquance constatée dans ces zones se soit accompagnée d’une implication croissante de ces mineurs. Illégalité de la mesure, en l’absence d’éléments précis et circonstanciés de nature à étayer l’existence de risques particuliers relatifs aux mineurs de moins treize ans dans les zones concernées».

Source : CE, 6 juin 2018, 410774.

Depuis, les jurisprudences se suivent en ce domaine, avec schématiquement le même mode d’emploi, et parfois des censures partielles.

A titre d’illustration  : TA de Cergy-Pontoise, 26 août 2019, LDH, n°1910034 et n°1910057 (2 espèces différentes) ; CAA Marseille, 19 décembre 2022, n° 21MA04235

NB : sur le couvre-feu propre aux périodes de pandémie, voir  ici pour un article faisant le point sur les arrêtés municipaux, et voir pour des articles et jurisprudences portant plus largement sur le sujet, y incluant les cas où c’est l’Etat qui adoptait les arrêtés querellés.   

 

Quick et Flupke avec le policier, fresque à Bruxelles ; Stefflater (Wikipedia)

 

 

III. Validation par le Conseil d’Etat d’un arrêté préfectoral, prévoyant un couvre-feu assez vaste et assez long (un mois), dans des quartiers de deux communes guadeloupéennes.

 

III. A. Derrière une ordonnance très classique…

 

Le préfet de la Guadeloupe a adopté, en avril 2024 un arrêté portant couvre-feu, pour une durée d’un mois, pour les mineurs dans plusieurs secteurs des communes des Abymes et de Pointe-à-Pitre.

Tant le juge des référés du TA que celui du Conseil d’Etat, en référé liberté, ont rejeté un recours (des recours pour le TA ; un recours pour le CE) contre cet arrêté.

Le Conseil d’Etat commence par reprendre le principe de base :

« 2. Ni les pouvoirs de police générale que l’Etat peut exercer en tous lieux vis-à-vis des mineurs, ni l’article 371-1 du code civil selon lequel la santé, la sécurité et la moralité de l’enfant sont confiées par la loi à ses parents, qui ont à son égard droit et devoir d’éducation, ni les articles 375 à 375-9 du même code selon lesquels l’autorité judiciaire peut, en cas de carence des parents et si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur sont en danger, prononcer des mesures d’assistance éducative, ni, enfin, l’article L. 132-8 du code de la sécurité intérieure qui prévoit la possibilité pour le représentant de l’Etat dans le département de prendre des mesures restreignant la liberté d’aller et de venir des mineurs de treize ans la nuit en cas de risque manifeste pour leur santé, leur sécurité, leur éducation ou leur moralité ne font obstacle à ce que, tant pour contribuer à la protection des mineurs que pour prévenir les troubles à l’ordre public qu’ils sont susceptibles de provoquer, l’autorité investie du pouvoir de police générale découlant des articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales en fasse usage, en fonction de circonstances locales particulières. Toutefois, la légalité de mesures restreignant à cette fin la liberté de circulation des mineurs est subordonnée à la condition qu’elles soient justifiées par l’existence de risques particuliers de troubles à l’ordre public auxquels ces mineurs seraient exposés ou dont ils seraient les auteurs dans les secteurs pour lesquels elles sont édictées, adaptées à l’objectif pris en compte et proportionnées.»

 

III.B. … se trouvent trois intérêts pratiques :
1/ le juge reste exigeant dans la production de statistiques mais il n’a pas en l’espèce imposé qu’elles soient quartier par quartier, semble-t-il ;
2/
les formulations retenues rendent cet outil potentiellement complémentaire à d’autres actions de police massives (comme celle opérée récemment à Marseille) ;
3/
le Conseil d’Etat rappelle ainsi le cadre général en ce domaine au moment où se multiplient les arrêtés municipaux en ce domaine.

 

Au total cet arrêté a été validé par le juge des référés du Conseil d’Etat, au moins à l’aune de ce qu’est un référé liberté.

Mais on le voit, c’est parce que l’Etat semble avoir bien apporté des éléments de preuves zone par zone (ou plutôt commune par comme, plus que zone par zone, et cela aurait pu être un point de fragilité, mais le Conseil d’Etat n’en a pas tenu rigueur au Préfet) :

« 3. Il résulte des données chiffrées versées à l’instruction par le ministre, qui ne sont pas sérieusement contestées par la requérante, que les faits de délinquance générale sont en augmentation significative sur le territoire de la Guadeloupe, cette hausse étant de 18 % entre le premier trimestre 2023 et le premier trimestre 2024 pour ce qui concerne les zones de compétence de la police nationale. Entre ces deux mêmes périodes, les infractions à la législation sur les stupéfiants ont progressé de 59 %, les faits de port ou détention d’arme prohibée de 9 % et les atteintes aux biens de 30 %. Le nombre de mineurs mis en cause pour ces différentes infractions a crû de 35 %. S’agissant plus particulièrement des communes de A… et des Abymes, l’augmentation des faits de délinquance générale entre le premier trimestre de 2023 et le premier trimestre de 2024 est, respectivement, de 19 % et 26 %, celle des infractions à la législation sur les stupéfiants de 54 % et 89 % celle des faits de port ou détention d’arme prohibée de 11 % et 46 % et celle des atteintes aux biens de 35 % pour chacune des deux communes. Le nombre de mineurs mis en cause dans ces différentes infractions a progressé, entre ces deux mêmes périodes, de 53 % à A… et de 50 % aux Abymes. Il résulte également des données chiffrées produites par le ministre que plus de 40 % des faits de délinquance commis par des mineurs à A… et aux Abymes le sont entre 19h15 et 2h du matin.
« 
4. Compte tenu des éléments rappelés au point précédent, la mesure d’interdiction temporaire de circulation entre 20 heures et 5 heures du matin, dans certains quartiers de A… et des Abymes, des mineurs non accompagnés d’un parent ou d’un adulte exerçant l’autorité parentale apparaît justifiée au regard des troubles à l’ordre public que constituent la hausse de la délinquance et les dangers que cette hausse fait courir aux mineurs qui y sont impliqués, et ce alors-même que la part des infractions commises la nuit ne serait pas plus élevée en Guadeloupe qu’en métropole. Cette mesure de police administrative, qui ne saurait avoir pour objet ou pour effet de se substituer aux politiques publiques, notamment éducatives et sociales, mises en oeuvre en vue de traiter les causes de la délinquance des mineurs et qui ne revêt aucun caractère répressif, apparaît en outre adaptée à l’objectif poursuivi de limitation à brève échéance de la hausse de la délinquance et de protection des mineurs. Enfin, cette mesure, dont l’application est circonscrite aux seuls quartiers dont le ministre indique sans contestation sérieuse qu’ils sont les plus concernés par la hausse de la délinquance, dont la durée de mise en oeuvre est limitée à un mois, moins de la moitié de cette durée restant à courir à la date de la présente ordonnance, et dont l’arrêté précise qu’elle pourra être levée avant le terme prévu si la situation s’améliore et qu’elle fera l’objet d’une évaluation avant tout renouvellement éventuel, apparaît proportionnée, alors même qu’elle vise l’ensemble des mineurs et non les seuls mineurs de 13 ans et que, pour tenir compte de l’heure de tombée de la nuit en Guadeloupe, elle fait débuter l’interdiction de circulation sans accompagnement à 20h.»

 

On notera que :

  • • la formation du point 4. pourra être utilisée pour justifier (ou, plutôt, pour compléter) des opérations un peu « coup de poing » comme les  « opérations place nette XXL », telle celle pratiquée à Marseille en mars 2024 (voir ici)…. d’autant qu’un autre juge vient de valider des arrêtés de déplacement de consommateurs de crack, un peu dans la même logique d’action par grands blocs géographiques : CAA Paris, 7 mai 2024, n°23PA04055). Voir aussi par exemple les opérations Wuambushu 1 et 2 à Mayotte.
  • cette décision du Conseil d’Etat arrive à pic où se multiplient les arrêtés municipaux en ce domaine.

 

Source :

Conseil d’État, ord., 10 mai 2024, n° 493935

 

 

IV. Ce mode d’emploi se trouve appliqué, de manière plus souple encore peut-être, par le juge des référés du TA de Montpellier, au terme d’une ordonnance rendue le 14 mai 2024 puis par le juge des référés du TA de Nice le 24 mai 2024

 

IV. A. TA de Montpellier

 

Saisi par la Ligue des Droits de l’Homme, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier rejette le recours tendant à la suspension de l’arrêté du maire de Béziers en date du 22 avril 2024 interdisant la circulation de 23 heures à 6 heures sur la voie publique des mineurs âgés de moins de 13 ans non accompagnés d’une personne majeure dans les périmètres des quartiers prioritaires de la ville pour la période du 22 avril au 30 septembre.

Or, le juge des référés du TA de Montpellier, comme le Conseil d’Etat dans l’affaire susvisée en III. et de manière plus souple encore peut-être, a accepté de se fonder sur des chiffrées globaux et non quartiers par quartiers. Et, de fait, le juge constate que les pièces versées à l’instruction révèlent en effet un fort taux du nombre de victimes d’infractions pour 1 000 habitants à Béziers, supérieur à la moyenne française en 2023 pour les infractions de destructions et dégradations, trafic de stupéfiants, coups et blessures volontaires et vols sans violence.

Surtout, cette commune a fait ce que presque toutes les villes sérieuses font désormais, à savoir accumuler les rapports des services de police municipale et autres éléments pour « bâtir du dossier », afin notamment d’établir et de prouver la présence de mineurs, y compris de moins de 13 ans, interpellés entre 23 heures et 6 heures dans les trois quartiers visés par l’arrêté attaqué, ce qui permet d’être plus précis que les statistiques communales.

Le juge admet dans ce cadre d’y voir l’existence de risques de troubles à l’ordre public auxquels les mineurs, en particulier de moins de 13 ans, seraient exposés ou dont ils seraient les auteurs.

Par ailleurs, le juge des référés du TA de Montpellier a noté que cette mesure d’interdiction de circulation est circonscrite géographiquement à trois secteurs de la commune classés en quartiers prioritaires de la ville, sur un créneau horaire de 23 heures à 6 heures, pour une période du 22 avril au 30 septembre et ne vise que les mineurs de moins de 13 ans, particulièrement vulnérables compte tenu de leur jeune âge, non accompagnés d’une personne majeure.

Par suite, ce juge a estimé que le référé suspension contre cet arrêté du maire de Béziers pouvait être rejeté faute de moyen sérieux.

Source :

TA Montpellier, ord., 15 mai 2024, n° 2402422

 

IV. B. TA de Nice

 

Reprenons le même match, avec le même requérant principal (la LDH), mais à Nice cette fois.

Et avec le même résultat : le rejet du recours en référé.

Saisi par la Ligue des Droits de l’Homme et l’association de défense des libertés publiques, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté le recours tendant à la suspension de l’arrêté du maire de Nice en date du 26 avril 2024 interdisant, du 1er mai au 31 août, la circulation de 23 heures à 6 heures sur la voie publique des mineurs âgés de moins de 13 ans non accompagnés d’une personne majeure dans les secteurs de Las Planas, l’Ariane, Bon Voyage, Pasteur, Saint Roch, Pilatte-Lorrain, Trachel Gare du Sud, Centre-ville Vieux Nice, Madeleine, Jean Vigo et de moins de 16 ans dans le secteur des Moulins.

Le juge des référés a considéré qu’aucun des moyens soulevés n’était propre, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. Il a estimé notamment que cette mesure d’interdiction était justifiée par l’existence de risques particuliers de troubles à l’ordre public auxquels ces mineurs seraient exposés ou dont ils seraient les auteurs dans les secteurs pour lesquels elle est édictée, qu’elle était adaptée à l’objectif pris en compte et proportionnée au vu des éléments chiffrés produits par la commune quant à l’implication des mineurs dans les faits délictueux.

Par ailleurs, il a considéré que la mesure d’interdiction de circulation était circonscrite géographiquement aux secteurs précités, pendant un créneau horaire limité de 23 heures à 6 heures, pour une période également limitée du 1er mai au 31 août et ne visait que les mineurs de moins de 13 ans, particulièrement vulnérables compte tenu de leur jeune âge, non accompagnés d’une personne majeure et ceux de moins de 16 ans dans le secteur des Moulins particulièrement exposé aux problèmes de sécurité…

Là encore, on retrouve des statistiques à l’échelle municipale, mais avec des informations par quartier fournies par la ville qui semblent avoir suffi à convaincre le juge, ce qui est une information importante pour les communes même si on n’insistera jamais assez sur l’importance de bâtir très en amont un solide dossier pour lesdites villes :

« 8. Les associations requérantes soutiennent qu’aucun élément précis et circonstancié n’est de nature à étayer l’existence de risques particuliers relatifs aux mineurs ; que le maire de Nice ne justifie pas de l’existence de risques particuliers de troubles à l’ordre public auxquels les mineurs seraient exposés ou dont ils seraient les auteurs dans les secteurs concernés et que l’arrêté attaqué porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et de venir et au respect de la vie privée et familiale des intéressés. Il ressort cependant des données chiffrées produites par la commune de Nice que le nombre de victimes d’infractions pour 1 000 habitants à Nice est supérieur à la moyenne française en 2023 pour les atteintes aux biens et aux personnes et que, s’agissant particulièrement des mineurs, sur les mois de janvier à avril 2024, 27 mineurs de 13 ans ont été interpellés par la seule police municipale, contre 18 sur la même période en 2023 ; que dans le quartier des Moulins 52 % des mis en cause dans les interpellations liées au trafic de stupéfiants sont des personnes mineures. Ainsi ces éléments permettent de caractériser l’existence de risques de troubles à l’ordre public auxquels les mineurs, en particulier de moins de 13 ans ou de moins de 16 ans au Moulins, seraient exposés ou dont ils seraient les auteurs.»

Source :

TA Nice, ord., 24 mai 2024, LDH et a., n° 2402344-2402348

 

 

V. VOIR AUSSI CETTE VIDEO (à jour la décision ord. CE 10/5/24… mais pas à jour des décisions postérieures, lesquelles ne sont, cela dit, que confirmatives)

Voici également cette vidéo de 7 mn 58 à ce sujet :

https://youtu.be/0UlDo41_N4M