Le droit propre aux crèches de la nativité, le mode d’emploi forgé par le Conseil d’Etat impose une différence selon que celle-ci se trouve ou non « dans l’enceinte des bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou d’un service public » (avec une spécificité, par ailleurs, en Alsace et en Moselle) … En dehors de ces cas, une crèche, son petit Jésus et autres ânes et santons, portés par une personne publique, ne seront illégaux que si cette démarche constitue « un acte de prosélytisme ou de revendication d’une opinion religieuse.»
Sur cette base, le juge des référés du TA d’Amiens a admis la légalité d’une crèche de la nativité installée dans les rues de cette capitale picarde… Une décision qui d’ailleurs en rejoint d’autres admettant plus de manifestations religieuses avec implication des collectivités territoriales dans la rue qu’ailleurs.
Voyons ceci au fil d’une très courte vidéo et d’un article.

I. VIDEO (1 mn)
https://youtube.com/shorts/uegR7SRmSXE

II. ARTICLE
Bon prince de l’Eglise, le Palais Royal a souvent (pas toujours) eu le bon goût de ne pas s’abandonner à une vision étriquée du principe de laïcité.
Le Conseil d’Etat a ainsi, en matière de statues, coupé la poire (celle de Jean-Paul II par exemple, voir ici) en deux et, en termes de crèches de la nativité, coupé les cheveux en quatre (voir là). Au risque de vaticiner ou de laisser place à quelques mystères dans les saintes écritures du Recueil Lebon.
Via cette vidéo de 3 mn 47, j’ai tenté de retracer les grandes lignes de ce qu’il est légal, ou non, de faire dans le monde public sans pécher au regard de ces jurisprudences :
Sources : CE, Ass. 9 novembre 2016, n° 395122 et n° 395223 [2 esp. diff.] ; TA Lyon, 22 novembre 2018, n° 1709278 ; TA de Dijon, 7 juin 2019, n° 1603353 et n° 1703010 ; CE, 14 février 2018, n° 416348 ; TA Melun, 5 juillet 2022, n°2111799 ; CAA Douai, 16 novembre 2017, n°17DA00054 ; TA Lille, 30 novembre 2016, n° 1509979 ; CAA Marseille, 3 avril 2017, n° 15MA03863 ; etc.
Mais les crèches de la nativité étant parfois légales dans les bâtiments publics avant Noël, ce qui n’allait pas de soi (hors Alsace-Moselle), les collectivités qui s’y adonnent illégalement n’en étaient que plus pécheresses, puisque souvent elles peuvent prévoir ces installations dans d’autres bâtiments (EHPAD…) ou d’autres cadres (insertion dans un cadre plus largement commercial au risque d’une cohabitation avec les marchands du Temple — voir là —).
Pour ces édiles, ce n’est pas seulement par conviction. Ce n’est pas seulement par électoralisme. C’est aussi parce qu’en ce domaine, pécher n’était guère sanctionné. Quel est l’effet d’une censure des mois après l’événement d’une annulation par un juge administratif ?
Quant aux référés, ils étaient assez souvent voués à l’échec.
N.B.2 : sur les astreintes et les responsabilités (devant la Cour des comptes en RFGP) qui peuvent en résulter, voir : TA de Nîmes, ord., 7 février 2025, Ligue des droits de l’homme, n° 2500194. Voir ici cette décision et notre article.
Mais ce cadre est fixé lorsqu’une crèche de la nativité est implantée dans un bâtiment public, siège d’une collectivité publique ou d’un service public.
Ceci dit, la laïcité s’impose aussi dans l’organisation des services publics, en ce que les adaptations aux diverses religions peut vite se heurter à quelques limites juridiques (voir CE, ord., 21 juin 2022, n° 464648 ; voir ici cette décision, notre article et une vidéo)
Dans la rue ou autres espaces publics, le juge est plus souple. Il l’est d’abord par principe s’agissant des processions religieuses traditionnelles qui ne relèvent pas de la sphère d’action des personnes publiques (CE, 19 février 1909, Abbé Olivier, GAJA 21e éd. n° 18 ; voir plus récemment CAA Nantes, 8 juin 2018, n° 17NT02695 et TA Toulouse, ord., 15 septembre 2021, n° 2105315) : on retrouve là la même liberté que celle de s’accoutrer même avec une signification religieuse sauf circonstances particulières (affaire des burkinis sur les plages : CE, ord., 26 août 2016, LDH et autres, n° 402742 ; voir ici ce texte et notre article).
Il l’est même en cas d’implication indirecte des pouvoirs publics. Cela peut valoir pour des fêtes traditionnelles. Ainsi, Le TA de Montpellier a-t-il rendu une intéressant décision sur le fait que c’est légalement que le maire de Montpellier avait pu, en 2018, prévoir la participation la ville aux fêtes de Saint-Roch en dépit du caractère pour partie cultuel de celles-ci (TA Montpellier, 3 novembre 2020, n°1804799).
De même, par un jugement association La libre pensée du Gard en date du 19 février 2021 (req. n° 1900022), le tribunal administratif de Nîmes a-t-il considéré que la participation de gendarmes à la cérémonie de sainte Geneviève, laquelle comprenait un office religieux, ne constituait pas une méconnaissance des principes de laïcité et neutralité dès lors qu’elle s’inscrivait dans le cadre d’une manifestation annuelle, traditionnelle et festive participant à la cohésion et à la représentation de l’institution.
Sur le port du voile par les accompagnants scolaires (avant la loi séparatisme loi n° 2021-1109 du 24 août 2021) avait aussi donné lieu à une souplesse à l’extérieur et à une grande rigueur à l’intérieur (arrêt très contestable au détriment des accompagnantes, selon moi, en droit : CAA Lyon, 23 juillet 2019, 17LY04351). Pour ce bénévolat des parentes d’élèves, c’était toutes voiles dehors, mais pas dedans.
Ajoutons que dans la rue, le religieux se mêle facilement plus aussi aux activités marchandes, ce qui est un paramètre que le juge a pu (même pour les crèches de la nativité, prendre en compte. Ainsi le juge a-t-il estimé qu’ne crèche de la nativité sera plus défendable, en droit, en mairie, si à côté du « petit Jésus » se trouvent les marchands du temple et quelques autres éléments du décorum de Noël, non religieux : TA Melun, 5 juillet 2022, n°2111799).
Prenez tous ces ingrédients, combinez les, et vous obtiendrez des paramètres qui semblent expliquer la position du juge des référés du TA d’Amiens en matière de crèches de la nativité… dans la rue.
Car le petit Jésus peut bien après tout sortir de son étable pour se promener dans la rue.

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