A la recherche de la frontière entre culturel et cultuel…

Le TA de Montpellier vient de rendre une intéressant décision sur le fait que c’est légalement que le maire de Montpellier avait pu, en 2018, prévoir la participation la ville aux fêtes de Saint-Roch en dépit du caractère pour partie cultuel de celles-ci. Ce jugement confirme l’évolution, nette, de la jurisprudence de ces dernières années à admettre un peu de culturel dans le cultuel. 

 

I. Une jurisprudence originelle stricte

 

Les subventions aux associations cultuelles sont en principe interdites, sous réserve des règles spécifiques à l’Alsace et à la Moselle.

Avait été annulée, par exemple, la mise à disposition par une commune d’une église à une association religieuse catholique traditionaliste. La jurisprudence du Conseil d’Etat était autrefois très sévère sur ce point et condamnait les subventions à des associations dès lors que ces dernières avait, même partiellement, un objet cultuel.

Sources : art. 2 de la loi du 9 décembre 1905 ; TA Amiens, 16/9/86, Labille, RFDA 87, p. 758. CE, 9 octobre 1992, Commune de Saint-Louis c/ Association Siva Soupramanien de Saint-Louis, n° 94.455, rec. p. 803.

Sur une autre base juridique que celui de la laïcité, les financements de petits groupes de pensée dont la franc-maçonnerie ont pu aussi être censurés par le juge.

Exemple amusant : TA Montpellier, 22 avril 2008, Association des contribuables de l’Hérault, req. 0500363 et 0600596. 

 

II. Des assouplissements progressifs, législatifs ou jurisprudentiels, conformes à d’autres évolutions jurisprudentielles parallèles

 

Ceci dit, des assouplissements non négligeables existent en matière de bâtiments  et d’activités non directement cultuelles (voir par exemple article L. 2252-4 du CGCT, à l’origine taillé sur mesure pour la cathédrale d’Evry ; voir aussi l’art. L. 1311-2 de ce code ; voir aussi CAA Versailles, 3 juillet 2008, Commune de Montreuil sous Bois, n° 07VE01824, arrêt confirmé mais sous d’autres motifs par CE, Ass., 19/07/2011, 320796, publié au rec.).

Naturellement, de telles interventions impliquent pour être légales que la collectivité en cause dispose d’une compétence en ce domaine, sans que l’on puisse trop ruser du point de vue de la collectivité sur la frontière entre culturel et cultuel (pour l’Eglise St Pierre de Firminy de l’architecte Le Corbusier et la question des compétences de la communauté d’agglomération de St Etienne, voir CAA Lyon, 9 octobre 2008, 05LY01710).

Dernier signe de cette décrispation : l’arrêt rendu le 17 février 2016 par le Conseil d’Etat sous le numéro n° 368342 publié au recueil Lebon.

 

Le Conseil d’Etat a dans le même sens modifié sa position et autorise aujourd’hui les subventions à des associations cultuelles, dès lors que ces subventions visent au financement d’activités non rattachées aux activités cultuelles de l’association (CE, 26 novembre 2012, Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, n° 344379 ; voir aussi dans le même sens C.Const., QPC, 21 févr. 2013, n° 2012-297)…

Cette évolution du juge est tout à fait parallèle à la sienne en d’autres domaines très comparables : cela va ainsi dans le sens, plus large, d’une déconnection désormais entre les positions des associations, leur activité militante (qui en général n’est pas subventionnable par les collectivités) et leurs autres activités subventionnables (voir en ce sens, très clairement : CE, 8 juillet 2020, n° 425926 ; voir ici).

On a un parallèle entre activités militantes (‘non subventionnantes) et non militantes (subventionnantes) qui peuvent être portées par une même association… et entre activités cultuelles ‘(non subventionnantes, insusceptibles de donner lieu à participation publique) et culturelles (susceptibles de donner lieu à diverses modalités de participation publique).

Par ailleurs, le Conseil d’Etat a apporté d’importantes précisions sur les subventions possibles aux associations cultuelles dans quatre décisions d’assemblée du 19 juillet 2011. Il ressort de ces décisions que :

  • Une commune peut participer au financement d’un orgue qui sera placé dans une église et utilisé à la fois pour des activités cultuelles mais également culturelles et éducatives (CE Ass., 19 juillet 2011, Commune de Trélazé, n° 308544) ;
  • Une commune peut financer un équipement attaché à un édifice religieux, qui présente un intérêt public local, en participant au rayonnement culturel de la commune en l’espèce, dans la mesure où cet équipement n’est pas utilisé pour une activité cultuelle. La circonstance que cet équipement puisse bénéficier aux utilisateurs de l’édifice religieux ne rend pas le financement irrégulier. Il s’agissait en l’espèce du financement d’un ascenseur permettant aux personnes à mobilité réduite d’accéder à la basilique de la Fourvière (CE Ass., 19 juillet 2011, Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône, n° 308817) ;
  • Une collectivité peut financer un abattoir destiné à la réalisation d’abattages rituels dans la mesure où il y a selon le juge un intérêt public local à ce que les cultes soient exercés dans des conditions conformes aux impératifs de l’ordre public, notamment de la salubrité et de la santé publique (CE Ass., 19 juillet 2011, Communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole, n° 309161) ;
  • Une commune peut laisser une association cultuelle utiliser un local municipal librement, sans pouvoir lui accorder un traitement de faveur par rapport au traitement des autres usagers. La commune ne peut en tout état de cause pas refuser à une association l’accès à un local municipal sur le seul fondement de son aspect cultuel. En revanche une commune ne peut pas accorder de façon pérenne à une association cultuelle l’utilisation d’un local municipal, qui deviendrait ainsi un édifice cultuel (CE Ass., 19 juillet 2011, Commune de Montpellier, n° 313518).

 

Autre domaine où le juge accepte qu’il y ait, sinon du cultuel, à tout le moins du religieux dans le culturel et l’historique de la commune : le blason des municipalités.

Voir en ce sens CE, 15 juillet 2020, n°423702 :

 

Pour un domaine délicat, qui est celui des activités scolaires, voir :

 

Voir aussi :

 

 

III. Le juge peut dès lors transformer le vin de messe en eau bénite laïque s’il y a assez de culturel dans le cultuel. C’est ce qui s’est donc, sans miracle, passé pour St Roch

 

Le 24 juillet 2018, une association avait demandé au maire de Montpellier de retirer d’une part sa décision de financer un « apéritif offert à tous » dans le cadre des fêtes de Saint Roch organisées les 15 et 16 août 2018, au motif qu’elle constitue une subvention à un culte, d’autre part sa décision d’apposer le sigle de la commune et un message de soutien sur les affiches des fêtes de Saint Roch, au motif qu’elle constitue la promotion d’un culte.

L’association avait saisi le tribunal aux fins d’annuler la décision implicite de rejet opposée par le maire de Montpellier à ses demandes.

Le tribunal a écarté les argumentations de l’association requérante en estimant que si les fêtes de Saint Roch sont un évènement cultuel, elles s’accompagnent de plusieurs manifestations qui n’en ont pas le caractère et contribuent au développement d’un tourisme spirituel, historique et culturel, qui entraîne des retombées économiques pour la ville de Montpellier.

La découverte de l’histoire de Saint Roch et la visite de son sanctuaire, situé sur le chemin de Compostelle, font d’ailleurs partie de l’offre touristique proposée par la ville.

Dans ces conditions, en organisant un apéritif offert à tous par la ville de Montpellier, qui se déroule dans un espace public et constitue une manifestation festive organisée en marge de l’évènement cultuel, en décidant d’apposer le logo de la ville sur l’affiche et le programme de la manifestation, en faisant figurer dans celui-ci le « mot du maire » dont le contenu est centré sur le lien historique des fêtes de Saint Roch avec la ville et leur impact touristique, et en assurant la diffusion de l’affiche sur les panneaux publicitaires de la ville et du programme sur son site internet, le maire de Montpellier ne peut être regardé comme ayant subventionné illégalement un culte, ni participé à sa promotion en méconnaissance de l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905.

TA Montpellier, 3 novembre 2020, n°1804799 :

Miracle juridique à St Roch