Par une décision récente (CE, 6 mai 2025, n°473804, mentionné aux tables du recueil Lebon), le Conseil d’État a précisé les règles à suivre en matière de transfert du contrat de travail d’un salarié à la suite de la perte d’un marché public de prestation de services.
En l’espèce, dans un premier temps, la société Méditerranéenne de Nettoiement employait un agent de tri sur le site d’une usine, dans le cadre de l’exploitation d’un marché de gestion globale des déchets. Puis, dans un second temps, la société a perdu ce marché, à la suite de l’appel d’offre.
Le nouvel attributaire était la société Suez RV Osis FM. La société Méditerranéenne de Nettoiement a donc décidé de transférer le contrat de travail de l’agent de tri mentionné à la société Suez RV. Comme il s’agissait d’un ancien délégué du personnel, l’autorisation de l’inspecteur du travail était requise, conformément aux dispositions de l’article L.2421-9 du code du travail.
Ainsi, l’inspecteur du travail a autorisé par plusieurs décisions le transfert du contrat de travail de l’agent de tri à la société Suez RV Osis FM, sur le fondement des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail.
Après rejet du recours hiérarchique formé auprès du ministre du travail, la société Suez RV Osis FM a saisi le TA de Nîmes d’un recours en excès de pouvoir dirigé contre les décisions de l’inspecteur du travail et de la ministre du travail. Ce recours a été rejeté par le TA.
La société Méditerranéenne de Nettoiement a ensuite formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt du 7 mars 2023 par lequel la CAA de Toulouse a, sur appel de la société Suez RC FM, annulé le jugement du TA et les décisions de l’inspecteur du travail et de la ministre du travail.
Pour juger du bien-fondé de l’autorisation accordée par l’inspecteur du travail sur le fondement de l’article L.1224-1 du code du travail, le Conseil d’État a commencé par circonscrire son champ d’application.
En vertu de l’article L.1224-1 du code du travail :
« Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise.»
Le Conseil d’État précisé donc qu’en cas de demande d’autorisation du transfert du contrat de travail d’un salarié protégé présentée en application de ces dispositions, l’autorité administrative doit suivre plusieurs étapes de raisonnement.
Premièrement, elle doit vérifier que les dispositions de l’article L.1224-1 du code du travail sont applicables au transfert partiel d’entreprise ou d’établissement en cause.
Une telle applicabilité suppose que le transfert concerne une entité économique autonome, définie par le Conseil d’État comme « un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels et incorporels permettant l’exercice d’une activité qui poursuit un objectif propre, conservant son identité, et dont l’activité est poursuivie par le nouvel employeur ».
Puis, d’une façon décisive, le Conseil d’État a estimé que :
« Si la perte d’un marché n’entraîne pas, en elle-même, le transfert des contrats de travail, il en va autrement lorsque l’exécution d’un marché de prestation de services par un nouveau titulaire s’accompagne du transfert d’une entité économique autonome. Il appartient à l’administration de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, l’existence d’un tel transfert en procédant à une appréciation de l’ensemble des circonstances de fait.
L’inspecteur du travail – et le juge administratif chargé de contrôler son action – doit donc, en cas de transfert de contrat de travail consécutif à une perte de marché, examiner si l’exécution d’un marché de prestation de services par un nouveau titulaire s’accompagne du transfert d’une entité économique autonome.
C’est sur ce fondement que le Conseil d’État a pris le parti de censurer l’arrêt rendu par la CAA. En effet, la juridiction d’appel avait jugé que les dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail n’étaient pas applicables lorsqu’une entreprise perd un marché, sans rechercher s’il y avait eu en l’espèce un transfert d’entité économique autonome.
En conclusion, l’arrêt a donc été annulé, et l’affaire renvoyée devant la CAA de Toulouse pour être jugée à l’aune de la grille de raisonnement dégagée par le Conseil d’État, et se prononcer sur l’épineuse question de l’existence en fait d’un transfert d’entité économique autonome, conditionnant l’application de l’article L.1224-1 du code du travail au cas présent.
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