Interdiction de conférences : de l’importance des « plans B » sur l’issue des contentieux

Quand une autorité administrative refuse d’héberger un colloque, le juge du référé liberté risque de ne pas censurer ce refus si les organisateurs ont en fait trouvé un lieu, même moins grand ou moins prestigieux. 


 

I. Rappels sommaires en ce domaine entre pouvoirs de police et liberté — ou non selon les cas — pour une administration d’accueillir telle ou telle manifestation en son sein

 

Le présent blog a souvent traité des paramètres pris en compte par le juge quand une structure publique décide de ne pas héberger en son sein un colloque, une causerie ou une conférence polémique.

Schématiquement :

  • d’une part, il y a le fait que l’autorité publique elle-même peut décider d’héberger, ou non, une telle conférence ou manifestation. Elle agit alors en tant qu’elle dispose d’une large marge de manoeuvre pour autoriser ou non telle ou telle occupation de son domaine public.
    Non sans limites toutefois. Voir sur ce point l’étrange ordonnance que voici où un juge des référés censure la déprogrammation d’un film d’un cinéma municipal : TA Marseille, ord., 25 octobre 2025, n° 2513174
    Mais en même temps les structures académiques hébergent de nombreuses manifestations, colloques et conférences organisées en leur sein par des structures privées qui peuvent se prévaloir de principes comme la liberté d’expression, les libertés propres au monde académique et l’égalité de traitement. En ce cas, on s’approche plus du mode de raisonnement propre aux pouvoirs de police ci-après développés.
    De ce point de vue, donc, il y aura un mode d’emploi très différent selon les cas :

    • l’administration peut accepter ou non d’organiser et/ou d’héberger en son sein telle ou telle manifestation (mais elle ne peut le faire qu’en respectant les grands principes d’égalité de traitement, de neutralité…)
    • MAIS si ladite manifestation est organisée par des personnes qui peuvent le faire en son sein (salle de spectacle tenue au principe d’égalité et aux limites des refus de vente ; principe d’égalité de traitement en cas de salle municipale ; liberté et égalité de traitement dans le cas des réunions organisées par les structures syndicales ou estudiantines, etc.)… on glisse donc vers le régime de pouvoir de police ci-dessous exposé.
  • d’autre part il y a l’intervention possible d’une autorité de police administrative sous deux angles :

    Voir : Police administrative et réunions, manifestations ou représentations… aux dérapages prévisibles [VIDEO]

    Avec à chaque fois un contrôle constant et vigilant, voire sourcilleux, du juge administratif dans le dosage des pouvoirs de police en termes :

    • de durée (CE Sect., 25 janvier 1980, n°14 260 à 14265, Rec. p. 44) ;
    • d’amplitude géographique (CE, 14 août 2012, n° 361700) ;
    • de contenu même desdites mesures (voir par exemple CE, Ass., 22 juin 1951, n° 00590 et 02551 ; CE, 10 décembre 1998, n° 107309, Rec. p. 918 ; CE, ord., 11 juin 2012, n° 360024…).

En réalité, les applications croisées de ces jurisprudences, quand le trouble à l’Ordre public peut être bigarré entre manifestations et contre-manifestations d’une part, et risque d’atteinte à la dignité humaine et/ou commission d’une infraction, d’autre part… peuvent être parfois difficilement prévisibles :

NB : sur le fait que parfois c’est le droit des expulsion des étrangers pour risque de trouble à l’Ordre public qui règlera l’affaire, voir ici.

 

II. Reste qu’en cas d’interdiction, les « plans B » existants sont pris en compte par le juge

 

Si l’interdiction d’accepter au sein des ses locaux une manifestation repose sur la certitude que s’y commettra une infraction, une atteinte à la dignité humaine… alors naturellement l’administration peut, et même doit, refuser cet hébergement.

Mais si l’on évoque des troubles à l’Ordre public plus classiques, la décision risque d’être illégale sauf réel risque à ce titre… OUI MAIS en référé reste à justifier l’urgence pour les requérants que l’on prive de colloque ou autre conférence.

Et, là, l’existence d’un « Plan B » pour les manifestants devient vite un paramètre pour le juge des référés.

A preuve une affaire récente où a probablement, aussi, joué le paramètre qu’est le prestige du lieu (avec l’envie pour les organisateurs d’associer l’image de celui-ci au combat qui est le leur).

En l’espèce, l’administrateur du Collège de France empêchait la tenue du colloque « La Palestine et l’Europe : poids du passé et dynamiques contemporaines » dans son établissement du 5ème arrondissement.

Le juge des référés liberté du tribunal administratif de Paris a noté que les organisateurs avaient réussi à maintenir ce colloque aux mêmes dates et avec le même programme dans un centre de recherche situé dans le 13ème arrondissement, avec une retransmission en direct des débats par visioconférence.

Le juge des référés a donc estimé que, étant donné ces circonstances, et dans le cadre strict, limité, du référé liberté, il n’était pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression, à la liberté de se réunir et à la liberté académique, de nature à justifier l’intervention du juge des référés dans un délai de 48 heures, quand bien même les conditions de tenue du colloque en sortaient sensiblement dégradées, au regard notamment de la taille de la salle, par rapport à celles initialement prévues.

 

Source :

TA Paris, ord., 12 novembre 2025, LDH et autres, n°2532753


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