Revenons sur le régime juridique applicable permettant d’expulser du territoire national une personne de nationalité étrangère en situation régulière. Avec, après un rappel du droit en ce domaine (I.), l’exposé d’une nouvelle jurisprudence portant sur la situation d’une personne en court séjour en France, Mme Mariam Abou Daqqa, membre de premier plan du Front de libération de la Palestine (FPLP), organisation classée comme terroriste par l’Union Européenne.
I. Rappel sommaire du cadre juridique applicable
Si une personne étrangère est en situation régulière sur notre territoire national, ce n’est que dans des cas limités que celle-ci pourra être expulsée, essentiellement pour menace grave à l’ordre public… selon d’ailleurs des conditions précises qui sont plus ou moins strictes selon diverses hypothèses.
Après avoir en son temps évoqué le cas de l’expulsion, alors médiatisée, de l’imam H. Iquioussen (voir ici mon article d’alors et là pour une vidéo de D. Maus à ce propos), j’avais fait le mois passé un article et une vidéo à ce sujet :
- voici ici cet article : « Expulsions d’étrangers : petit rappel, neutre et calme, des données juridiques… indépendamment des légitimes débats politiques et philosophiques »
- et voici la vidéo, de 11 mn 48, à ce sujet :
Voici les logigrammes très simplifiés que j’avais alors utilisé et qui résument le cadre général applicable :
Etape 1 du raisonnement :
Etape 2 du raisonnement si l’on est bien dans la catégorie représentée en bas à droite dans le logigramme ci-avant :
Soit en général une étude du point de savoir si on est ou non dans un des trois cas suivants :
Il ne suffit pas que ces critères soient atteints, ce qui s’apprécie au cas par cas en prenant en compte notamment l’ancienneté ou non des actes commis par la personne. Encore faut-il en sus :
- d’une part, bien naturellement, une phase administrative contradictoire posées par les articles L. 632-1 et suivants du CESEDA
- d’autre part, que le juge s’assure au cas par cas de ce que l’expulsion n’est pas contraire à une vie familiale normale (« Il appartient cependant à cette autorité de concilier, sous le contrôle du juge, les exigences de la protection de la sûreté de l’Etat et de la sécurité publique avec la liberté fondamentale que constitue le droit à mener une vie familiale normale »).
Par exemple, pour toujours revenir à lui, le fait que les enfants de l’imam Iquioussen étaient majeurs, d’une part, et que l’épouse marocaine de cette personne pouvait le suivre au Maroc, avaient en l’espèce, été des éléments déterminants ayant conduit le Conseil d’Etat a valider la décision d’expulsion.
Sources :
- CE, ord., 30 août 2022, Min. Int. c/ H. Iquioussen (avec la LDH en intervenante) n°466554
- voici notre article sur cette affaire Iquioussen :
- cette décision du Conseil d’Etat infirmait l’ordonnance de première instance que voici : TA de Paris, ord., 5 août 2022, Iquioussen, n°2216413
- voir aussi une intéressante vidéo de D. Maus à ce sujet :
Ensuite, quand les voies de droit commun internes à la France sont épuisées, il est possible aux personnes expulsées de saisir la CEDH. Mais le recours à la CEDH avant cette phase, via l’article l’article 39 du règlement de la CEDH (« mesures provisoires », une sorte de référé) ne sera que rarement accepté par le juge sauf réellement « risque réel de dommages irréparables ». Voir en ce sens pour un rejet du recours CEDH, ord. art. 39, 4 août 2022, Iquioussen c. France, requête no 37550/22. Pour une acceptation (rare) des expulsions en masse prévues par la Grande-Bretagne vers le Rwanda de sujets même non rwandais : CEDH, ord., 15 juin 2022, K.N. c. Royaume-Uni, no 28774/22.
Quelques sources : Articles L. 631-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile [CESEDA] ; article 31 de la convention de 1954 relative au statut des apatrides (voir ici) ; la loi « séparatisme » n°2021-1109 du 24 août 2021 ; article 371-2 du code civil; CE, ord., 30 août 2022, Min. Int. c/ H. Iquioussen (avec la LDH en intervenante) n°466554 (voir ici notre article ; et là une intéressante vidéo de D. Maus à ce sujet) ; cette décision du Conseil d’Etat infirmait l’ordonnance de première instance que voici : TA de Paris, ord., 5 août 2022, Iquioussen, n°2216413.
II. Application à une dirigeante du FPLP
Au contraire de ce qu’avait jugé en première instance le juge des référés du TA de Paris, le Conseil d’Etat vient de valider l’expulsion de la militante palestinienne Mariam Abou Daqqa, membre de premier plan (une des dirigeants de ce mouvement selon le site dudit mouvement, ce qui était contesté par la requérante) du Front de libération de la Palestine (FPLP), organisation laïque d’extrême gauche, classée comme organisation terroriste par l’Union Européenne.
Notons d’ores et déjà que contrairement à nombre de personnes qui sont en France depuis longtemps et qui donc, comme l’imam H. Iquioussen relevaient du régime plus protecteur de l’article L. 631-3 du CESEDA… Mme Mariam Abou Daqqa est arrivée en France en septembre dernier. Une « menace grave à l’Ordre public » suffit, si l’on ose dire, à son expulsion.
Cette menace n’a pas été considérée comme suffisante par le juge des référés du TA de Paris, point qui n’a pas été tranché de la même manière, donc, par le Conseil d’Etat, dont le juge des référés a estimé que :
« 5. Ainsi qu’il a été dit au point 1, Mme B…, qui se présente comme marxiste et féministe, est entrée en France au mois de septembre 2023 munie d’un visa de court séjour afin de tenir un cycle de conférences sur ” colonisation et apartheid israélien ” dans plusieurs villes françaises et participer à plusieurs évènements de soutien à la Palestine. Il résulte de l’instruction qu’aucun trouble matériel à l’ordre public n’a été constaté à l’occasion de ses interventions publiques sur le sol français. En outre, le seul usage du slogan ” Palestine vaincra ” ou du terme ” apartheid “, la demande de libération de Georges Ibrahim Abdallah ou l’appel à la protection des populations civiles contre les bombardements israéliens sur Gaza ne sauraient être à eux seuls assimilés à un soutien au Hamas, à des propos antisémites ou à des agissements de provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence contre un groupe de personnes en raison de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion.
« 6. Toutefois, aux termes de l’article 2, paragraphe 3, du règlement du Conseil du 27 décembre 2001 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les personnes morales, groupes ou entités inscrits sur cette liste sont ceux ” commettant ou tentant de commettre un acte de terrorisme, participant à un tel acte ou facilitant sa réalisation “, ceux ” détenus ou contrôlés par une ou plusieurs (de ces) personnes (…) morales, groupes ou entités ” ou ceux ” agissant pour le compte ou sous les ordres d’une ou de plusieurs (de ces) personnes (…) morales, groupes ou entités “. Le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) est inscrit sur cette liste, en vertu du règlement d’exécution du Conseil du 20 juillet 2023 susvisée. Le FPLP est également inscrit sur la liste des organisations mentionnées par la décision du Conseil du 20 juillet 2023 susvisée, qui invite notamment les Etats membres de l’Union européenne à s’offrir mutuellement ” par le biais de la coopération policière et judiciaire en matière pénale (…), l’assistance la plus large possible pour prévenir et combattre les actes de terrorisme “.
« 7. Or, il résulte des éléments versés pour la première fois à l’instruction devant le Conseil d’Etat que, contrairement à ses affirmations, Mme B… est non seulement demeurée membre du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) mais qu’elle est une ” dirigeante du mouvement “, notamment aux termes mêmes du site internet officiel en arabe de cette organisation. Il résulte en outre de l’instruction que le FPLP a commis, de 2002 à 2015, 13 attentats contre des civils israéliens, faisant de nombreuses victimes.
« 8. Les hostilités dont le Proche-Orient est actuellement le théâtre, à la suite des attaques commises par des membres du Hamas sur le territoire israélien le 7 octobre 2023, sont à l’origine d’un regain de tensions sur le territoire français, qui s’est notamment traduit par une forte recrudescence des actes à caractère antisémite. La présence sur le sol français, en vue de s’exprimer sur le conflit israélo-palestinien, d’une dirigeante d’une organisation de la nature rappelée au point 6 ayant revendiqué des attentats contre des civils israéliens est ainsi susceptible de susciter de graves troubles à l’ordre public. Alors que Mme B… ne peut se prévaloir d’aucune attache en France, pays dans laquelle elle est arrivée en septembre dernier et dont elle ne parle pas la langue, son expulsion ne peut être considérée, à la date de la présente ordonnance, comme portant une atteinte gravement illégale à sa liberté d’aller et venir, ni, en tout état de cause, à sa liberté d’expression.»
On notera avec attention le résultat de la décision. Certes. Mais soulignons aussi en creux cette partie du point 5 qui rappelle bien qu’il ne s’agit pas d’expulser toute personne ayant une position, même tranchée voire radicale, à ce sujet :
« le seul usage du slogan ” Palestine vaincra ” ou du terme ” apartheid “, la demande de libération de Georges Ibrahim Abdallah ou l’appel à la protection des populations civiles contre les bombardements israéliens sur Gaza ne sauraient être à eux seuls assimilés à un soutien au Hamas, à des propos antisémites ou à des agissements de provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence contre un groupe de personnes en raison de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion. »
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