La clause exorbitante du droit commun s’apprécie à l’aune des prérogatives données à la personne publique

S’il y a clause exorbitante du droit commun, alors il y a contrat administratif.

Mais cette notion de clause exorbitante a été redéfinie par le Tribunal des conflits en 2014… Plus précisément, il y aura contrat privé au titre de ce critère si le :

« contrat litigieux ne comporte aucune clause qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, implique, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs »

Source : Tribunal des conflits, 13 octobre 2014, n° 3963.

 
C’est cette nouvelle définition, singulièrement la précision selon laquelle la clause pour qualifier le contrat en contrat public doit consister en une prérogative reconnue à la personne publique, qui vient d’être mise en oeuvre, strictement, par la Cour de cassation à l’occasion d’un arrêt en date du 17 février 2016.

En l’espèce un bailleur privé conclut un contrat avec un CCAS pour exécuter un service public, lui même confié à une autre association, via une DSP, par le CCAS. Mais cela ne suffit pas à faire du contrat un contrat public en lui-même pose la Cour de cassation (ce qui eût pu être discuté tout de même).

Et le contrat prévoit des clauses exorbitantes du droit commun… mais au profit non du CCAS mais du bailleur : du coup ce n’est pas une clause exorbitante du droit commun permettant de qualifier le contrat en contrat public, tranche la Cour de cassation.

Ce contrat entre le bailleur et le CCAS relève donc du droit privé et du juge judiciaire…

Décidément, le champ d’application des contrats publics ne cesse de reculer…

Voici l’arrêt :

Arrêt n° 140 du 17 février 2016 (14-26.632) – Cour de cassation – Première chambre civile – ECLI:FR:CCASS:2016:C100140
SÉPARATION DES POUVOIRS

Séparation des pouvoirs

Demandeur(s) : M. Yannick X….
Défendeur(s) : Le centre communal d’action sociale de la commune de Louvres


Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, par acte sous seing privé du 26 mai 2007, l’Association nationale d’équipements sociaux (l’ANRES) a donné à bail au centre communal d’action sociale de Louvres (le  CCAS) un immeuble à usage de résidence pour personnes âgées, moyennant le paiement de redevances mobilières et immobilières annuelles ; que l’ANRES a été placée en liquidation judiciaire par un jugement du 17 mai 2011 ; que M. X.., agissant en qualité de mandataire judiciaire à cette liquidation, a assigné le CCAS en paiement de redevances arriérées ; que ce dernier a soulevé l’incompétence de la juridiction judiciaire au profit de la juridiction administrative ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu la loi des 1624 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Attendu que, pour décliner la compétence de la juridiction judiciaire et renvoyer les parties à mieux se pourvoir, l’arrêt retient que, bien que le CCAS ait confié, suivant délégation de service public, à l’association ANRES gestion, devenue GES association, la gestion du foyerlogement pour personnes âgées, la convention de location conclue entre  l’ANRES et le CCAS ne peut s’analyser en un contrat de droit privé, dès lors qu’elle porte sur l’établissement dans lequel doit être exercée la mission de service public du délégataire ;

Qu’en statuant ainsi, alors que, selon ses propres constatations, le CCAS avait délégué à une autre association la gestion de l’établissement en cause, ce dont il résultait que le contrat de location litigieux avait seulement été conclu pour les besoins du service public, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le moyen unique, pris en ses deuxième et troisième branches :

Vu la loi des 1624 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Attendu que la clause exorbitante du droit commun est celle qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, implique, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ;

Attendu que, pour statuer comme il vient d’être dit, l’arrêt retient que le contrat de location comporte une clause exorbitante du droit commun, son article 4 stipulant que, compte tenu de la spécificité des locaux donnés à bail, le locataire n’aura pas la possibilité de donner congé au cours du bail et que si, contrairement à cet engagement, il entendait y mettre fin, il serait tenu au paiement des redevances jusqu’au terme prévu, lesdites redevances devenant alors immédiatement exigibles ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la clause litigieuse ne conférait un avantage qu’à la personne privée bailleresse, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il déclare recevable l’exception d’incompétence soulevée par le centre communal d’action sociale de Louvres, l’arrêt rendu le 15 septembre 2014, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris.


Président : Mme Batut

Rapporteur : Mme Canas, conseiller référendaire

Avocat général : M. Drouet

Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP TiffreauMarlange et de La Burgade