C’est peu de dire que les débats avec nos consultants financiers préférés, avec qui (en tant qu’avocats) nous intervenons souvent en tandem, prennent un tournant très technique dès qu’il s’agit d’aborder la probable future suppression (à 80%) de la taxe d’habitation.
Passons sur les aspects majeurs de cette réforme, qu’il s’agisse :
- de l’impact sur les habitants ;
- de l’atténuation qui en résultera sur l’autonomie financière des collectivités locales (en pratique et au regard des principes constitutionnels en ce domaine), y compris en termes de dynamique des recettes (ou, tout simplement, des marges de manoeuvre année après année) ;
- du point de savoir si cela atténuera ou augmentera les différences de richesses entre territoires (les deux camps ont des arguments en leurs sens respectifs) ;
- de la logique ou non à glisser vers une prise en compte toujours plus poussée des revenus dans ce genre d’impôts ;
- etc.
Mais s’y ajoutent des éléments techniques en apparence, fondamentaux en réalité :
- prise en compte des nouvelles bases locatives
- intégration ou non des compensations et dégrèvements divers (veufs/veuves ; parts payées par l’Etat lui-même, etc.).
C’est dans ce contexte passionnant et passionné, enthousiasmant et/ou inquiétant selon les interlocuteurs, que l’OFCE, Sciences Po Paris a, lundi dernier, diffusé une étude courte, mais bien documentée, de Pierre Madec et de Mathieu Plane, intitulée « ÉVALUATION DE LA RÉFORME DE LA TAXE D’HABITATION D’EMMANUEL MACRON » (en téléchargement ci-dessous).
Voici le résumé de cette étude par ses auteurs eux-mêmes :
« Dans le cadre de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a inscrit dans son programme l’exonération totale de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages français pour un coût total estimé à 10 milliards d’euros. La taxe d’habitation, qui représente environ un tiers des recettes fiscales des municipalités, pèse pour 1,4 % du revenu dispo- nible des ménages. Si à l’heure actuelle, seuls 15,5 % des ménages n’acquittent aucune taxe d’habitation du fait de l’existence de conditions d’exonération et d’abattements, la mesure proposée par Emmanuel Macron devrait constituer un gain de pouvoir d’achat pour les ménages correspondant à 0,7 % de leur revenu. La mesure cible particulièrement les classes moyennes. En effet, les ménages ayant un niveau de vie compris entre les 4e et 8e déciles devraient bénéficier d’un gain moyen compris entre 410 et 520 euros par an et par ménage, soit près de 4 à 5 fois plus que les gains moyens enregistrés par les ménages des premiers et derniers déciles de niveau de vie. À ces impacts différenciés en termes de niveaux de vie devraient également s’ajouter des différences territoriales sur les gains issus de la réforme. Ainsi, si dans 60 % des départements métropolitains les ménages enre- gistrent avec la réforme un gain moyen compris entre 279 euros et 356 euros, dans certains départements, n’ayant pas une part élevée de bénéficiaires, les ménages devraient connaître une augmentation significative de leur pouvoir d’achat, supérieure à 356 euros. Au final, si la mesure doit bénéficier à l’ensemble des départements, se pose la question de savoir quelles seront les modalités d’application de cette exonération dans le temps si certaines municipalités augmentent ou diminuent les taux d’imposition pour le calcul de la taxe d’habitation. »
Cette étude commence par des chiffres chocs qui ne surprendront pas les praticiens :
« De fait, il existe une grande hétérogénéité entre municipalités, à la fois dans les
taux de taxe d’habitation mais aussi dans les valeurs locatives cadastrales , ce qui conduit à des écarts conséquents sur le poids de la taxe d’habitation dans le revenu des ménages selon le lieu de résidence. Une analyse sur les communes de France métropo- litaine2 nous indique que 20 % des communes françaises affichent une part de taxe d’habitation inférieure à 2,2 % du revenu médian des ménages de la commune, et qu’à l’opposé, la part de la taxe d’habitation dans le revenu médian communal dépasse 3,6 % dans 20 % des communes françaises. »
Les auteurs développent ensuite l’impact sur les communes et les habitants, avec notamment ces rappels de base suivants :
« la taxe d’habitation génère 18,8 milliards d’euros (0,8 % du PIB) de recettes fiscales si on inclut les dégrèvements existants. Les dégrèvements de taxe d’habitation représentent 4 milliards d’euros en 2016 selon le Projet de loi de finances pour 20176 et sont compensés (à l’euro près) par l’État aux collectivités locales. Les collectivités locales ont donc reçu en 2016 près de 23 milliards d’euros (1 point de PIB) au titre de la taxe d’habitation, que ce soit directement sous forme de recettes fiscales ou de compensations financières de l’État liées aux dégrèvements.
En 2016, la taxe d’habitation représentait 662 euros en moyenne par ménage (graphique 1) et 783 euros en moyenne si l’on considère uniquement les ménages ayant une taxe d’habitation non nulle. En effet, 4,2 millions de ménages (15,5 % des ménages) ont une taxe d’habitation égale à zéro »
et il ne faut pas négliger la dynamique exceptionnelle de cet impôt, surtout si l’on anticipe sur les révisions des valeurs locatives et si on prend en compte que la TP, autre impôt dynamique, a été supprimé (ce qui rend plus précieux les autres impôts évolutifs) :
… et sans que cela ne résulte que d’un effet d’augmentation des taux :
et force est de constater (mais on a le droit de le déplorer ou au contraire de s’en féliciter) que la réforme aurait des effets forts différents par zone géographique du point de vue du contribuable :
Citons la conclusion de cette étude :
« En ayant pour objectif de redistribuer du pouvoir d’achat aux ménages par la réduc- tion de la taxe d’habitation, la mesure proposée dans le programme d’Emmanuel Macron s’inscrit dans la même logique que celle de Lionel Jospin en 2000 mais avec une envergure bien supérieure. Elle cible tout particulièrement les classes moyennes qui sont les principales bénéficiaires de la mesure, ainsi que les territoires où les montants de taxe d’habitation par ménage sont élevés et ceux ayant une part de la population éligible importante en raison de revenus concentrés autour du niveau de vie médian dans la limite de 20 000 euros.
« Par ailleurs, se posera la question de l’évolution dans le temps des compensations de l’État vers les municipalités et de l’indépendance des municipalités dans la gestion locale. Si les compensations de l’État se fondent sur la fiscalité locale telle qu’elle existe aujourd’hui, elles intégreront de fait les fortes différences de taux de taxe d’habitation selon les municipalités. Ainsi, en cas de gel dans le marbre de ces compensations, le transfert opéré par l’État risque de pénaliser les municipalités ayant fait par le passé des efforts budgétaires pour réduire les taux locaux (et favoriser les autres). Ainsi, se pose la question de savoir quelles seront les modalités d’application de cette exonération dans le temps si certaines municipalités augmentent ou diminuent les taux d’imposition pour le calcul de la taxe d’habitation. Enfin, pour les ménages, le risque d’effet de seuil est important si l’exonération de taxe d’habitation se fait uniquement en-dessous d’un certain montant de revenu fiscal sans barème progressif ».
VOICI EN TÉLÉCHARGEMENT DONC CETTE ÉTUDE de l’OFCE, Sciences Po Paris, de Pierre Madec et de Mathieu Plane, intitulée « ÉVALUATION DE LA RÉFORME DE LA TAXE D’HABITATION D’EMMANUEL MACRON » :
OFCE-Taxe-d-habitation-26-06
MISE A JOUR AU 18 JUILLET : VOIR
MISE A JOUR AU 20 JUILLET : LA RÉFORME DEVRAIT PASSER PAR UN DÉGRÈVEMENT AVEC NEUTRALITÉ POUR LES COLLECTIVITÉS À L’INSTANT T (MAIS PERTE DU DYNAMISME DE LA RECETTE ET SANS REVALORISATION DES BASES CADASTRALES ; DIFFICULTÉS RESIDUELLES SUR LES ÉVOLUTIONS EN COURS NOTAMMENT POUR LES VEUFS ET VEUVES).
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