Le TA de Montpellier rappelle qu’il ne saurait y avoir de marché de conception réalisation… si les travaux à effectuer s’avèrent assez simples

En droit, le marché de conception-réalisation est un contrat de travaux unique incluant une d’étude puis une autre de travaux, successivement régi par :

  •  l’article 37 du code des marchés publics
  • puis par  l’article 33 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 et l’article 91 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016
  • et maintenant par l’article L. 2171-2 du tout nouveau code de la commande publique.

 

Citons ce dernier article :

«Le marché de conception-réalisation est un marché de travaux permettant à l’acheteur de confier à un opérateur économique une mission portant à la fois sur l’établissement des études et l’exécution des travaux.

Les acheteurs soumis aux dispositions du livre IV ne peuvent conclure un marché de conception-réalisation, quel qu’en soit le montant, que si des motifs d’ordre technique ou un engagement contractuel portant sur l’amélioration de l’efficacité énergétique ou la construction d’un bâtiment neuf dépassant la réglementation thermique en vigueur rendent nécessaire l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage. Un tel marché est confié à un groupement d’opérateurs économiques. Il peut toutefois être confié à un seul opérateur économique pour les ouvrages d’infrastructures.

Toutefois, les conditions mentionnées au précédent alinéa ne sont pas applicables aux marchés de conception-réalisation relatifs à la réalisation de logements locatifs aidés par l’Etat financés avec le concours des aides publiques mentionnées au 1° de l’article L. 301-2 du code de la construction et de l’habitation, lorsqu’ils sont conclus par les organismes d’habitations à loyer modéré mentionnés à l’article L. 411-2 du même code et les sociétés d’économie mixte de construction et de gestion de logements sociaux. »

 

Les conditions de recours à ce contrat ont un peu évolué dans le temps mais schématiquement on reste bien sauf parfois en logement social autour d’une condition matricielle en 2 points :

  1. des motifs d’ordre technique (ou un engagement contractuel portant sur l’amélioration de l’efficacité énergétique ou la construction d’un bâtiment neuf dépassant la réglementation thermique en vigueur)
  2. rendent nécessaire l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage.

… ce qui induit le recours plutôt exceptionnel à ce type de contrats (voir en ce sens : CE, 14 mars 2017, n° 16PA02230).

Il est frappant de voir, décennie après décennie, des collectivités persister à recourir à ce type de contrat pour des besoins techniques standard, simples, où il est difficile de prétendre que s’impose techniquement  « l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage ».

Non cela ne peut dès lors s’appliquer à une simple extension / restructuration d’une école ( CE, 28 décembre 2001, n° 221649. Non il ne peut s’appliquer à des contrats n’ayant pas principalement des travaux pour objets (CE, 26 juin 2015, n° 389682). Non il ne convient pas à des ateliers-relais pour dirigeables (CE, 8 juillet 2005 , n° 268610). Pas plus qu’à une tribune de stade (CAA Nancy, 21 octobre 2004, n° 00NC00373) ou à un (pourtant vaste) complexe multisports  (CAA Nancy, 5 août 2004, n° 01NC00110).

Les cas où ces contrats ont été reconnus comme adaptés concernent souvent des performances énergétiques ou des cas où un process vraiment particulier s’impose requérant de concevoir conception et réalisation ensemble (voir par exemple CAA Nantes, 14 mai 2018, n° 17NT01662, sté Lang et autres).

 

Est-ce le cas pour une salle multimodale ? La multimodalité et les questions acoustiques permettent-elles de ne pas tomber sous la censure des jurisprudences précitées ?

Bien sûr que non. Aussi est-ce sans surprise que par un jugement du 28 mars 2019, le Tribunal administratif de Montpellier, saisi par un conseiller municipal de Narbonne, a prononcé la résiliation, avec effet différé au 31 août 2019, du marché de conception-réalisation d’une salle multimodale destinée à accueillir les activités sportives et culturelles, conclu le 8 août 2017 par la commune avec une société de TP.

Et pourtant, nous avons voulu relater cette affaire tant le mythe d’un recours aisé à ces contrats demeure ancré dans certains esprits, mus par le souhait d’accélérer les procédures ou convaincus par d’habiles argumentations.

Le TA a donc considéré que la commune de Narbonne ne pouvait au cas d’espèce légalement recourir à un marché de conception-réalisation, qui est un marché de travaux qui permet au pouvoir adjudicateur de confier à un groupement d’opérateurs économiques une mission portant à la fois sur l’établissement des études et l’exécution des travaux.

Il s’est fondé sur l’article 18 de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée et l’article 37 du code des marchés publics alors applicable qui subordonnent le recours à un tel marché notamment lorsque la complexité technique de la réalisation de l’ouvrage rend nécessaire l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage.

Le tribunal a estimé que le dossier ne révélait pas que le choix de construction de la salle multimodale de Narbonne exigeait, au regard de ses dimensions, des contraintes acoustiques, des matériaux utilisés et des exigences de modularité pour accueillir à brefs délais des évènements différents, un mode de construction spécifique présentant des difficultés techniques particulières nécessitant d’associer les entrepreneurs aux études de l’ouvrage. Il en a déduit que le recours à la procédure de conception-réalisation était irrégulier.

 

Voici ce jugement n° 1704222-1900454 du 28 mars 2019 du TA de Montpellier :

1704222