Une instruction qui ne décrit pas de procédure administrative ni n’interprète le droit positif n’est pas implicitement abrogée faute de publication… et le juge admet une interprétation très limitée des domaines où une telle publication s’impose (non application aux instructions sur le LBD)

Selon le Conseil d’Etat, une instruction par laquelle le ministre de l’intérieur, en sa qualité de chef de service, a défini à destination des seuls services et unités chargés du maintien de l’ordre les conditions d’utilisation des armes de force intermédiaire, ne comporte pas de description des procédures administratives ni d’interprétation du droit positif au sens et pour l’application de l’article L. 312-2 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) et de l’article 7 du décret n° 2018-1047 du 28 novembre 2018.

Dès lors elle n’avait pas d’obligation d’être publiée et elle ne peut, selon la Haute Assemblée, être regardée comme abrogée en raison de son absence de publication sur un des supports légalement prévus à cette fin.

Donc :

  • une instruction qui ne décrit pas de procédure administrative ni n’interprète le droit positif n’est pas implicitement abrogée faute de publication (certes, ce n’est pas nouveau)…
  • et le juge admet une interprétation très limitée des instructions ayant dès lors à être publiées (non application à une instruction relative aux conditions d’utilisation des LBD en l’espèce…), ce qui est une extension nouvelle du champ des instructions n’ayant pas à être publiées (ou une restriction nouvelle au champ des instructions ayant à l’être car jugées comme décrivant une procédure administrative ou/ et interprétant le droit positif, au choix). Ne pas y voir une interprétation du droit des forces de l’Ordre quant à l’usage de leurs armes… relève d’une démarche tout à fait hardie des sages du Palais Royal. Mais qui ne surprendra que les novices dans l’art juridictionnel de laisser une marge de manoeuvre à l’Etat dans ses domaines régaliens et ses activités complexes.

 

Sur le LBD, voir :

 

Voir, surtout, cet arrêt qui aura les honneurs des tables du recueil Lebon :

 


 

Conseil d’État

N° 427638
ECLI:FR:CECHR:2019:427638.20190724
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
10ème – 9ème chambres réunies
M. Laurent Roulaud, rapporteur
M. Alexandre Lallet, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats
lecture du mercredi 24 juillet 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral

Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 427638, par une requête enregistrée le 4 février 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Ligue des droits de l’homme demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir les décisions du ministre de l’intérieur refusant de mettre fin à l’utilisation du lanceur de balles de défense de 40 mm lors des opérations de maintien de l’ordre et autorisant son usage lors des manifestations de janvier et février 2019, révélées par les déclarations du ministre de l’intérieur des 18 et 29 janvier 2019 et matérialisées par les télégrammes des 15 et 23 janvier 2019 du directeur général de la police nationale et par le message du 16 janvier 2019 du directeur général de la gendarmerie nationale ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n°428895, par une requête enregistrée le 15 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Confédération générale du travail, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, l’Union nationale des étudiants de France et l’Union nationale lycéenne – syndicale et démocratique demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir les décisions du ministre de l’intérieur refusant de mettre fin à l’utilisation du lanceur de balles de défense de 40 mm lors des opérations de maintien de l’ordre et autorisant son usage lors des manifestations de janvier et février 2019, révélées par les déclarations du ministre de l’intérieur des 18 et 29 janvier et 21 février 2019 et matérialisées par les télégrammes des 15 et 23 janvier 2019 du directeur général de la police nationale et par le message du 16 janvier 2019 du directeur général de la gendarmerie nationale ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
…………………………………………………………………………
3° Sous le n°429621, par une requête enregistrée le 9 avril 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Ligue des droits de l’homme demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre et le ministre de l’intérieur sur sa demande tendant à l’abrogation des articles D. 211-10 à R. 211-21-1, R. 311-1 et R. 311-2 du code de la sécurité intérieure et de l’instruction des 27 juillet et 2 août 2017 du ministre de l’intérieur ;

2°) d’enjoindre au Premier ministre et au ministre de l’intérieur d’abroger ces dispositions ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

…………………………………………………………………………

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de la sécurité intérieure ;
– le décret n° 2018-1047 du 28 novembre 2018 ;
– la décision n°427638, 428895 du 12 avril 2019 du Conseil d’Etat statuant au contentieux ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Laurent Roulaud, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Ligue des droits de L’homme et à la SCP Foussard, avocat de la Confédération générale du travail, du syndicat de la magistrature, du syndicat des avocats de France, de l’Union nationale des étudiants de France et de l’Union nationale lycéenne – syndicale et démocratique ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n°s 427638, 428895 et 429621, qui tendent à l’annulation pour excès de pouvoir, en premier lieu, des décisions et actes du ministre de l’intérieur refusant de mettre fin à l’utilisation du lanceur de balles de défense de 40 mm lors des opérations de maintien de l’ordre et autorisant son usage lors des manifestations de janvier et février 2019, en deuxième lieu, de la décision implicite du Premier ministre refusant d’abroger les articles D. 211-10 à R. 211-21-1, R. 311-1 et R. 311-2 du code de la sécurité intérieure et, enfin, de la décision du ministre de l’intérieur refusant d’abroger son instruction des 27 juillet et 2 août 2017 présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur la recevabilité des conclusions dirigées contre les décisions qui seraient révélées par des déclarations du ministre de l’intérieur lors d’entretiens avec des journalistes :

2. Les conditions d’utilisation de l’arme à feu dénommée  » Lanceur de balles de défense de 40 mm  » ( » B…de 40 mm « ) pour le maintien de l’ordre ont été rappelées aux services concernés de la police nationale et de la gendarmerie par des télégrammes du ministre de l’intérieur des 15 et 16 janvier 2019. Par un nouveau télégramme du 23 janvier 2019, le ministre de l’intérieur leur a en outre donné instruction de doter, dans la mesure du possible, les porteurs de B…ou leur binôme d’une caméra-piéton, afin d’enregistrer les conditions dans lesquelles il est fait usage de cette arme. Si ces télégrammes doivent être regardés comme révélant la décision de maintenir l’usage de cette arme en cas d’attroupements lors des manifestations dites  » des gilets jaunes « , les déclarations du ministre lors d’entretiens en date des 18 et 29 janvier 2019 et 21 février 2019, en réponse à des journalistes, ne révèlent aucune décision susceptible d’être attaquée par la voie du recours en excès de pouvoir. Il s’ensuit que les conclusions des requêtes n°s 427638 et 428895 dirigées contre les décisions qui auraient été révélées par les déclarations du ministre de l’intérieur des 18 et 29 janvier 2019 et 21 février 2019 sont irrecevables et ne peuvent qu’être rejetées. L’intervention de l’Union départementale de Paris du syndicat CGT et de l’Union syndicale solidaire sous le n° 428895 est par voie de conséquence irrecevable en tant qu’elle vient au soutien de ces conclusions.

Sur les autres conclusions des requêtes :

3. La Confédération générale du travail, le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, l’Union nationale des étudiants de France et l’Union nationale lycéenne – syndicale et démocratique, l’Union départementale de Paris du syndicat de la Confédération générale du travail et l’Union syndicale solidaire justifient d’un intérêt suffisant à intervenir à l’appui de conclusions tendant à l’annulation des décisions attaquées portant refus d’abroger les dispositions réglementaires du code de la sécurité intérieure, refus d’abroger l’instruction ministérielle des 27 juillet et 2 août 2017 encadrant l’usage du B…de 40 mm et refus pris en janvier et février 2019 d’interdire l’usage de cette arme. Par suite, leurs interventions sous les n° 428895 et 429621 sont recevables et doivent être admises dans cette mesure.

Sur le cadre juridique régissant l’usage des lanceurs de balles de défense (B…) de 40 mm :

4. Aux termes des premier, sixième et septième alinéas de l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure, un attroupement, au sens de l’article 431-3 du code pénal, c’est-à-dire tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public :  » (…) peut être dissipé par la force publique après deux sommations de se disperser demeurées sans effet (…) / Toutefois, les représentants de la force publique appelés en vue de dissiper un attroupement peuvent faire directement usage de la force si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent. / Les modalités d’application des alinéas précédents sont précisées par un décret en Conseil d’Etat (…) « . Aux termes de l’article R. 211-13 du même code :  » L’emploi de la force par les représentants de la force publique n’est possible que si les circonstances le rendent absolument nécessaire au maintien de l’ordre public dans les conditions définies par l’article L. 211-9. La force déployée doit être proportionnée au trouble à faire cesser et son emploi doit prendre fin lorsque celui-ci a cessé « . Aux termes de son article
R. 211-18 :  » Sans préjudice des articles 122-5 et 122-7 du code pénal, peuvent être utilisées dans les deux cas prévus au sixième alinéa de l’article L. 211-9 du présent code (…) les armes à feu des catégories A, B et C adaptées au maintien de l’ordre correspondant aux conditions de ce sixième alinéa, entrant dans le champ d’application de l’article R. 311-2 et autorisées par décret « . Il résulte des dispositions de l’article R. 211-19 du code de la sécurité intérieure que l’arme à feu, non létale, dénommée  » Lanceur de balles de défense de 40 mm « , qui constitue une arme de catégorie A2 visée par le 4° de l’article R. 311-2 du même code, ainsi que ses munitions, qui sont de catégorie B, sont susceptibles d’être utilisées par les représentants de la force publique pour le maintien de l’ordre public en application de l’article R. 211-18 du code de la sécurité intérieure. Enfin, en vertu de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie peuvent faire usage de leurs armes  » en cas d’absolue nécessité et de manière proportionnée  » dans les cas mentionnés à cet article et à l’article L. 211-9 précité du même code.

5. Par une instruction des 27 juillet et 2 août 2017, le ministre de l’intérieur a rappelé aux services de la police nationale et aux unités de la gendarmerie nationale les conditions dans lesquelles devaient être utilisées les armes à feu dites  » de force intermédiaire  » (AFI). L’instruction indique que l’emploi des AFI permet une réponse graduée et proportionnée à une situation de danger lorsque l’emploi légitime de la force s’avère nécessaire. Au nombre de ces armes, figurent les lanceurs de balles de défense de calibre 40 mm ( » B…de 40 mm « ), dont les conditions d’emploi sont indiquées à l’annexe II de l’instruction.

6. Si l’article L. 312-2 du code des relations entre le public et l’administration dispose que :  » Font l’objet d’une publication les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives. Les instructions et circulaires sont réputées abrogées si elles n’ont pas été publiées, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret. / Un décret en Conseil d’Etat pris après avis de la commission mentionnée au titre IV précise les autres modalités d’application du présent article  » et l’article 7 du décret du 28 novembre 2018 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires prévoit que  » les circulaires et instructions signées avant cette date sont réputées abrogées au 1er mai 2019 si elles n’ont pas, à cette dernière date, été publiées sur les supports prévus par les dispositions de la section 2 du chapitre II du titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l’administration « , l’instruction des 27 juillet et 2 août 2017 par laquelle le ministre de l’intérieur, en sa qualité de chef de service, a défini à destination des seuls services et unités chargés du maintien de l’ordre les conditions d’utilisation des armes de force intermédiaire, ne comporte pas description des procédures administratives ni d’interprétation du droit positif au sens et pour l’application de ces dispositions. Elle ne peut donc être regardée comme abrogée en raison de son absence de publication sur un des supports légalement prévus à cette fin.

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

7. Il incombe au législateur, au pouvoir réglementaire et, en sa qualité de chef de service, au ministre de l’intérieur de définir, dans leur champ de compétences respectifs, les conditions d’usage de la force et les modalités d’utilisation de leurs armes par les représentants de la force publique pour le maintien de l’ordre dans le respect des exigences découlant des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui, respectivement, protège le droit à la vie et prohibe les traitements inhumains et dégradants. Il leur appartient, ce faisant, non seulement de s’abstenir de provoquer des atteintes aux droits ainsi protégés mais aussi de prendre les dispositions et mesures de précaution propres à éviter le risque qu’il y soit porté atteinte par le recours à la force et à l’usage des armes.

S’agissant du refus d’abroger les dispositions réglementaires du code de la sécurité intérieure :

8. Il résulte des dispositions mentionnées au point 4 que l’usage du B…de 40 mm est limité, outre les cas de légitime défense et d’état de nécessité, aux seules hypothèses dans lesquelles, dans le cadre de la dissipation d’un attroupement qu’implique la sauvegarde de l’ordre public, des violences ou voies de fait sont exercées contre les représentants de la force publique ou ces derniers sont dans l’impossibilité de défendre autrement le terrain qu’ils occupent. Les conditions d’utilisation de cette arme de catégorie A2 sont strictement encadrées, de manière à assurer, conformément aux articles L. 435-1 et R. 211-13 du code de la sécurité intérieure, que son usage est absolument nécessaire au maintien de l’ordre public compte tenu des circonstances et que son emploi est strictement proportionné au trouble à faire cesser et prend fin lorsque celui-ci a cessé. Ces conditions d’utilisation s’imposent à l’ensemble des forces de l’ordre et leur méconnaissance est de nature à engager leur responsabilité et à fonder, le cas échéant, des poursuites pénales. Il s’ensuit qu’eu égard à l’usage qui doit être normalement fait du B…dans le respect des conditions d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité, le refus d’abroger les dispositions réglementaires litigieuses du code de la sécurité intérieure ne méconnaît pas les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

S’agissant du refus d’abroger l’instruction ministérielle des 27 juillet et 2 août 2017 encadrant l’usage du B…de 40 mm :

9. L’annexe II de l’instruction des 27 juillet et 2 août 2017 destinée aux seuls services et unités chargés du maintien de l’ordre rappelle que l’utilisation du B…de 40 mm est  » autorisée seulement lorsque les conditions légales sont réunies « , c’est-à-dire dans les cas visés aux articles 112-5 et 122-7 du code pénal ainsi qu’aux articles L. 211-9, 6ème alinéa, et L. 431-5 du code de la sécurité intérieure, et qu’elle est soumise aux principes de nécessité et de proportionnalité. Elle précise que l’affectation d’un B…de 40 mm est temporaire et doit répondre aux besoins d’une mission, qu’une habilitation individuelle, soumise à une formation initiale, est préalable à tout port de cette arme et que le maintien de cette habilitation est assujetti aux résultats d’une formation continue. Elle comporte également les précautions d’emploi du B…de 40 mm. A…ce titre, il est indiqué que le tireur doit, dans la mesure du possible, s’assurer que les tiers éventuellement présents se trouvent hors d’atteinte, afin de limiter les risques de dommages collatéraux, et doit prendre en compte les différents paramètres (distance de tir, mobilité de la personne, …) qui conditionnent l’efficacité du tir. Le tireur doit aussi, lorsque les circonstances le permettent, éviter de recourir au B…quand la personne présente un état de vulnérabilité manifeste et tenir compte, autant que possible, des risques liés à la chute de la personne visée après l’impact reçu. Enfin, l’instruction énonce que la tête ne doit jamais être visée et que le tireur doit privilégier le torse de préférence aux membres supérieurs et inférieurs.

10. D’une part, il ressort des pièces du dossier que les conditions d’utilisation du B…de 40 mm prescrites par l’instruction litigieuse visent, en encadrant strictement l’usage de cette arme, à ce que le cadre législatif et réglementaire rappelé au point 4 soit mis en oeuvre dans le respect des exigences d’absolue nécessité et de stricte proportionnalité. D’autre part, en imposant des précautions d’emploi et des conditions strictes de contrôle et de formation, cette instruction contribue à diminuer le risque d’un mauvais usage de cette arme. Or, il ne ressort pas des pièces du dossier que les conditions ainsi mises à l’utilisation du B…de 40 mm ne pourraient, par nature, être respectées. Il s’ensuit que le refus d’abroger l’instruction litigieuse ne méconnaît pas les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

S’agissant des décisions de janvier et février 2019 refusant d’interdire l’usage du B…de 40 mm :

11. Il ressort des pièces du dossier que les décisions par lesquelles le ministre de l’intérieur a décidé en janvier et février 2019 de maintenir l’usage, par les forces de l’ordre, du B…de 40 mm, et donc a refusé d’interdire immédiatement et de façon générale son usage, sont intervenues dans un contexte de particulière violence. En effet, les très nombreuses manifestations qui se sont répétées semaine après semaine depuis le mois de novembre 2018 sur l’ensemble du territoire national, sans que des parcours soient toujours clairement déclarés ou respectés, ont été très fréquemment l’occasion de violences volontaires occasionnant plus de 1300 blessés parmi les représentants des forces de l’ordre et les sapeurs pompiers à la date du 4 février 2019, de voies de fait, d’atteintes aux biens et de destructions. Il est vrai qu’il est constant que l’usage du B…40 mm a provoqué des blessures, parfois très graves, le mémorandum du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe du 26 février 2019 faisant état de 12 122 tirs ayant provoqué 193 blessures, localisées au niveau de la tête pour 189 d’entre elles. Toutefois, eu égard, d’une part, aux conditions d’usage et aux précautions d’emploi décrites aux points précédents, et, d’autre part, à la nécessité de permettre aux forces de l’ordre de recourir à cette arme qui constituait, à la date des décisions attaquées, un élément essentiel du dispositif global de maintien de l’ordre sans lequel elles n’auraient pu faire face à ces situations de particulière violence qui prévalaient alors, ces circonstances ne conduisent pas à ce que les refus attaqués de mettre fin immédiatement et de façon générale à leur usage soient regardées comme portant atteinte aux articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance des articles 10, 11 et 18 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

12. Si les requérants soutiennent que l’usage du B…de 40 mm pour le maintien de l’ordre dissuade de façon excessive les personnes souhaitant manifester une opposition politique d’exprimer collectivement leur opinion et d’exercer pour ce faire leur liberté de manifester de façon pacifique, le recours à cette arme de force intermédiaire n’a pas pour objet et ne saurait avoir légalement pour effet d’interdire le déroulement de manifestations pacifiques ou de restreindre le droit d’y prendre part. Il s’ensuit que le moyen tiré de ce que les décisions attaquées porteraient une atteinte excessive à la liberté de manifestation et à la liberté d’expression protégée par les stipulations de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi qu’aux articles 11 et 18 de la même convention doit être écarté.

13. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l’intérieur, que les requêtes doivent être rejetées, y compris les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de la Confédération générale du travail, du Syndicat de la magistrature, du Syndicat des avocats de France, de l’Union nationale des étudiants de France et l’Union nationale lycéenne – syndicale et démocratique sont admises. Les interventions de l’Union départementale de Paris du syndicat de la Confédération générale du travail et de l’Union syndicale solidaire sont admises sauf en tant qu’elles portent, sous le n° 428895, sur les conclusions dirigées contre des décisions révélées par des déclarations du ministre de l’intérieur lors d’entretiens avec des journalistes.
Article 2 : Les requêtes de la Ligue des droits de l’homme enregistrées sous les n°s 427638 et 429621 et la requête de la Confédération générale du travail et autres enregistrée sous le n° 428895 sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Ligue des droits de l’homme, à la Confédération générale du travail, au Syndicat de la magistrature, au Syndicat des avocats de France, à l’Union nationale des étudiants de France, à l’Union nationale lycéenne -syndicale et démocratique, à l’Union départementale de Paris du syndicat de la Confédération générale du travail, à l’Union syndicale solidaire et au ministre de l’intérieur.
Copie sera transmise au Premier ministre.