Une commune a récemment servi du pain (sec ?) et de l’eau à des enfants dont les parents étaient en retard de paiement de cantine.
Ce sujet peut être pris sous bien des angles :
- moral
- médiatique
- éducatif et nutrionnel
- légalité ou non de cette réponse
- effet psychologique pour les enfants et légalité de la décision à cette aune
Chacun de ses angles, même si l’on s’en tenait aux dimensions juridiques, nécessiterait de longs développements et pourrait donner lieu à moult débats, légitimement d’ailleurs sans doute.
Mais sur les réseaux sociaux, j’ai été interpellé sur un point plus précis, à ce sujet, donnant lieu à quelques échanges. Il s’agit de la question de savoir si le comptable public pouvait et devait engager des actions en recouvrement, quitte à engager des actions de saisie à tiers détenteur (banques mais aussi organismes sociaux).
Détaillons ce point :
I. Sur le rôle du comptable public
La réponse est OUI cela relève des obligations du comptable public, sous sa responsabilité financière, bien sûr, avec trois bémols :
- 1/ le comptable public n’agira pas pour les collectivités en dessous de 15 € de créance :
- voir sur ce point l’article D. 1611-1 du CGCT
- tel que résultant d’une réforme du 7 avril 2017 :
- 2/ en délégation de service public cela relèvera en revanche du délégataire, même s’il importe d’avoir à l’esprit que sécuriser en droit une DSP dans ce domaine nécessite quelques ajustements juridiques précis (voir Restauration collective, notamment scolaire : comment sécuriser qu’on est bien en DSP ?)
- 3/ il peut y avoir des atténuations sur la responsabilité du comptable :
- car les fautes du comptable à ce stade :
- peuvent assez souvent ne pas engager la responsabilité de l’Etat et ce dans des conditions tout à fait contestables. Voir par exemple :
- Conseil d’Etat, 10 octobre 2014, n° 356722, Ministre du budget c. Commune de Cavalaire-sur-Mer
- Collectivités : les erreurs du comptable public, agent de l’Etat… sont souvent de votre propre faute, selon le TA de Melun (!)… puisque ledit comptable agit pour le compte de la collectivité (LOL)
- et les communes ne peuvent se reporter sur la responsabilité du comptable public si le procureur financier décide de ne pas poursuivre celui ci. Voir :
- Juridictions financières : il est constitutionnel que les procureurs financiers aient le monopole des poursuites… Dommage pour les personnes publiques qui ont des créances à recouvrer sur leur comptable
- Décision C. const. n° 2019-795 QPC du 5 juillet 2019
- peuvent assez souvent ne pas engager la responsabilité de l’Etat et ce dans des conditions tout à fait contestables. Voir par exemple :
- lors des passations de pouvoir entre comptables (des réserves peuvent être admises si moult créances de ce type sont encore recouvrables lorsqu’arrive le nouveau comptable mais que celui-ci ne pourra pas raisonnablement les recouvrer dans le délai légal. Voir Quand s’accumulent les créances qui ne sont que théoriquement recouvrables… [VIDEO] ; CE, 17 juin 2019, n° 410876)
- car les fautes du comptable à ce stade :
II. Sur la saisie à tiers détenteur
Citons sur ce point le bon résumé, court et récent, d’une réponse ministérielle à une question écrite parlementaire :
Question écrite n° 08827 de M. Hervé Maurey (Eure – UC) – Réponse du Ministère des solidarités et de la santé publiée dans le JO Sénat du 29/08/2019 – page 4412
Les dispositions du code de la sécurité sociale, plus précisément celles de l’article L. 553-4, prévoient que si prestations familiales sont par principe incessibles et insaisissables, sauf pour le recouvrement des prestations indûment versées à la suite d’une manœuvre frauduleuse ou d’une fausse déclaration de l’allocataire, certaines prestations (l’allocation de base, la prestation partagée d’éducation de l’enfant, les allocations familiales, le complément familial, l’allocation de rentrée scolaire et l’allocation de soutien familial) peuvent toutefois être saisies pour le paiement des dettes alimentaires. La Cour de cassation a, dans plusieurs décisions des années 1980, jugé que les frais de cantines constituaient une dette alimentaire, et que l’absence de règlement par les parents pouvaient donner lieu à saisie –arrêt sur ces prestations par la commune gestionnaire, dans le respect du barème de recouvrement fixé par la réglementation. Les communes disposent donc déjà des moyens juridiques de faire face aux impayés de cantine scolaire par la mobilisation des prestations familiales lorsque les familles en bénéficient par ailleurs. Elles utilisent régulièrement cette procédure dite de saisie administrative à tiers détenteur, non seulement pour des dettes de cantine mais aussi pour des dettes de garde d’enfant, de transport scolaire, ou encore de colonies de vacances, par l’intermédiaire des trésoreries agissant pour leur compte qui saisissent le directeur comptable et financier de la caisse d’allocations familiales pour effectuer des retenues sur les prestations servies aux familles débitrices.
A noter : l’application de ce régime au cas du RSA donne lieu à un débat subtil en droit.