Friches et commerces de centre ville sont à prendre en considération par les CDAC… mais sans être des paramètres dirimants à eux seuls

Le Conseil d’Etat vient de rendre une importante décision en matière d’aménagement commercial (urbanisme commercial) : la CDAC doit certes prendre en compte le commerce de centre ville et les friches… OUI. Mais le droit ne subordonne pas la délivrance de l’autorisation à l’absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes ou à l’absence de friche. Et le contenu de l’analyse d’impact (qui prévoit des études sur ces points)  n’institue pas ainsi, même indirectement, un critère d’évaluation supplémentaire d’ordre économique. Le Conseil d’Etat , à cette occasion, fait prévaloir, par cette décision, une interprétation du droit français permettant de sauver celui-ci, sur ce point, d’une possible censure, sinon, au regard du droit européen…

 

Le Conseil d’Etat vient de rendre une importante décision à publier aux tables du rec., relative aux critères à prendre en compte par les commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) lorsqu’elles doivent statuer sur les demandes d’autorisation d’exploitation commerciale (art. L. 752-6 du code de commerce). Se posait notamment la question de savoir si ce régime, tel qu’issu de la loi du 23 novembre 2018,   méconnaissait la liberté d’établissement (de l’article 49 du TFUE et de la directive « Services »). 

Cet article L. 752-6 du Code du commerce impose que la CDAC prenne « en considération » : 

«1° En matière d’aménagement du territoire :
a) La localisation du projet et son intégration urbaine ;
b) La consommation économe de l’espace, notamment en termes de stationnement ;
c) L’effet sur l’animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ;
d) L’effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ;
e) La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d’implantation, des communes limitrophes et de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d’implantation est membre ;
f) Les coûts indirects supportés par la collectivité en matière notamment d’infrastructures et de transports ;

2° En matière de développement durable :
a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique et des émissions de gaz à effet de serre par anticipation du bilan prévu aux 1° et 2° du I de l’article L. 229-25 du code de l’environnement, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l’emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l’imperméabilisation des sols et de la préservation de l’environnement ;
b) L’insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l’utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ;
c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche.
Les a et b du présent 2° s’appliquent également aux bâtiments existants s’agissant des projets mentionnés au 2° de l’article L. 752-1 ;

3° En matière de protection des consommateurs :
a) L’accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l’offre par rapport aux lieux de vie ;
b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ;
c) La variété de l’offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales ;
d) Les risques naturels, miniers et autres auxquels peut être exposé le site d’implantation du projet, ainsi que les mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs.

II.-A titre accessoire, la commission peut prendre en considération la contribution du projet en matière sociale. »

 

Puis le III de ce même article précise le contenu de l’analyse d’impact du projet qui est à produire par le demandeur à l’appui de sa demande d’autorisation Et il est prévu que cette analyse :

« évalue les effets du projet sur l’animation et le développement économique du centre-ville de la commune d’implantation, des communes limitrophes et de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d’implantation est membre, ainsi que sur l’emploi, en s’appuyant notamment sur l’évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l’offre de mètres carrés commerciaux déjà existants dans la zone de chalandise pertinente, en tenant compte des échanges pendulaires journaliers et, le cas échéant, saisonniers, entre les territoires. »

Le IV de ce même impact impose par ailleurs audit demandeur de démontrer, dans cette analyse d’impact :

«qu’aucune friche existante en centre-ville ne permet l’accueil du projet envisagé. En l’absence d’une telle friche, il doit démontrer qu’aucune friche existante en périphérie ne permet l’accueil du projet envisagé. »

Le Conseil d’Etat dans cette nouvelle décision confirme que ces dispositions ajoutées au I de l’article L. 752-6 du code de commerce par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, telles qu’interprétées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2019-830 QPC du 12 mars 2020, poursuivent «  l’objectif d’intérêt général de favoriser un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, de lutter contre le déclin des centres-villes ».

Elles se bornent, poursuit la Haute Assemblée, « à prévoir un critère supplémentaire pour l’appréciation globale par les commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) des effets du projet sur l’aménagement du territoire et ne subordonnent pas la délivrance de l’autorisation à l’absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes ».

L’analyse d’impact prévue par le III du même article vise à faciliter l’appréciation des effets du projet sur l’animation et le développement économique des centres-villes et de l’emploi et, précise le Conseil d’Etat, « n’institue aucun critère d’évaluation supplémentaire d’ordre économique ».

Enfin, les dispositions du IV de l’article L. 752-6, relatives à l’existence d’une friche en centre-ville ou en périphérie, ont pour seul objet, selon le Palais Royal, d’instituer un critère supplémentaire permettant d’évaluer si, compte tenu des autres critères, le projet compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi.

Ces dispositions n’ont donc pas pour effet d’interdire toute délivrance d’une autorisation au seul motif qu’une telle friche existerait.

Il en résulte que ces dispositions, pose le Conseil d’Etat, qui n’ont ni pour objet, ni pour effet d’instituer des critères constitutifs d’un test économique, mais ont pour seul objet de lutter contre le déclin des centres-villes et s’inscrivent dans un objectif d’aménagement du territoire, sont justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général.

Par suite, ces dispositions ne méconnaissent ni les stipulations de l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ni celles du point 5) de l’article 14 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 (dite « Services »)… nous affirme donc le Conseil d’Etat qui a donc désactivé, en quelque sorte, les interprétations les plus rigoureuses de ces textes pour imposer une interprétation qui, elle est conforme au droit européen ou dont on peut défendre solidement qu’elle l’est. 

 

 

Conseil d’État

N° 431703
ECLI:FR:CECHR:2020:431703.20200715
Mentionné aux tables du recueil Lebon
4ème – 1ère chambres réunies

M. Pierre Vaiss, rapporteur
M. Raphaël Chambon, rapporteur public
SCP DE CHAISEMARTIN, DOUMIC-SEILLER, avocats

Lecture du mercredi 15 juillet 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 431703, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 17 juin et 16 septembre 2019 et le 12 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la société BEMH demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2019-331 du 17 avril 2019 relatif à la composition et au fonctionnement des commissions départementales d’aménagement commercial et aux demandes d’autorisation d’exploitation commerciale.

2° Sous le n° 431724, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 juin et 17 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le Conseil national des centres commerciaux demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2019-331 du 17 avril 2019 relatif à la composition et au fonctionnement des commissions départementales d’aménagement commercial et aux demandes d’autorisation d’exploitation commerciale ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 6 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

…………………………………………………………………………

3° Sous le n° 433921, par une requête, enregistrée le 26 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le Conseil national des centres commerciaux demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du ministre de l’économie et des finances du 19 juin 2019 fixant le contenu du formulaire de demande d’habilitation pour réaliser l’analyse d’impact mentionnée au III de l’article L. 752-6 du code de commerce ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

…………………………………………………………………………

Vu :

– la Constitution ;
– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur ;
– le code de commerce ;
– le code de la construction et de l’habitation ;
– la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ;
– le décret n° 2019-331 du 17 avril 2019 ;
– la décision du Conseil constitutionnel n° 2019-830 QPC du 12 mars 2020 ;
– le code de justice administrative et l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Pierre Vaiss, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de la Société BEMH et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du Conseil national des centres commerciaux ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes enregistrées sous les n°s 431703 et 431724, présentées respectivement par la société BEMH et par le Conseil national des centres commerciaux, sont dirigées contre le décret du 17 avril 2019 relatif à la composition et au fonctionnement des commissions départementales d’aménagement commercial et aux demandes d’autorisation d’exploitation commerciale. Par ailleurs, la requête enregistrée sous le n° 433921, présentée par le Conseil national des centres commerciaux, est dirigée contre l’arrêté du ministre de l’économie et des finances du 19 juin 2019 fixant le contenu du formulaire de demande d’habilitation pour réaliser l’analyse d’impact mentionnée au III de l’article L. 752-6 du code de commerce, pris pour l’application du décret précité. Il y a lieu de joindre ces requêtes pour statuer par une seule décision.

Sur les conclusions tendant à l’annulation du décret attaqué

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l’économie et des finances à la requête de la société BEMH

2. Pour justifier de son intérêt à demander l’annulation du décret attaqué, la société BEMH fait valoir qu’elle a notamment pour objet, selon ses statuts,  » le conseil en implantation d’entreprise  » et la réalisation d' » études de marché, études économiques et toutes enquêtes y afférentes  » et qu’à ce titre, elle prépare des dossiers de demande d’autorisation d’exploitation commerciale pour le compte de promoteurs et d’enseignes commerciales. Si l’objet ainsi défini lui confère intérêt à demander l’annulation des articles 4 à 7 du décret, relatifs au dossier de demande d’autorisation d’exploitation commerciale et à l’habilitation des organismes chargés de réaliser les analyses d’impact qui doivent être produites par les pétitionnaires, il ne lui confère en revanche pas intérêt à demander l’annulation des articles 1er à 3, 8 à 11 du décret, relatifs aux commissions départementales d’aménagement commercial, dont les dispositions sont divisibles des autres dispositions du décret. Par suite, la requête de la société BEMH n’est recevable qu’en tant qu’elle est dirigée contre les articles 4 à 7 du décret attaqué.

En ce qui concerne la régularité de la consultation du Conseil d’Etat

3. Il ressort de la copie de la minute de la section des finances du Conseil d’Etat, versée au dossier par le ministre de l’économie et des finances, que le texte publié ne contient pas de dispositions qui différeraient à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par le Conseil d’Etat. Par suite, le moyen tiré, par la société BEHM, de la méconnaissance des règles qui gouvernent l’examen par le Conseil d’Etat des projets de décret ne peut qu’être écarté.

En ce qui concerne les articles relatifs aux commissions départementales d’aménagement commercial

4. L’article L. 751-2 du code de commerce fixe la composition de la commission départementale d’aménagement commercial. Dans sa rédaction issue de l’article 163 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, il prévoit que la commission départementale d’aménagement commercial est composée, outre des élus qu’elle désigne et de personnalités qualifiées en matière de consommation, de développement durable et d’aménagement du territoire,  » II. Dans les départements autres que Paris, (…) 3° De trois personnalités qualifiées représentant le tissu économique : une désignée par la chambre de commerce et d’industrie, une désignée par la chambre de métiers et de l’artisanat et une désignée par la chambre d’agriculture. (…) / III.-A Paris, (…) 3° De deux personnalités qualifiées représentant le tissu économique : une désignée par la chambre de commerce et d’industrie et une désignée par la chambre de métiers et de l’artisanat (…) « . Il précise en outre que :  » (…) La commission entend toute personne susceptible d’éclairer sa décision ou son avis. Sans prendre part au vote, les personnalités désignées par la chambre de commerce et d’industrie et la chambre de métiers et de l’artisanat présentent la situation du tissu économique dans la zone de chalandise pertinente et l’impact du projet sur ce tissu économique. (…) « . Les articles 1er à 3 du décret attaqué sont pris pour l’application de ces nouvelles dispositions. L’article 1er modifie l’article R. 751-1 du code de commerce afin de fixer la durée du mandat des personnalités qualifiées représentant le tissu économique. L’article 2 apporte à l’article R. 751-3 du code de commerce, qui aménage la composition de la commission départementale d’aménagement commercial dans le cas particulier où la zone de chalandise d’un projet d’équipement commercial dépasse les limites d’un seul département, les adaptations rendues nécessaires par l’adjonction à la commission des personnalités qualifiées représentant le tissu économique. L’article 3 modifie l’article R. 751-4 du code de commerce pour étendre l’obligation de déclaration des fonctions exercées et des intérêts détenus aux membres de la commission qui ne détiennent pas de droit de vote, c’est-à-dire aux personnalités qualifiées représentant le tissu économique. Les articles 10 et 11 modifient les articles R. 752-15 et R. 752-16 du code de commerce pour prévoir que les personnalités qualifiées représentant le tissu économique ne sont pas prises en compte dans le calcul du quorum.

5. L’article 14 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur prévoit que :  » Les États membres ne subordonnent pas l’accès à une activité de services ou son exercice sur leur territoire au respect de l’une des exigences suivantes : (…) 6) l’intervention directe ou indirecte d’opérateurs concurrents, y compris au sein d’organes consultatifs, dans l’octroi d’autorisations ou dans l’adoption d’autres décisions des autorités compétentes, à l’exception des ordres et associations professionnels ou autres organisations qui agissent en tant qu’autorité compétente ; cette interdiction ne s’applique ni à la consultation d’organismes tels que les chambres de commerce ou les partenaires sociaux sur des questions autres que des demandes d’autorisation individuelles ni à une consultation du public (…) « . Les requérants soutiennent, par la voie de l’exception, que les dispositions ajoutées à l’article L. 751-2 du code de commerce par la loi du 23 novembre 2018 méconnaissent les stipulations de l’article 49 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et celles du point 6) de l’article 14 de la directive 2006/123/CE et que, dès lors, les articles 1er à 3 du décret attaqué sont entachés d’illégalité.

6. En vertu de l’article L. 751-1 du code de commerce, les commissions départementales d’aménagement commercial donnent un avis, qui est un avis conforme, sur les demandes d’autorisation d’exploitation commerciale. La réponse au moyen soulevé par les requérants dépend de la question de savoir si le paragraphe 6) de l’article 14 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 doit être interprété en ce sens qu’il permet la présence, au sein d’une instance collégiale compétente pour émettre un avis relatif à la délivrance d’une autorisation d’exploitation commerciale, de personnalités qualifiées représentant le tissu économique, dont le rôle se borne à présenter la situation du tissu économique dans la zone de chalandise pertinente et l’impact du projet sur ce tissu économique, sans prendre part au vote sur la demande d’autorisation. Cette question, qui est déterminante pour l’issue du litige, s’agissant de la légalité des articles 1er à 3 du décret du 17 avril 2019, présente une difficulté sérieuse. Il y a lieu, par suite, d’en saisir la Cour de justice de l’Union européenne en application de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et, jusqu’à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur la requête n° 431724, en tant qu’elle tend à l’annulation des articles 1er à 3 du décret attaqué.

En ce qui concerne les articles relatifs à l’habilitation des organismes indépendants et au dossier de demande d’autorisation d’exploitation commerciale :

7. L’article L. 752-6 du code de commerce fixe les critères relatifs à l’aménagement du territoire, au développement durable et à la protection des consommateurs au regard desquels la commission départementale d’aménagement commercial apprécie le respect des objectifs mentionnés à l’article L. 750-1 du même code. Dans sa rédaction issue de l’article 166 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, il dispose notamment que :  » I. (…) La commission départementale d’aménagement commercial prend en considération : / 1° En matière d’aménagement du territoire : (…) / e) La contribution du projet à la préservation ou à la revitalisation du tissu commercial du centre-ville de la commune d’implantation, des communes limitrophes et de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d’implantation est membre (…). / III. La commission se prononce au vu d’une analyse d’impact du projet, produite par le demandeur à l’appui de sa demande d’autorisation. Réalisée par un organisme indépendant habilité par le représentant de l’Etat dans le département, cette analyse évalue les effets du projet sur l’animation et le développement économique du centre-ville de la commune d’implantation, des communes limitrophes et de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune d’implantation est membre, ainsi que sur l’emploi, en s’appuyant notamment sur l’évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l’offre de mètres carrés commerciaux déjà existants dans la zone de chalandise pertinente, en tenant compte des échanges pendulaires journaliers et, le cas échéant, saisonniers, entre les territoires. / IV. Le demandeur d’une autorisation d’exploitation commerciale doit démontrer, dans l’analyse d’impact mentionnée au III, qu’aucune friche existante en centre-ville ne permet l’accueil du projet envisagé. En l’absence d’une telle friche, il doit démontrer qu’aucune friche existante en périphérie ne permet l’accueil du projet envisagé « . Les articles 4 à 7 du décret attaqué sont pris pour l’application de ces nouvelles dispositions. L’article 4 modifie l’article R. 752-6 du code de commerce, relatif au dossier de demande d’autorisation, afin de fixer le contenu de l’analyse d’impact. L’article 5 insère au code de commerce les nouveaux articles R. 752-6-1, R. 752-6-2 et R. 752-6-3, qui fixent, respectivement, les conditions de l’habilitation des organismes indépendants chargés de réaliser les analyses d’impact, les conditions d’instruction des demandes d’habilitation et la durée et les conditions de validité de l’habilitation. Les articles 6 et 7 du décret apportent des modifications de coordination aux articles R. 752-10 et R. 751-12, relatifs au dépôt du dossier de demande d’autorisation.

8. En premier lieu, aux termes de l’article 49 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne :  » (…) les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites « . Il résulte de l’interprétation constante de ces stipulations par la Cour de justice de l’Union européenne, notamment dans son arrêt du 14 mars 2011 Commission européenne c/ Royaume d’Espagne (affaire C-400/08), qu’une restriction à la liberté d’établissement à l’intérieur de l’Union européenne ne peut être admise au titre des mesures dérogatoires prévues par le Traité que si elle est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général et si les mesures restrictives s’appliquent de manière non discriminatoire, sont propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. Au nombre des raisons impérieuses figurent, notamment, la protection de l’environnement, l’aménagement du territoire ainsi que la protection des consommateurs. En revanche, des objectifs de nature purement économique ne peuvent pas constituer une raison impérieuse d’intérêt général. En outre, aux termes de l’article 14 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur :  » Les États membres ne subordonnent pas l’accès à une activité de services ou son exercice sur leur territoire au respect de l’une des exigences suivantes : (…) 5) l’application au cas par cas d’un test économique consistant à subordonner l’octroi de l’autorisation à la preuve de l’existence d’un besoin économique ou d’une demande du marché, à évaluer les effets économiques potentiels ou actuels de l’activité ou à évaluer l’adéquation de l’activité avec les objectifs de programmation économique fixés par l’autorité compétente ; cette interdiction ne concerne pas les exigences en matière de programmation qui ne poursuivent pas des objectifs de nature économique mais relèvent de raisons impérieuses d’intérêt général (…) « .

9. Les dispositions ajoutées au I de l’article L. 752-6 du code de commerce par la loi du 23 novembre 2018, telles qu’interprétées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2019830 QPC du 12 mars 2020, poursuivent l’objectif d’intérêt général de favoriser un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, de lutter contre le déclin des centres-villes. Elles se bornent à prévoir un critère supplémentaire pour l’appréciation globale des effets du projet sur l’aménagement du territoire et ne subordonnent pas la délivrance de l’autorisation à l’absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes. L’analyse d’impact prévue par le III du même article vise à faciliter l’appréciation des effets du projet sur l’animation et le développement économique des centres-villes et de l’emploi et le développement n’institue aucun critère d’évaluation supplémentaire d’ordre économique. Enfin, les dispositions du IV de l’article L. 752-6, relatives à l’existence d’une friche en centre-ville ou en périphérie, ont pour seul objet d’instituer un critère supplémentaire permettant d’évaluer si, compte tenu des autres critères, le projet compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Ces dispositions n’ont pas pour effet d’interdire toute délivrance d’une autorisation au seul motif qu’une telle friche existerait.

10. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que les dispositions ajoutées à l’article L. 752-6 du code de commerce par la loi du 23 novembre 2018, qui n’ont ni pour objet, ni pour effet d’instituer des critères constitutifs d’un test économique, mais ont pour seul objet de lutter contre le déclin des centres-villes et s’inscrivent dans un objectif d’aménagement du territoire, sont justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général. Par suite, le moyen tiré, par la voie de l’exception, de ce que ces dispositions méconnaîtraient les stipulations de l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et celles du point 5) de l’article 14 de la directive 2006/123/CE ne peut qu’être écarté. Il en va de même pour les dispositions du II de l’article R. 752-6 du même code, issues de l’article 4 du décret attaqué, qui se bornent à préciser le contenu de l’analyse d’impact.

11. En deuxième lieu, par sa décision n° 2019-830 QPC du 12 mars 2020, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions citées au point 6 de l’article L. 752-6 du code de commerce. Par suite, le moyen tiré, par le Centre national des centres commerciaux, de ce que ces dispositions porteraient atteinte à la liberté d’entreprendre, garantie par la Constitution, ne peut qu’être écarté.

12. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 11 que le moyen tiré, par la société BEMH, de ce que l’article L. 752-6 du code de commerce et le décret attaqué, en ce qu’ils réintroduisent des critères économiques qui ne sont pas justifiés par une raison impérieuse d’intérêt général, sont incompatibles avec les objectifs de l’article 10 de la directive 2006/123/CE ne peut qu’être écarté.

13. En quatrième lieu, aux termes de l’article 13 de la directive 2006/123/CE :  » (…) 2. Les procédures et formalités d’autorisation ne doivent pas être dissuasives ni compliquer ou retarder indûment la prestation du service. Elles doivent être facilement accessibles et les charges qui peuvent en découler pour les demandeurs doivent être raisonnables et proportionnées aux coûts des procédures d’autorisation et ne pas dépasser le coût des procédures. (…) « . Si la société BEMH soutient que l’obligation, découlant pour le pétitionnaire de l’article L. 752-6 du code de commerce, de recourir à deux prestataires distincts pour la réalisation du dossier de demande d’autorisation et celle de l’analyse d’impact, constituerait une formalité dissuasive, il ne ressort pas des pièces du dossier que le surcoût financier et administratif en résultant, au demeurant non évalué, serait dissuasif et disproportionné au regard du coût de la procédure d’autorisation. Par suite, la société n’est pas fondée à soutenir que l’article L. 752-6 du code de commerce méconnaît dans cette mesure les objectifs de l’article 13 de la directive 2006/123/CE.

14. En cinquième lieu, aux termes du II de l’article R. 752-6 du code de commerce, tel qu’issu de l’article 4 du décret attaqué :  » II. L’analyse d’impact comprend, après un rappel des éléments mentionnés au 1° du I, les éléments et informations suivants : / 1° Informations relatives à la zone de chalandise et à l’environnement proche du projet : / a) Une carte ou un plan indiquant, en les superposant, les limites de la commune d’implantation, celles de l’établissement public de coopération intercommunale dont est membre la commune d’implantation, et celles de la zone de chalandise, accompagné : / -des éléments justifiant la délimitation de la zone de chalandise ; / -de la population de chaque commune ou partie de commune comprise dans cette zone, de la population totale de cette zone et de son évolution entre le dernier recensement authentifié par décret et le recensement authentifié par décret dix ans auparavant ; / -d’une description de la desserte actuelle et future (routière, en transports collectifs, cycliste, piétonne) et des lieux exerçant une attraction significative sur la population de la zone de chalandise, notamment les principaux pôles d’activités commerciales, ainsi que du temps de trajet véhiculé moyen entre ces lieux et le projet ; / -lorsqu’il est fait état d’une fréquentation touristique dans la zone de chalandise, des éléments justifiant les chiffres avancés. (…) / 2° Présentation de la contribution du projet à l’animation des principaux secteurs existants, notamment en matière de complémentarité des fonctions urbaines et d’équilibre territorial ; en particulier, contribution, y compris en termes d’emploi, à l’animation, la préservation ou la revitalisation du tissu commercial des centres-villes de la commune d’implantation et des communes limitrophes incluses dans la zone de chalandise définie pour le projet, avec mention, le cas échéant, des subventions, mesures et dispositifs de toutes natures mis en place sur les territoires de ces communes en faveur du développement économique ; / 3° Présentation des effets du projet en matière de protection des consommateurs, en particulier en termes de variété, de diversification et de complémentarité de l’offre proposée par le projet avec l’offre existante, incluant les éléments suivants. / L’analyse d’impact précise, pour chaque information, ses sources, sauf carence justifiée, et, pour chaque calcul, sa méthode « . Contrairement à ce que soutient la société BEMH, il n’apparaît pas que ces dispositions, qui ne méconnaissent pas celles du III de l’article L. 752-6 du code de commerce, seraient entachées d’erreur manifeste d’appréciation.

15. En sixième lieu, aux termes de l’article R. 752-6-1 créé par l’article 5 du décret :  » I. L’habilitation prévue au III de l’article L. 752-6 est accordée à toute personne morale remplissant les conditions suivantes : /  » 1° Ne pas avoir fait l’objet, ni aucun de ses représentants légaux ou salariés, d’une condamnation correctionnelle ou criminelle (…) ; / 2° Justifier des moyens et outils de collecte et d’analyse des informations relatives aux effets d’un projet sur l’animation et le développement économique des centres-villes des communes de la zone de chalandise et sur l’emploi à l’échelle de cette même zone ; / 3° Justifier que les personnes physiques par lesquelles ou sous la responsabilité desquelles est réalisée l’analyse d’impact mentionnée au II de l’article R. 752-6 sont titulaires d’un titre ou diplôme visé ou homologué de l’enseignement supérieur d’un niveau égal ou supérieur au niveau 3 au sens des dispositions du code du travail relatives au cadre national des certifications professionnelles sanctionnant une formation juridique, économique, comptable ou commerciale ou d’un diplôme étranger d’un niveau comparable. (…) / II. Un organisme habilité ne peut pas établir l’analyse d’impact d’un projet : / 1° Dans lequel lui-même, ou l’un de ses membres, est intervenu, à quelque titre ou stade que ce soit ; / 2° S’il a des liens de dépendance juridique avec le pétitionnaire. / Une déclaration sur l’honneur de ce chef est annexée à l’analyse d’impact par son auteur. « .

16. Contrairement à ce que soutient la société BEMH, le pouvoir réglementaire était compétent pour adopter ces dispositions, qui sont nécessaires à l’application du III de l’article L. 752-6 du code de commerce et ne portent aucune atteinte illégale à la liberté d’entreprendre, en particulier pour fixer les critères de l’habilitation. En outre, les conditions de l’habilitation, destinées à garantir la probité et la compétence des organismes habilités, sont justifiées et ne sont pas disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. Par ailleurs, ces dispositions fixent de manière suffisamment claire et précise les cas dans lesquels un organisme habilité ne peut réaliser d’analyse d’impact, compte tenu de son implication dans le projet ou de ses liens juridiques de dépendance avec le pétitionnaire. Elles ne sont pas manifestement disproportionnées. Enfin, elles ne méconnaissent pas le IV de l’article L. 752-6 du code de commerce. Dès lors, les diverses critiques adressées par la société BEMH à l’article R. 752-6-1 du code de commerce ne peuvent qu’être écartées.

17. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes n°s 431703 et 431724 de la société BEMH et du Conseil national des centres commerciaux ne peuvent qu’être rejetées en tant qu’elles sont dirigées contre les articles 4 à 7 du décret attaqué.

Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’arrêté attaqué :

18. Aux termes de l’article R. 752-6-2 du code de commerce, créé par l’article 5 du décret attaqué :  » I. Le formulaire de demande d’habilitation est à retirer en préfecture ou sur les sites internet des préfectures. Son contenu est conforme à un modèle fixé par arrêté du ministre chargé de l’économie. ( …). « . L’arrêté du 19 juin 2019 fixe le contenu du formulaire de demande d’habilitation pour la réalisation par des organismes indépendants des analyses d’impact prévues par le III de l’article L. 752-6 du code de commerce.

19. D’une part, cet arrêté ne fixe aucune règle technique sur laquelle la consultation du Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique est requise par l’article D. 142-15 du code de la construction et de l’habitation. D’autre part, il résulte de ce qui est dit aux points 8 à 16 que le moyen tiré, par la voie de l’exception, par le Conseil national des centres commerciaux, de l’inconventionnalité de l’article L. 752-6 du code de commerce et de l’illégalité de l’article 5 du décret attaqué, ne peut qu’être écarté. Par suite, la requête du Conseil national des centres commerciaux tendant à l’annulation de cet arrêté ne peut qu’être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
————–
Article 1er : La requête n° 431703 de la société BEMH, la requête n° 431724 du Conseil national des centres commerciaux dirigée contre le décret n° 2019-331 du 17 avril 2019 en tant qu’elle demande l’annulation pour excès de pouvoir de ses articles 4 à 7 et la requête n° 433921 du Conseil national des centres commerciaux sont rejetées.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur les conclusions de la requête n° 431724 du Conseil national des centres commerciaux, en tant qu’elle demande l’annulation des articles 1er à 3, 10 et 11 du décret n° 2019-331 du 17 avril 2019 et présente des conclusions au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne se soit prononcée sur la question de savoir si le paragraphe 6) de l’article 14 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur doit être interprété en ce sens qu’il permet la présence, au sein d’une instance collégiale compétente pour émettre un avis sur une autorisation d’exploitation commerciale, d’une personnalité qualifiée représentant le tissu économique, dont le rôle se borne à présenter la situation du tissu économique dans la zone de chalandise pertinente et l’impact du projet sur ce tissu économique, sans prendre part au vote sur la demande d’autorisation.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société BEMH, au Conseil national des centres commerciaux, au Premier ministre, au ministre de l’économie, des finances et de la relance, à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et à la Cour de justice de l’Union européenne.