Un département peut-il, en temps post-covidiens, « faire du développement économique » ?

En matière de développement économique, les départements, depuis la loi Notre de 2015, en dépit des souplesses nouvelles mais limitées de la loi engagement et proximité de 2019, n’ont que des compétences résiduelles. Ces compétences ne sont pas inexistantes, mais elle sont fortement rabotées (I).

Donc bien sûr, le TA de Limoges, en septembre 2021, n’a pu que constater l’illégalité d’une action départementale directe et tous azimuts, dans le même sens d’ailleurs qu’une autre décision rendue en juin 2020 par le TA de Châlons-en-Champagne (II). 

Mais d’autres solutions existent ou existaient, permettant aux départements d’agir… ce qui rend d’autant plus imprudents ceux qui, à ces solutions subtiles, ont préféré l’action directe mais dont l’illégalité était évidente (III).

 

 

I. Des compétences rabotées (mais qui ne sont pas inexistantes)

 

Depuis la loi NOTRe d’août 2015, les départements ont perdu l’essentiel de leur capacité à accorder des aides au développement économique, et ce même dans les domaines où ils conservent quelques compétences (comme le tourisme par exemple).

Voir :

 

Depuis l’entrée en vigueur, au premier janvier 2016, de l’article 3 de la loi NOTRe, l’intervention du département en matière économique se réduisait en 2016 désormais à :

  • l’octroi d’aides en matière d’investissement immobilier aux entreprises et de location de terrains ou d’immeubles sur délégation d’une commune ou d’un EPCI, et encore non sans moult débats juridiques sur ce point L. 1511-3 du CGCT) ;
  • L’octroi à une personne de droit privé d’une garantie d’emprunt ou son cautionnement aux conditions prévues à l’article L. 3231-4 du CGCT ;
  • la prise de participation au capital d’une société commerciale ou de tout organisme à but non lucratif dans les conditions prévues à l’article L. 3231-6 du CGCT qui autorise la participation des départements dans le capital d’une société commerciale qui aurait pour objet l’exercice d’une activité d’intérêt général [cette exception concerne les Sociétés dont l’objet social est la production d’énergie renouvelables par des installations situées sur son territoire] ;
  • l’octroi d’aides à l’installation ou aux professionnels de santé dans les conditions prévues à l’article L. 1511-8 du CGCT ;
  • l’octroi d’aides aux organisations de producteurs, au sens des articles L. 551-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime, et aux entreprises exerçant une activité de production, de commercialisation et de transformation de produits agricoles, de produits de la forêt ou de produits de la pêche, par dérogation à l’article L. 1511-2 du CGCT sur le fondement du nouvel article L. 3232-1-2 du même code.

Cette liste elle-même a connu entre 2016 et 2019, quelques vicissitudes pour schématiser des points de droit complexes.

Notamment, l’article 71 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique a un tout petit peu desserré cet étau. 

Désormais, le département peut :

  • contribuer au financement des projets dont la maîtrise d’ouvrage est assurée par les communes, leurs groupements, les établissements publics qui leur sont rattachés ou les sociétés dont ils détiennent une part du capital. Le département doit alors intervenir à la demande desdits bénéficiaires (art. L. 1111-10 du CGCT).
  • contribuer au financement des opérations d’investissement en faveur des entreprises de services marchands nécessaires aux besoins de la population en milieu rural. La maîtrise d’ouvrage doit alors être assurée par des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Cette intervention doit être justifiée par des raisons de solidarité territoriale et par une carence de l’initiative privée (art. L. 1111-10 du CGCT).
  • contribuer au financement des opérations d’investissement en faveur de l’entretien et de l’aménagement de l’espace rural réalisées par les associations syndicales autorisées ou constituées d’office ou par leurs unions (art. L. 1111-10 du CGCT).
  • aider les filières de produits agricoles, de produits de la forêt ou de produits de la pêche et de l’aquaculture (art. L. 3232-1-2 du CGCT).
  • accorder des aides aux entreprises dont au moins un établissement se situe dans une commune du département définie par un arrêté portant reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle et dont l’activité est affectée en raison des dommages importants subis par son outil de production. Cette aide doit être autorisée par le Préfet et donne lieu à un régime très encadré (art. L. 3232-1-3 du CGCT).

 

Dans tous ces domaines (certes résiduels), donc, le département peut agir.  

 

II. Donc bien sûr, le TA de Limoges, en septembre 2021, n’a pu que constater l’illégalité d’une action départementale directe et tous azimuts (et ce dans le même sens qu’une autre décision rendue en juin 2020 par le TA de Châlons-en-Champagne)

 

A cette aune, quand un département met en place un outil d’aide économique directe aux entreprises pour cause de Covid-19, il est censuré.

Il l’a été par le juge des référés du TA de Châlons-en-Champagne par une décision du 15 juin 2020 (n° 2000896) :

Par un jugement rendu en septembre 2021, le TA de Limoges vient de rendre une décision dans le même sens.

Le 5 mai 2020, la commission permanente du conseil départemental de la Haute-Vienne a créé un dispositif d’aides financières aux entreprises de la Haute-Vienne afin de financer le versement d’avances pour celles exerçant une activité économique particulièrement touchée par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de Covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation, a confié la gestion d’un fonds de 500 000 euros à l’association interconsulaire de la Haute-Vienne à cette fin et a enfin autorisé le président à signer une convention avec cette association ainsi que toute pièce nécessaire à son exécution.

Le préfet de la Haute-Vienne a déféré cette délibération au tribunal en application de l’article L. 3132-1 du code général des collectivités territoriales, ainsi que la décision du 15 juin 2020 par laquelle le président du conseil départemental de la Haute-Vienne a rejeté son recours gracieux.

En l’espèce, le tribunal juge :

  • que la commission permanente du conseil départemental de la Haute-Vienne a excédé son champ de compétence en intervenant hors de ses domaines d’attribution., dès lors qu’elle a adopté un dispositif qui permet d’attribuer une aide économique à certaines entreprises qui n’a pas le caractère d’une aide à l’immobilier d’entreprise, prévue à l’article L. 1511-3 du code général des collectivités territoriales, et dont l’octroi n’est en outre pas restreint aux compétences dévolues au département par la loi en matière d’aides économiques.
  • que le département ne peut se prévaloir de la théorie des circonstances exceptionnelles pour déroger aux règles de compétence dès lors que, même si l’épidémie de covid-19, qui a notamment entrainé un fort ralentissement de l’activité voire la fermeture totale des établissements concernés par le dispositif d’aide litigieux, constitue un évènement grave et imprévu, qui persistait à la date de la délibération contestée, d’une part, le département de la Haute-Vienne avait la possibilité d’agir autrement par un abondement au fonds de solidarité national créé par l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 et, d’autre part, le dispositif litigieux n’a pas eu pour objet de cibler plus particulièrement des entreprises du département qui, en dépit des aides nationales, se seraient trouvées en très grande difficulté.

 

NB : cette théorie dite « des circonstances exceptionnelles » (développée et amplifiée depuis les arrêts Dames Dol et Laurent, puis Heyriès) est un peu à géométrie variable. Elle permet parfois aux autorités administratives de prendre des décisions qui sinon eussent été d’une légalité douteuse du point de vue des procédures ou, surtout, de l’erreur de droit (voir pour des cas frappants : C. const., décision n° 2020-799 DC du 26 mars 2020 – Loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, voir ici ; puis  CE, ord., 26 juillet 2021, 454754, 454792-454818 et 454832 ;  voir ici).

Le tribunal annule ainsi, dans son dispositif, la délibération du 5 mai 2020 ainsi que la décision du 15 juin 2020 et fait droit au déféré préfectoral.

Voir TA Limoges, 23 septembre 2021, n° 2001015 :

III. Mais d’autres solutions existent ou existaient, permettant aux départements d’agir (ce qui rend d’autant plus imprudents ceux qui, à ces solutions subtiles, ont préféré l’action directe dont l’illégalité était évidente)

 

MAIS d’autres solutions existent et il ne faut pas en rester à cette simple décision portant sur un cas où le Département en cause ne semble pas avoir utilisé certaines voies moins directes mais ô combien plus solides en droit :

  • financement via le fonds national (ordonnance n°2020-317 du 25 mars 2020, modifiée) et les fonds régionaux
  • création d’outil pour les cas où le département conserve des compétences (certains domaines de l’économie sociale et solidaire [position que partage le Gouvernement], de la ruralité, du handicap, de promotion du tourisme (hors aides directes), d’aides aux filières agricoles, forestières et halieutiques….VOIR CI-AVANT « I »
  • financement de projets portés par le bloc communal, via des conventions cadre entre le département et les communes (existence de divers régimes dont ceux de l’artice L. 2251-3 du CGCT, des articles L. 1111-10 et L.1511-3 de ce même code… entre autres. Voir aussi les régimes de l’article L. 1111-8 du CGCT tout en évitant divers pièges posés sur ce point par la jurisprudence ; voir notamment CE, 11 octobre 2017, n°407347 ; CE, 27 mars 1995, Chambre d’agriculture des Alpes-Maritimes, n°108696). Voir aussi (via la création de structures ad hoc) le recours aux délégations pour l’usage des outils de l’article L. 214-1-1 du code de l’urbanisme.
  • aide du département via son SATESE ou son ATD
  • participation à une entreprise publique locale (type SPL principalement) en lien avec des structures intercommunales voire communales et/ou régionale ayant des compétences en ce domaine, à la faveur des souplesses de la loi n° 2019-463 du 17 mai 2019 (mais là encore ne prenant en compte certaines limites juridiques).

 

Attention : en ces domaines il faut donc du doigté juridique, technique et économique, un dossier bâti au cas par cas…. ce qui n’est pas long mais doit être bien calibré. 

 

Voir aussi :

Collectivités : après la crise, comment aider les entreprises ? [2 VIDEOS + ARTICLE + Graphique]