Lisons ensemble, au JO de ce matin, la loi Bibliothèques

Au JO de ce matin, il nous est loisible, ensemble, de lire la toute nouvelle loi n° 2021-1717 du 21 décembre 2021 relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique (NOR : MICX2115869L) :

 

Regardons ce texte de son origine jusqu’à son contenu opérationnel :

  • I. Génèse
  • II. Le texte devant le Sénat en 1e lecture
  • III. Approbation très consensuelle, avec quelques ajustements, en 1e lecture A.N.
  • IV. A la finale… survolons le contenu, riche, de ce texte 

 

 

Bibliothèque Schoelcher martinique (photo coll. pers.)

 

 

I. Génèse

 

En février dernier, la sénatrice (PS) Sylvie Robert déposait une Proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique (n° 339 ).

Il s’agit notamment de prolonger les travaux du rapport « Orsenna-Corbin » de 2017 et du plan bibliothèques :

 

… et de clarifier l’enchevêtrement des compétences en ce domaine. Voici un extrait du premier rapport sur cette proposition de loi au Sénat :

«  L’architecture institutionnelle des bibliothèques, plus précisément, de ce qui relève de la « lecture publique », revêt une grande complexité, avec trois acteurs décentralisés concernés.
« Les communes sont ainsi responsables de la création et de la gestion des bibliothèques, en application de la clause de compétence générale dans le domaine culturel. De leur côté, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) peuvent choisir d’endosser cette fonction au titre de la compétence optionnelle « équipements culturels ». Enfin, les départements gèrent les anciennes bibliothèques départementales de prêt (BDP), dont le rôle s’inscrit plus dans la coordination, mais sans que la loi ne précise s’il s’agit d’une compétence obligatoire ou optionnelle.
« À la différence des autres domaines patrimoniaux, les bibliothèques n’ont jamais fait l’objet d’une loi-cadre. Jusqu’en 2017, les dispositions relatives à ces établissements ne traitaient que d’aspects administratifs et de rattachement.
« L’ordonnance n° 2017-650 du 27 avril 2017 a permis de clarifier et de donner une cohérence au cadre institutionnel des bibliothèques. Prise en application de l’article 95 de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP), elle a refondu entièrement le livre III dédié du code du patrimoine.»

… et d’apporter des définitions en ces domaines, qui semble-t-il manquaient…. et de clarifier certaines dispositions financières (DGD).

 

Avec un tel programme, nulle surprise que cette proposition ait donné lieu à un travail très très consensuel dans les deux chambres du Parlement, au point que ce texte finit vite et bien son parcours parlementaire apaisé.

 

 

II. Le texte devant le Sénat en 1e lecture

 

L’article 1er définit de manière explicite ces missions, communes à toutes les bibliothèques des collectivités et de leurs groupements, autour de trois grandes thématiques : la conservation et la communication des collections, la mise en place de services autour de leurs missions et l’activité patrimoniale. Cet article inscrit également les activités des bibliothèques dans le respect des grands principes républicains de pluralisme, d’égalité d’accès et de neutralité.
Ils sont complétés par les articles 2 et 3 qui établissent la liberté et la gratuité d’accès aux bibliothèques municipales et intercommunales.
Enfin, l’article 5 reprend le principe de pluralisme et de diversité pour l’appliquer aux collections des bibliothèques des collectivités et de leurs groupements, dont la définition est renvoyée par l’article 4 à un décret en Conseil d’État.

En application de la liberté d’administration des collectivités, l’auteure de la proposition de loi n’a pas souhaité formuler des obligations, mais plutôt tracer un cadre respectueux des compétences locales.

Ainsi, l’article 7 charge les bibliothèques d’établir les orientations générales de leur politique documentaire, orientations que l’assemblée délibérante serait incitée à débattre.

De même, l’article 8 prévoit que les agents travaillant dans les bibliothèques disposent des qualifications nécessaires à l’exercice de ces missions, sans pour autant tracer un cadre contraignant.

L’article 9 de la proposition de loi définit les missions des bibliothèques départementales, en les confortant dans leur rôle d’assistance et de soutien aux bibliothèques des collectivités et de leurs groupements. La question de l’inscription de ces établissements dans les compétences obligatoires des départements n’est pas abordée, mais devra nécessairement être étudiée dans un cadre législatif plus adapté.

Les articles 10 à 12 proposent différentes adaptations, en particulier une extension à d’autres types de groupements de communes de l’éligibilité au concours particulier « bibliothèques » de la dotation de décentralisation (article 10), l’obligation pour une intercommunalité qui exerce la compétence « lecture publique » d’élaborer un schéma de développement (article 11), enfin, la possibilité de céder à titre gratuit à certains organismes sans but lucratif les fonds des bibliothèques devenus sans emploi (article 12).
L’article 13 assure la recevabilité financière de la proposition de loi. III. LES

 

La commission de la culture du Sénat a fait évoluer le texte de la façon suivante :

• mentions plus claires sur les articles 4, 6 et 7 afin de préciser que ces dispositions s’étendaient aux bibliothèques des collectivités et de leurs groupements.

•  amendement qui donne une meilleure définition des missions patrimoniales des bibliothèques.

• amendements permettant de prendre en compte les bibliothèques municipales spécialisées et permettant aux bibliothèques départementales recevant du public de continuer à le faire, sans que cela ne constitue une obligation.

… Conduisant, après passage en plénière, à ce texte adopté en 1e lecture au Sénat :

 

Crédits photographiques : photo du Sénat par LRCL / 13 photos

 

III. Approbation très consensuelle, avec quelques ajustements, en 1e lecture A.N.

 

Citons un extrait du rapport, ensuite, à l’Assemblée Nationale (A.N.), de Mme la députée LREM Florence Provendier :

« Adoptée à l’unanimité par le Sénat en juin 2021, cette proposition de loi a ainsi pour ambition de réaffirmer les missions des bibliothèques territoriales dans l’accès à la culture, à l’information, à l’éducation, aux savoirs et aux loisirs mais également les grands principes qui guident leur action tels que l’accès libre et égal, la gratuité, le pluralisme des collections et la neutralité du service public. Ce texte traduit également les évolutions de notre temps en introduisant le numérique dans les usages et collections des bibliothèques et le fait que celles-ci soient des lieux multiples offrant d’autres services que ceux directement relatifs à la lecture publique. La proposition de loi souligne aussi le rôle central du bibliothécaire tant dans la médiation et l’accès au savoir que dans le lien social qu’il tisse. »

 

Sur la base du rapport de Mme Provendier, les principaux apports de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation de l’A.N. furent :

• cinq amendements pour :

– affirmer le principe d’égal accès aux bibliothèques territoriales ;

– ajouter la mission de favoriser le développement de la lecture ;

– expliciter la mission de médiation culturelle confiée aux bibliothèques territoriales, qui doit notamment garantir l’exercice des droits culturels, définis comme le droit de chacun de participer à la vie culturelle ;

– ajouter la mission de coopérer avec les organismes culturels, éducatifs et sociaux et les établissements pénitentiaires ;

– inscrire le principe de mutabilité parmi les principes que doivent respecter les bibliothèques dans l’exercice de leurs missions.

• À l’article 4, la commission a introduit le mot « livres » parmi les documents que doivent contenir les collections des bibliothèques et a supprimé le décret d’application prévu pour déterminer la liste des documents et objets que peuvent contenir les collections.

• À l’article 5, la commission a adopté un amendement disposant que les collections des bibliothèques territoriales doivent être exemptes de toutes formes de censure idéologique, politique, religieuse ou de pressions commerciales.

• Enfin, la commission a adopté une nouvelle rédaction de l’article 12, créant un nouvel article L. 3212‑4 au sein du code général de la propriété des personnes publiques. Cet article permet aux bibliothèques de l’État et des collectivités territoriales de donner les livres dont elles n’ont plus l’usage et appartenant au domaine privé à des fondations, associations philanthropiques ou entreprises de l’économie sociale et solidaire et autorise la revente de ces livres par ces bénéficiaires.

 

En plénière, à l’Assemblée, les amendements notables on porté sur les points suivants :

  • lutte contre l’illettrisme et l’illectronisme ;
  • diffusion et à la promotion du patrimoine linguistique ;
  • partenariats avec les organismes culturels, éducatifs et sociaux, les établissements pénitentiaires et les établissements d’accueil de la petite enfance ;
  • amendement visant à empêcher les départements, qui ont bénéficié du transfert par l’Etat d’une bibliothèque centrale de prêt en application de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983, de supprimer leur bibliothèque départementale
  • extension de la DGD Bibliothèques aux établissements publics de coopération culturelle (EPCC) et aux groupements d’intérêt public (GIP)

Voir :

 

Crédits photographiques : David Mark (sur Pixabay) ; cadrage modifié.

 

IV. A la finale… survolons le contenu, riche, de ce texte

 

In fine, ce texte :

  • définit ce qu’est une bibliothèque municipale ou intercommunale, dont les missions se trouvent précisées (égal accès de tous à la culture, à l’information, à l’éducation, à la recherche, aux savoirs et aux loisirs et développement de la lecture) ;
    • « Art. L. 310-1 A. du code du patrimoine
      « – Les bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements ont pour missions de garantir l’égal accès de tous à la culture, à l’information, à l’éducation, à la recherche, aux savoirs et aux loisirs ainsi que de favoriser le développement de la lecture. A ce titre, elles :

      « 1° Constituent, conservent et communiquent des collections de documents et d’objets, définies à l’article L. 310-3, sous forme physique ou numérique ;
      « 2° Conçoivent et mettent en œuvre des services, des activités et des outils associés à leurs missions ou à leurs collections. Elles en facilitent l’accès aux personnes en situation de handicap. Elles contribuent à la réduction de l’illettrisme et de l’illectronisme. Par leur action de médiation, elles garantissent la participation et la diversification des publics et l’exercice de leurs droits culturels ;
      « 3° Participent à la diffusion et à la promotion du patrimoine linguistique ;
      « 4° Coopèrent avec les organismes culturels, éducatifs et sociaux et les établissements pénitentiaires.
      « Les bibliothèques transmettent également aux générations futures le patrimoine qu’elles conservent. A ce titre, elles contribuent aux progrès de la connaissance et de la recherche ainsi qu’à leur diffusion.
      « Ces missions s’exercent dans le respect des principes de pluralisme des courants d’idées et d’opinions, d’égalité d’accès au service public et de mutabilité et de neutralité du service public. »
  • consacre la liberté et la gratuité d’accès aux bibliothèques municipales et intercommunales ;
    • Code du patrimoine :
      « Art. L. 320-3. – L’accès aux bibliothèques municipales et intercommunales est libre. »
      « Art. L. 320-4. – L’accès aux bibliothèques municipales et intercommunales et la consultation sur place de leurs collections sont gratuits. »
      « Art. L. 310-3. – Les collections des bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements sont constituées de livres et des autres documents et objets nécessaires à l’accomplissement de leurs missions, tels que des documents sonores et audiovisuels. »Notre interprétation est que cette liberté porte sur l’accès et la consultation sur place. Libre aux communes et aux EPCI de fixer des tarifs pour l’emprunt. 
  • affirme le principe de pluralisme et de diversité des collections des bibliothèques (multiplicité des connaissances, des courants d’idées et d’opinions et des productions éditoriales) ;
    Là encore, voici les dispositions correspondantes du code du patrimoine :

    • « Art. L. 310-4. – Les collections des bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements sont pluralistes et diversifiées. Elles représentent, chacune à son niveau ou dans sa spécialité, la multiplicité des connaissances, des courants d’idées et d’opinions et des productions éditoriales. Elles doivent être exemptes de toutes formes de censure idéologique, politique ou religieuse ou de pressions commerciales. Elles sont rendues accessibles à tout public, sur place ou à distance. »
      « Art. L. 310-5. – Les collections des bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements qui relèvent du domaine privé mobilier de la personne publique propriétaire sont régulièrement renouvelées et actualisées. »
  • prévoit un rôle pour l’organe délibérant local ou intercommunal et une politique dont il doit être rendu compte :
    • « Art. L. 310-6. – Les bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements élaborent les orientations générales de leur politique documentaire, qu’elles présentent devant l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement et qu’elles actualisent régulièrement. Elles présentent également leurs partenariats avec les organismes culturels, éducatifs et sociaux, les établissements pénitentiaires et les établissements d’accueil de la petite enfance. La présentation peut être suivie d’un vote de l’organe délibérant. »
  • impose (avec une faible précision… la passe aux juges ?) une qualification pour les agents :
    •  « Art. L. 310-7. – Les agents travaillant dans les bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements présentent des qualifications professionnelles nécessaires à l’exercice des missions définies à l’article L. 310-1 A. »
  • renforce la politique de lecture publique (couverture territoriale, mise en réseau…) ;
  • précise les missions des bibliothèques départementales, en les confortant dans leur rôle d’assistance et de soutien aux bibliothèques communales et intercommunales :
    • « Art. L. 330-2. – Les bibliothèques départementales ont pour missions, à l’échelle du département :
      « 1° De renforcer la couverture territoriale en bibliothèques, afin d’offrir un égal accès de tous à la culture, à l’information, à l’éducation, à la recherche, aux savoirs et aux loisirs ;
      « 2° De favoriser la mise en réseau des bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements ;
      « 3° De proposer des collections et des services aux bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements et, le cas échéant, directement au public ;
      « 4° De contribuer à la formation des agents et des collaborateurs occasionnels des bibliothèques des collectivités territoriales ou de leurs groupements ;
      « 5° D’élaborer un schéma de développement de la lecture publique, approuvé par l’assemblée départementale. »
  • interdit que les départements suppriment leur bibliothèque départementale :
    • « L’article L. 330-1 du code du patrimoine est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les départements ne peuvent ni les supprimer, ni cesser de les entretenir ou de les faire fonctionner. »
  • ajuste en ce domaine le droit intercommunal :
    • « L’article L. 1614-10 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :1° A la seconde phrase du premier alinéa, les mots : « établissements publics de coopération intercommunale » sont remplacés par les mots : « groupements de collectivités territoriales » ;
      2° Au début du deuxième alinéa, le mot : « Toutefois, » est supprimé. »
    • « […] Article 12
      I. – La section 10 du chapitre Ier du titre Ier du livre II de la cinquième partie du code général des collectivités territoriales est complétée par un article L. 5211-63 ainsi rédigé :
      « Art. L. 5211-63. – Lorsqu’un établissement public de coopération intercommunale décide que la lecture publique est d’intérêt intercommunal, il élabore et met en place un schéma de développement de la lecture publique. »
  • redéfinit le cadre dans lequel les bibliothèques publiques peuvent donner leurs livres obsolètes ou usés:
    • « Art. L. 3212-4. – Les documents appartenant aux bibliothèques de l’Etat, de ses établissements publics, des collectivités territoriales et de leurs groupements ne relevant pas de l’article L. 2112-1 et dont ces bibliothèques n’ont plus l’usage peuvent être cédés à titre gratuit à des fondations, à des associations relevant de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association mentionnées au a du 1 de l’article 238 bis du code général des impôts et dont les ressources sont affectées à des œuvres d’assistance ou à des organisations mentionnées au II de l’article 1er de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire. Par dérogation aux articles L. 3212-2 et L. 3212-3 du présent code, ces documents peuvent être cédés à titre onéreux par ces fondations, associations et organisations. »