La bagasse est-elle badass ? Autrement posé, les résidus de canne à sucre sont-ils des durs à cuire (et même en l’espèce à brûler en chaudière) et, partant, à traiter comme tels en droit des déchets ? NON répond le TA de La Martinique, qui y voit un sous-produit de ladite canne, ce qui en droit des installations classées (ICPE) change tout… Cette décision intervient au moment où justement cette frontière s’avère très discutée en droit.
La notion de déchets est en pleine évolution. Voir par exemple pour des rebondissements récents :
- Conseil d’État, 15 décembre 2021, n° 436516, à mentionner aux tables du recueil Lebon :
- CE, 24 novembre 2021, n° 437105, à mentionner aux tables du recueil Lebon :
- sur les terres issues de chantiers, voir :
- voir aussi : Quand un déchet cesse-t-il de l’être ?
Or, voici que de Martinique nous arrive un contentieux qui pose la même question mais pour un produit spécifique : la bagasse, qui est le résidu fibreux de la canne à sucre qu’on a passée par le moulin pour en extraire le suc (voir ici sur Wikipedia).
Pour fabriquer le rhum agricole, les distilleries traditionnelles martiniquaises exploitent un certain nombre d’installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Parmi ces installations, figurent notamment des chaudières à vapeur qui sont alimentées par les résidus broyés de cannes à sucre, dénommés « bagasse », produits à l’occasion de la première phase du processus de fabrication du rhum agricole consistant à broyer mécaniquement les cannes à sucre dans des moulins afin de récupérer le jus de canne à sucre.
En août 2020, le préfet de la Martinique a édicté plusieurs arrêtés afin d’imposer aux distilleries de rhum de nouvelles prescriptions pour l’exploitation de leurs installations de combustion. Il a d’abord procédé au reclassement des chaudières à bagasse dans la sous-rubrique 2910-B de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement, estimant qu’elles constituaient des installations de combustion de biomasse de déchets issus de l’industrie agroalimentaire de fabrication de rhum agricole. Il a ensuite imposé aux distilleries exploitantes la mise en place d’un suivi des combustibles utilisés, la mise en place de mesures périodiques en continu des rejets de polluants dans l’atmosphère et le respect de nouveaux seuils d’émissions de polluants dans l’air.
Plusieurs distilleries de rhum ont saisi le tribunal administratif de la Martinique afin de demander l’annulation des arrêtés dont elles avaient été ainsi destinataires.
Dans ses jugements du 23 décembre 2021, le tribunal administratif procède d’abord à un rappel des textes applicables. Ceux-ci définissent, dans la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement, une rubrique 2910 dédiée aux installations de combustion. Au sein de cette rubrique 2910, la réglementation distingue deux sous-rubriques :
– la sous-rubrique 2910-A, qui comprend notamment les installations de combustion de biomasse de produits composés d’une matière végétale agricole ;
– la sous-rubrique 2910-B qui fait l’objet de dispositions plus strictes et qui comprend notamment les installations de combustion de biomasse de déchets végétaux provenant du secteur industriel de la transformation alimentaire.
Les magistrats considèrent que la combustion de bagasse dans les chaudières des distilleries de rhum ne peut être regardée comme de la biomasse de déchet. Ils relèvent à cet égard que, compte-tenu des modalités de sa fabrication et de sa réutilisation, la bagasse doit être regardée comme un sous-produit du processus de fabrication du rhum, et non comme un déchet. Ils en déduisent que les chaudières à bagasse relèvent de la sous-rubrique 2910-A et que le préfet a commis une illégalité en les reclassant dans la sous-rubrique 2910-B.
Le tribunal annule en conséquence les prescriptions complémentaires imposées aux distilleries de rhum qui sont propres à la sous-rubrique 2910-B (mise en place d’un suivi des combustibles utilisés et de mesures périodiques en continu des polluants dans l’atmosphère). En revanche, les prescriptions complémentaires relatives aux seuils d’émissions de polluants dans l’air, qui sont communes aux deux sous-rubriques 2910-A et 2910-B, sont maintenues.
NB : les 6 paragraphes ci-avant reprennent le communiqué du TA de la Martinique.
L’ambigüité vient de ce que l’on parle usuellement de déchets verts et de ce que la définition du déchet par l’article L. 541-1-1 du Code de l’environnement, s’avère fort vaste, puisque ceci inclut « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ».
Et l’article suivant de ce même code précise, entre autres obligations, que le « producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu’à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers. »
Avec quelques conséquences et modalités renouvelées de sortie de ce statut de déchet (par transposition de la directive 2018/851 et en application de l’article 115 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 (loi AGEC) relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire).
>> Accès au jugement n° 2100058 du 23 décembre 2021
>> Accès aux conclusions du rapporteur public sur ce jugement
Si le lien d’accès au jugement n’est plus opérant, cliquer ici :
TA Martinique, 23 décembre 2021, SAS Distillerie Dillon, n° 2100058
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.