Parmi les singularités du contentieux de l’urbanisme, figure en bonne place une décision que vient de rendre le Conseil d’Etat le 24 janvier 2022.
En effet, cet arrêt reconnait la possibilité pour une commune de solliciter devant le juge administratif l’annulation d’une décision qu’elle a elle-même prise…
Pour comprendre cela, il est nécessaire de rappeler les spécificités qui entourent l’examen des demandes de permis de construire ou d’aménager, lorsqu’elles portent sur des projets d’aménagement de surfaces commerciales nécessitant l’obtention d’une autorisation d’exploitation commerciale en application de l’article L.752-1 du Code du commerce.
Comme le précise l’article L. 425-4 du Code de l’urbanisme, le permis de construire délivré vaut autorisation d’exploitation commerciale lorsque la Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) ou la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) a émis un avis favorable au projet.
Ce dispositif vise ainsi à simplifier les démarches du pétitionnaire : au lieu de solliciter deux autorisations (le permis de construire la surface commerciale, l’autorisation d’exploiter celle-ci) et donc de déposer deux dossiers distincts, l’obtention d’une seule autorisation lui permet de réaliser son projet.
Du côté de la commune, cela devient plus compliqué si elle ne partage pas la position exprimée dans l’avis rendu par la CDAC ou la CNAC.
Peut-elle s’en écarter ? Peut-elle contester l’avis devant le juge administratif ?
L’arrêt du Conseil d’Etat répond clairement à ces interrogations.
Pour le Conseil d’Etat, l’avis de la CDAC ou de la CNAC est un acte préparatoire : il ne peut donc être directement contesté devant le juge, qu’il soit favorable ou pas :
“Il résulte des dispositions citées au point 2 que l’avis de la commission départementale d’aménagement commercial ou de la Commission nationale d’aménagement commercial a le caractère d’un acte préparatoire à la décision prise par l’autorité administrative sur la demande de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, seule décision susceptible de recours contentieux. Il en va ainsi que l’avis soit favorable ou qu’il soit défavorable”.
Mais le Maire est tenu de suivre l’avis rendu par la Commission d’aménagement commercial. Par exemple, si l’avis est défavorable, le permis de construire, en tant qu’il porte sur une demande d’autorisation d’exploitation commerciale, doit être refusé.
Et c’est là qu’intervient l’originalité de l’arrêt car celui-ci considère que, dans ce cas, la commune peut introduire un recours contentieux dirigé contre la décision qu’elle a prise, suite à l’avis rendu par la Commission :
“Il résulte également des mêmes dispositions qu’alors même qu’un permis de construire tenant lieu d’autorisation d’exploitation commerciale en application des dispositions de l’article L. 425-4 du code de l’urbanisme ne peut être légalement délivré par le maire, au nom de la commune, que sur avis favorable de la commission départementale d’aménagement commercial compétente ou, le cas échéant, sur avis favorable de la Commission nationale d’aménagement commercial et qu’ainsi cet avis lie le maire s’agissant de l’autorisation d’exploitation commerciale sollicitée, la commune d’implantation du projet n’est pas recevable à demander l’annulation pour excès de pouvoir de cet avis, qui, comme il a été dit, a le caractère d’acte préparatoire à la décision prise sur la demande de permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale. Elle est en revanche recevable à contester, par la voie d’un recours pour excès de pouvoir, la décision qu’elle prend sur cette demande en tant seulement qu’elle se prononce sur l’autorisation d’exploitation commerciale sollicitée, pour autant qu’elle justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour agir”.
Aussi étonnante soit-elle, cette solution doit être approuvée. A partir du moment où une collectivité est tenue de suivre un avis émis par un organisme sans pouvoir effectuer un recours contre celui-ci, il est logique qu’elle puisse contester la décision prise au terme de la procédure, quand bien même elle en serait l’auteur.
Ref. : CE, 24 janvier 2022, Société Année Distribution et autres, req., n° 440164. Pour lire l’arrêt, cliquer ici