Par une décision du Conseil d’Etat, la REP produits du tabac a été censurée, mais avec un effet différé, pour vice de procédure non danthonysable.
Mais, le même jour, par une autre procédure, c’est le requérant qui s’est fait carboniser, au prix d’une interprétation audacieuse des textes comme la Haute Assemblée en a le secret.
La directive (UE) 2019/904 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 a prévu, à son article 8, l’application du principe de responsabilité élargie du producteur (REP) aux produits du tabac (en tous cas ceux avec filtre).
La loi 2020-105 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (AGEC) du 10 février 2020 a prévu la mise en place de diverses filière REP, dont celle du tabac (mais aussi celle des déchets de chantiers, par exemple).
Voir pour cette loi :
- Loi gaspillage et économie circulaire : rapide survol [VIDEO de 5 mn ; en partenariat avec Weka]
- Décryptage rapide de la loi gaspillage et économie circulaire au JO de ce matin
Ce régime a été mis en place au fil du décret n° 2020-1725 du 29 décembre 2020 puis d’un arrêté du 5 février 2021.
La Fédération des fabricants de cigares (FFC) a attaqué ce décret, puis cet arrêté.
En effet, sa contribution s’impose même sur les produits (ou au moins certains produits) sans filtre.
Or, si sur l’arrêté le recours a fait mouche, sur le décret c’est le requérant qui s’est pris un retour de flamme.
I. La procédure de l’arrêté censurée mais avec un effet différé
A la suite de cette requête, le Conseil d’Etat a annulé avec effet différé au 1er janvier 2023 l’arrêté du 5 février 2021 portant cahier des charges d’agrément des éco-organismes de la filière à responsabilité élargie du producteur (REP) des produits du tabac.
Le vice entachant cet arrêté était un vice de procédure :
« les dispositions de l’arrêté attaqué et du cahier des charges qui lui est annexé ont, par leurs effets, une incidence directe et significative sur l’environnement. Leur adoption devait, dès lors, être précédée, à peine d’illégalité, d’une consultation préalable du public conformément aux dispositions de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement précédemment citées. La circonstance que la commission inter-filières de responsabilité élargie des producteurs, dans laquelle siègent différents acteurs concernés par la filière des produits du tabac, a été saisie pour avis sur la demande d’agrément de l’éco-organisme ALCOME, au demeurant postérieurement à la publication de l’arrêté attaqué, n’était pas, contrairement à ce que soutient en défense la ministre de la transition écologique, de nature à assurer le respect de ces dispositions.»
Un tel vice n’est pas Danthonysable (voir ici) puisqu’il représente une garantie pour les intéressés : le recours sur ce point ne pouvait que faire un tabac (pas pu m’empêcher) même si la fédération requérante eût sans doute préféré carboniser l’arrêté sur le fond.
D’où la censure presque inévitable. Avec un effet différé donc (au sens de CE, Ass., 11 mai 2004, Association AC! , n° 255886, rec. p. 197, GAJA 23e éd. 101) pour éviter que cette filière REP ne soit réduite en cendres.
II. Mais sur le fond, au prix d’une interprétation hardie des textes, le Conseil d’Etat impose que les fabricants de cigares financent cette REP même hors filtre
SAUF que, sur le fond, le requérant se fait fumer car dans une autre instance, celui-ci a perdu son combat principal. En effet, cette fédération avait aussi attaqué le décret n° 2020-1725 du 29 décembre 2020.
A ce second sujet, avec une inventivité remarquable dans l’interprétation des textes (on ne s’y habitude jamais, voir par exemple ici), le Conseil d’Etat a en effet posé que :
2. L’article L. 541-10-1 du code de l’environnement dresse la liste des catégories de produits soumises au principe de responsabilité élargie du producteur. L’article 62 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie solidaire [SIC : il s’agit en réalité du mot « circulaire bien sûr, NDLR], dite AGEC, a introduit à cet article, un 19° ainsi rédigé : ” Les produits du tabac équipés de filtres composés en tout ou partie de plastique et les produits qui sont destinés à être utilisés avec des produits du tabac, à compter du 1er janvier 2021. Il peut être fait obligation aux metteurs sur le marché de ces produits d’organiser un mécanisme de reprise financée des déchets qui en sont issus “.
3. La fédération requérante demande l’annulation de l’article 10 du décret du 29 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation relatives à la responsabilité élargie des producteurs, qui a complété le chapitre III du titre IV du livre V de la partie réglementaire du code de l’environnement par une section 24, intitulé ” Produits du tabac “, et comportant les articles R. 543-309 et R. 543-310 dans le code de l’environnement. Aux termes de l’article R. 543-309 : ” La présente section précise les conditions de mise en oeuvre de l’obligation de responsabilité élargie du producteur applicable aux produits du tabac équipés de filtres composés en tout ou partie de plastique et aux produits qui sont destinés à être utilisés avec des produits du tabac, conformément au 19° de l’article L. 541-10-1, et les modalités de gestion des déchets qui en sont issus “. Aux termes de l’article R. 543-310 : ” Pour l’application du 19° de l’article L. 541-10-1 et au sens de la présente section, on entend par : / 1° “Produits du tabac”, les produits du tabac au sens de l’article L. 3512-1 du code de la santé publique ; / 2° “Produits qui sont destinés à être utilisés avec des produits du tabac”, les produits destinés à être utilisés en combinaison avec des produits du tabac, comportant ou non du plastique, et qui sont susceptibles de conduire à la production de déchets nuisibles à l’environnement après consommation des produits du tabac, tels que les filtres ; / 3° “Producteur”, au sens du I de l’article L. 541-10, les personnes physiques ou morales qui procèdent à la première mise sur le marché national à titre professionnel des produits du tabac équipés de filtres comportant ou non du plastique, ou des produits qui sont destinés à être utilisés avec des produits du tabac, en vue d’une cession au consommateur final “.
4. En premier lieu, la fédération requérante soutient qu’en adoptant ces dispositions qui soumettent au principe de responsabilité élargie du producteur les produits destinés à être utilisés avec du tabac, même lorsqu’ils ne comportent pas de plastique, alors que la loi, pour assurer la transposition de la directive du 5 juin 2019 précitée, a entendu limiter une telle application aux filtres comportant du plastique, le pouvoir réglementaire a excédé sa compétence, méconnu l’intention du législateur et commis une erreur de droit.
5. Il résulte toutefois des dispositions de l’article L. 541-10-1 du code de l’environnement que la responsabilité élargie du producteur a vocation à s’appliquer à la fois aux produits du tabac équipés de filtres composés en tout ou partie de plastique et aux produits qui sont destinés à être utilisés avec des produits du tabac, qu’ils soient ou non composés en tout ou partie de plastique, le législateur ayant non seulement transposé la directive du 5 juin 2019 qui impose de réduire l’incidence de certains produits en plastique sur l’environnement, mais également entendu lutter, plus largement, contre les déchets constitués par les produits du tabac, en particulier les mégots, qu’ils soient ou non composés de plastique. Par suite, le moyen tiré de l’incompétence du pouvoir réglementaire, de la méconnaissance de l’intention du législateur ou de l’erreur de droit doit être écarté.
Donc le Conseil d’Etat sauve le décret (et par ricochet le futur arrêté) de la carbonisation. Il ne pouvait pas aller jusqu’à poser qu’un cigare serait, faute d’être un produit du tabac équipé de filtre, à tout le moins un de ces « produits qui sont destinés à être utilisés avec des produits du tabac ».
Alors il a appliqué un critère de finalité et interprété la loi bien au delà de la formulation claire de la loi (et au delà de la formulation de la directive, mais ça le législateur en avait la faculté).
Les chances du requérant pour l’avenir sont donc en cendres.
On peut s’indigner de cette manière de tordre le sens des textes portant clairs dans la décision du Conseil relative au décret.
Mais la finalité du législateur semble pour ce que j’avais lu des débats parlementaires avoir été en ce sens. Et la commercialisation de produits sans filtre eût sinon conduit à une voie de contournement de cette REP.
Reste que le prochain qui me dit que le Conseil d’Etat ne conduit pas une politique jurisprudentielle en termes d’édification de normes, qu’il se contente d’appliquer le droit en respectant les syllogismes les plus proches de la lettre des textes applicables, je lui déverse sur son paillasson un semi-remorque de cendres issues de la combustion de 100 ans de Lebon.
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