Par une décision n° 2022-841 DC du 13 août 2022, le Conseil constitutionnel a validé la partie du contenu de la loi « portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne » qui avait été porté à sa censure par des parlementaires LFI (rejoints après coup par quelques proches alliés de ce groupe parlementaire).
Ces derniers contestaient l‘article unique de cette loi déterminant l’autorité compétente pour enjoindre aux fournisseurs de services d’hébergement de retirer des contenus à caractère terroriste et les peines applicables en cas de manquement à l’obligation d’y déférer et les voies de recours contre ces injonctions.
NB : en ce même domaine, mais avec un contenu plus large et un délai fort court d’intervention, censurés par le Conseil constitutionnel, voir l’affaire de la loi Avia : Décision n° 2020-801 DC du 18 juin 2020, Loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, Non conformité partielle. C’est sur cette décision que les requérants semblaient fonder tous leurs espoirs. Mais le contenu, le domaine concerné, étaient fort fort différents… La loi Avia portait sur des domaines bien plus larges avec des garanties moindres !
Par le texte, l’administration en cas de caractère terroriste de contenu, peut enjoindre aux fournisseurs de retirer dans un délai d’une heure, sous peine de sanctions pénales (un an d’emprisonnement et 250 000 euros d’amende) et ce, à en croire les auteurs du recours, sans prévoir de recours suspensif ni aucune autre garantie palliant l’absence d’intervention préalable d’un juge.
Les dispositions du règlement (UE) 2021/784 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 imposent seulement, note le Conseil constitutionnel, aux États membres de l’Union européenne de :
- désigner une autorité compétente pour émettre une injonction de retrait,
- prévoir un recours effectif permettant aux fournisseurs de services d’hébergement de contester une telle injonction devant les juridictions de l’État membre de l’autorité qui l’a émise,
- déterminer le régime des sanctions applicables en cas de manquement.
Au surplus, donc, existe une marge de manœuvre.
Le délai d’une heure est, quant à lui, prévu par l’article 3 du règlement du 29 avril 2021.
Les auteurs du recours voulaient-ils censurer ce délai comme trop court au titre d’un PIIC (déc. n°2006-540 DC du 27 juillet 2006 et n° 2004-496 DC, 10 juin 2004, première mise en pratique avec déc. n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021 ; voir ici) ? Un tel moyen eût selon nous, peut-être (mais avec d’assez faibles chances de succès) pu prospérer mais il n’a pas été tenté ou pas nettement (voir ici la — fort courte — requête des députés LFI). Le Gouvernement a prévenu ce point dans ses écritures en défense, cela dit.
Sur les voies de recours, inexistantes selon les requérants, le Conseil constitutionnel note que :
« Le premier alinéa du paragraphe I de l’article 6-1-3 de cette même loi prévoit que Le paragraphe I de l’article 6-1-5 détermine quant à lui les recours pouvant être exercés contre une injonction de retrait.»
NB : et même sans texte, le référé liberté est là pour de telles situations avec des délais très brefs d’intervention…
Puis le Conseil constitutionnel démonte un à un et sans grande difficulté les moyens du recours (qui pour l’essentiel :
« 13. En premier lieu, d’une part, l’injonction de retrait susceptible d’être émise par l’autorité administrative compétente ne peut porter que sur des contenus à caractère terroriste précisément définis et limitativement énumérés à l’article 2 du règlement du 29 avril 2021. Son article premier prévoit, en outre, que ne peut être considéré comme ayant un caractère terroriste le contenu diffusé au public à des fins éducatives, journalistiques, artistiques ou de recherche, ou à des fins de prévention ou de lutte contre le terrorisme, y compris le contenu qui représente l’expression d’opinions polémiques ou controversées dans le cadre du débat public. »
Le requérant n’a même pas tenté de défendre que ce serait une incompétence négative ou autre. Mais bon… On ne voit pas ce qui eût pu prospérer sur ce point (mais pourquoi alors avoir attaqué sauf pour dire qu’on l’a fait ????).
Le reste est du même tonneau puisque la procédure est précise ainsi que les voies de recours :
« 14. D’autre part, l’article 3 du même règlement prévoit que l’injonction de retrait émise par l’autorité administrative compétente doit comporter non seulement la référence au type de contenu concerné, mais aussi une motivation suffisamment détaillée expliquant les raisons pour lesquelles il est considéré comme ayant un caractère terroriste.
« 15. Par ailleurs, la personnalité qualifiée mentionnée à l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004, désignée en son sein par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, qui est une autorité administrative indépendante, est obligatoirement informée de ces demandes de retrait et peut, en cas d’irrégularité, recommander à l’autorité compétente d’y mettre fin et, dans le cas où cette recommandation n’est pas suivie, saisir la juridiction administrative en référé ou sur requête qui doit être jugée dans le délai de soixante-douze heures.
« 16. Ainsi, la détermination du caractère terroriste des contenus en cause n’est pas laissée à la seule appréciation de l’autorité administrative que les dispositions contestées désignent pour émettre des injonctions de retrait.
« 17. En deuxième lieu, l’injonction de retrait, qui peut faire l’objet, de la part des fournisseurs de services d’hébergement ou de contenus, de recours en référé sur le fondement des articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative, est également susceptible, en application des dispositions de l’article 6-1-5 de la loi du 21 juin 2004, d’être contestée par la voie d’un recours spécifique en annulation devant le tribunal administratif. Celui-ci est alors tenu de statuer sur la légalité de cette injonction dans le délai de soixante-douze heures à compter de la saisine. En cas d’appel, la juridiction d’appel est tenue de statuer dans le délai d’un mois. Ainsi, les dispositions contestées permettent qu’il soit statué dans de brefs délais sur la légalité de l’injonction de retrait et, en cas d’annulation, que les contenus retirés, dont l’article 6 du règlement du 29 avril 2021 impose la conservation, soient rétablis. »
Quant aux sanctions, tout tombe pour qui lit le règlement :
« 18. En dernier lieu, si les dispositions contestées de l’article 6-1-3 de la loi du 21 juin 2004 répriment par des sanctions pénales le manquement à l’obligation de retirer des contenus à caractère terroriste ou de bloquer l’accès à ces contenus, il résulte de l’article 3 du règlement du 29 avril 2021 qu’un tel manquement n’est pas constitué tant que le fournisseur de services d’hébergement ne peut pas se conformer à l’injonction reçue en raison d’un cas de force majeure, d’une impossibilité de fait qui ne lui est pas imputable ou des erreurs manifestes ou de l’insuffisance des informations que l’injonction contient. »
Une partie du recours est consacrée au fait qu’une loi d’adaptation était inutile (le règlement est entré en vigueur) mais justement : 1/ une loi d’adaptation peut sembler inutile mais cela ne la rend pas inconstitutionnelle pour autant 2/ Justement la loi permet de donner les garanties dont on prétendait qu’elles manquaient.
En tant qu’avocat je dépose parfois des recours juste pour pouvoir dire qu’un tel recours a été déposé. Ce n’est pas glorieux mais c’est la vie. Mais au moins on tente de faire semblant…
Pourquoi avoir déposé ce recours qui selon nous n’avait aucune chance de prospérer ? Pour alerter ? Mais alerter de quoi (et d’ailleurs le recours n’était pas trop sur cette ligne là) ? Alors que les garanties de ce régime sont fortes et que nul ne peut défendre laisser des vidéos terroristes en ligne ? Et qu’à ce jour notre démocratie a peu de risque de considérer comme terroristes des opinons simplement différentes ?
Sauf à diaboliser les requérants, ce que démocratiquement je me refuse à faire, ou sauf à ce que ceux-ci aient espéré ensuite un recours CEDH en ne se faisant pas accuser d’avoir négligé une voie de droit interne (mais ce n’est pas exactement ainsi que ce point de droit est apprécié par la CEDH…), grande est ma perplexité…