Don du sang : la France a été condamnée par la CEDH pour les anciennes pratiques de l’EFS en matière de fichage des hommes ayant eu des relations sexuelles avec d’autres hommes.
Ce n’est qu’en 2022 que la France a mis fin à une période d’abstinence de 4 mois spécifiquement imposée aux donneurs de sang hommes homosexuels (voir ici : Arrêté du 11 janvier 2022 ; NOR : SSAP2201186A).
C’était un peu tard… et contraire à l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme, vient de juger la CEDH. Car cela passait par la collecte et la conservation, par l’Établissement français du sang, de données personnelles reflétant l’orientation sexuelle supposée du requérant. En l’espèce, cette collecte était dépourvue de base factuelle avérée. Cet arrêt censure la position précédente du Conseil d’Etat français.
Ce n’est pas tant la rupture d’égalité entre hommes entièrement hétérosexuels et hommes ayant eu des rapports avec d’autres hommes qui est sanctionnée par la CEDH dans son principe dans le cas particulier des dons du sang :
« 89. De l’avis de la Cour, l’ingérence litigieuse poursuivait au moins un des buts légitimes énumérés à l’article 8 § 2, à savoir la protection de la santé. À cet égard, la Cour ne perd pas de vue qu’un grand nombre de personnes ont été contaminées par le VIH ou par des virus hépatiques par voie de transfusion de produits sanguins insuffisamment sécurisés, en France comme dans de nombreux États contractants, avant que des techniques de détection, d’inactivation et d’élimination des agents pathogènes soient développées et généralisées. Les instruments de droit international précités (paragraphes 44‑54 ci-dessus) ont été adoptés pour répondre à cette crise sanitaire majeure et poursuivent ce même objectif de protection de la santé publique. Au demeurant, la Cour rappelle que les obligations positives découlant de l’article 2 de la Convention impliquent la mise en place d’un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux l’adoption de mesures propres à assurer la protection de la vie de leurs malades (G.N. et autres c. Italie, no 43134/05, §§ 80, 85-95, 1er décembre 2009, Oyal c. Turquie, no 4864/05, §§ 53-54, 23 mars 2010, et Karchen et autres c. France (déc.), no 5722/04, 4 mars 2008).»
Et, dès lors, même un traitement de données à part pouvait se justifier :
« 93. Au vu des explications fournies par le Gouvernement, des documents qui lui ont été communiqués et des instruments de droit international précités (paragraphes 44-54 ci-dessus), la Cour considère que la collecte et la conservation de données personnelles relatives aux résultats des procédures de sélection des candidats au don du sang, et en particulier aux motifs d’exclusion du don éventuellement retenus, contribuent à garantir la sécurité transfusionnelle. Sans qu’il soit besoin de rechercher si d’autres critères de sélection des donneurs étaient envisageables (voir, mutatis mutandis, S. et Marper, précité, § 117), la Cour considère que la collecte et la conservation des données litigieuses reposaient sur des motifs pertinents et suffisants.
Mais ce sont ensuite les garanties, les conditions de collecte de ces données, puis leurs conditions et durées de conservations qui péchaient au regard de la convention. Voir l’énoncé des principes en ce domaine :
« 94. Afin d’apprécier si l’ingérence litigieuse était proportionnée et ménageait un juste équilibre entre les intérêts publics et privés en concurrence, la Cour doit ensuite rechercher si la législation interne prévoyait des garanties appropriées.
« 95. Eu égard à la sensibilité des données personnelles litigieuses, qui comportent des indications sur les pratiques et l’orientation sexuelles du requérant (paragraphe 86 ci-dessus), la Cour considère qu’il est particulièrement important qu’elles répondent aux exigences de qualité prévues à l’article 5 de la Convention de 1981. Il importe en particulier qu’elles soient exactes et, le cas échéant, mises à jour, qu’elles soient adéquates, pertinentes et non excessives par rapport aux finalités du traitement, et que leur durée de conservation n’excède pas celle qui est nécessaire. Par ailleurs, la Cour constate que les données litigieuses, qui touchaient à l’intimité du requérant, ont été collectées et conservées sans le consentement explicite du requérant – ce que le Gouvernement défendeur ne conteste pas. En conséquence, elle se doit de procéder à cet examen de façon rigoureuse (S. et Marper, précité, § 104, et Z. c. Finlande, précité, §
Puis voici le passage, intéressant, de la décision de la CEDH sur la collecte des données et leur stockage en l’espèce :
« 96. En premier lieu, s’agissant de l’exactitude des données personnelles, la Cour estime que celle-ci doit être appréciée au regard de la finalité pour laquelle ces données ont été collectées. Dans le traitement litigieux, cette catégorie de données avait pour finalité d’assurer le respect d’une contre-indication au don spécifique, que le droit interne prévoyait alors de façon permanente. À cette fin, elle devait reposer sur une base factuelle précise et exacte. Or, le requérant s’est vu appliquer une contre-indication propre aux hommes ayant eu un rapport sexuel avec un homme au seul motif qu’il avait refusé de répondre à des questions relatives à sa sexualité lors de l’entretien médical préalable au don. Aucun des éléments soumis à l’appréciation du médecin ne lui permettait de tirer une telle conclusion sur ses pratiques sexuelles. C’est pourtant ce motif d’exclusion du don qui fut renseigné et conservé. La Cour en déduit que les données collectées se fondaient sur de simples spéculations et ne reposaient sur aucune base factuelle avérée. Or, la Cour rappelle que c’est aux autorités qu’il incombe de démontrer l’exactitude des données collectées (voir Khelili, précité, §§ 66-70). Elle relève de surcroît qu’elles n’ont pas avoir été mises à jour à la suite des protestations et de la plainte du requérant.
« 97. La Cour tient à souligner par ailleurs qu’il est inadéquat de collecter une donnée personnelle relative aux pratiques et à l’orientation sexuelles sur le seul fondement de spéculations ou de présomptions. Au surplus, il aurait suffi, aux yeux de la Cour, pour atteindre l’objectif de sécurité transfusionnelle recherché, de garder trace du refus du requérant de répondre aux questions relatives à sa sexualité, cet élément étant de nature à justifier, à lui seul, un refus de la candidature au don de sang.
« 98. En second lieu, le Gouvernement ne démontre pas qu’à l’époque des faits, la durée de conservation des données litigieuses était encadrée de telle sorte qu’elle ne puisse pas excéder celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles ont été collectées. La Cour note qu’au moment de la collecte de ces données en 2004, l’outil informatique employé par l’ÉFS prévoyait leur conservation jusqu’en 2278 (paragraphe 6 ci-dessus), rendant ainsi possible leur utilisation de manière répétée. À la date du 26 mai 2016, soit près de douze ans après leur collecte, les données relatives au motif d’exclusion étaient encore conservées. À cet égard, la Cour tient à souligner que la durée de conservation des données doit être encadrée pour chacune des catégories de données concernées et qu’elle doit être révisée si les finalités pour lesquelles elles ont été collectées ont évolué. La Cour relève, au vu de la pratique constante de l’ÉFS, que la durée excessive de conservation des données litigieuses a rendu possible leur utilisation répétée à l’encontre du requérant, entraînant son exclusion automatique du don de sang.»
L’intéressant point de savoir si donner son sang est, ou n’est pas, un droit fondamental, n’a pas pu être examiné par la CEDH pour des raisons de procédure, ce qui est regrettable car le débat sur ce point promettait d’être passionnant.
Voir :
CEDH, 8 septembre 2022, Drelon c. France, req. n° 3153/16 et 27758/18.
Pour une présentation plus détaillée de cet arrêt, voir :
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.